L'ennui. Quelle chose insupportable pour moi !
Je baillais au corneille, les yeux endormis et le corps engourdi par la chaleur matinale qui s'installait. Aujourd'hui, je n'avais pas grand chose à faire sauf peut-être, embêter les adultes ou défier mes compatriotes louveteaux. La première option était tentante mais je n'étais pas vraiment d'humeur.
J'avais besoin de me dégourdir les pattes et de retrouver un peu de vigueur.

Je commençai par aller me désaltérer à une flaque d'eau, fixant distraitement le va-et-vient des guerriers autour de moi. Guerrier… Voilà un mot qui m'intéressait. Oui, car c'est cela que je voulais devenir: la plus redoutable des guerrières que la Meute Esobek ait connu. Orgueilleux, vous me direz. Certes, mais c'est ainsi que je voyais les choses. Peut-être par un besoin constant de dépasser mes limites.

Enfin bref, toujours est-il que je me désaltérais quand je vis Yan'Ka. Cette loupiote était de quelques mois plus jeune que moi, mais je m'entendais bien avec elle. J'aimais à la défier de me battre au corps à corps pour tester ma force. Nos combats restaient des jeux et n'étaient que cela, des jeux. Aussi, nous n'étions pas très impressionnante dans ces moments là, juste deux louveteaux qui s'amusaient. Je secouai la tête en pensant cela: non, il fallait que j'arrête de penser ainsi. Bientôt, je ne serai plus un louveteau, et les combats ne seront plus des jeux.

Yan'Ka s'approcha de moi sans grand enthousiasme, la mine lasse. Je me redressais et la fixais, les yeux brillants d'espièglerie. Je le dépassais de quelques bons centimètres; un avantage pour nos combats.
« Prête à mordre la poussière, Yan'Ka ?»

D'un bond, je me jetais sur elle et lui mordilla l'échine, la renversant au sol en soulevant des nuages  de poussière.

Yan'Ka me repoussa tant bien que mal car, il faut l'avouer, une prise de taille s'accompagnait souvent d'une prise de poids.
Je l'avais mordillé doucement, et pourtant cette dernière couina une fois que je me fut dégagée.
Je baissais légèrement les oreilles, honteuse. Je ne contrôlai pas vraiment ma force, ces derniers temps. Pourtant il me semblait que je répétais inlassablement nos mouvements habituels de jeux !
Grandir était à la fois une chose merveilleuse et déroutante.

Je la scrutais avec attention, les prunelles brillantes, prête à recevoir un assaut. Yan'Ka s'élança vers moi mais étonnamment elle atterrit à côté, la patte droite la première. Un affreux craquement retentit, et mon sang se glaça cependant que mes poils se redressaient sur ma nuque.

Yan'Ka, immobile, émit un faible sanglot à briser le coeur.
« Wakanda ! Aide-moi ! »

Je me précipitais vers elle, les oreilles frémissantes. De mes deux pattes avant, je la fit doucement rouler sur le côté. Sa patte était sous un angle anormalement obtus. Refusant de détourner les yeux, je commençai à regarder autour de moi, paniquée.

« Je t'en supplie, dis-moi que tu peux te lever ! »

Tandis que je scrutais Yan'Ka, paralysée, je la vis sombrer dans l'inconscience. Inquiète, je la poussais de mon museau en suppliant pour qu'elle se réveille. Levant les yeux, je scrutais le ciel qui s'assombrissait, retenant des cris de panique.
Et si elle restait ainsi toute sa vie ? Ou pire, et si elle mourrait ? Tout serait de ma faute.
Après tout, c'est moi qui avait provoqué le duel. Je ne pouvais pas la laisser ainsi.

Tandis que je ruminais et voyant qu'elle ne se réveillait pas, je faillis aller chercher un adulte. A ce moment, Yan'Ka ouvrit les yeux. Soulagée, je me penchais vers elle.

Elle semblait tout droit sortie d'un rêve, et ses paupières papillonnaient. C'est alors qu'elle dit, d'une voix incertaine:
« -Prend ma patte entre tes crocs et tourne la, pour la remettre en place.
»  

Je la scrutais, incrédule. D'où lui venait cette idée ? Avait-elle des bases en matière de guérison ? Devais-je l'écouter ?
Je lui devais au moins cela. Alors sans un mot je pris doucement sa patte entre mes crocs et, d'un coup sec, je la tordis. Un léger craquement se fit entendre et la patte sembla se remettre en place.

Je me tournai vers Yan'Ka, plissant les yeux de peur d'avoir aggravé les choses.

« Comment… te sens-tu ? »