ONE SHOT
Il ne savait pas trop comment il s’était retrouvé là.
En fait, il ne le savait pas du tout.
Lorsqu’il avait ouvert les yeux, ce fût pour voir un large sol infini marqué la moitié de sa vision alors que l’écorce de plusieurs troncs d’arbres s’élevait de l’autre côté. Sans trop savoir pourquoi, il comprit qu’il ne voyait pas le paysage du bon angle et qu’il était allongé sur le flanc, de tout son long. La mousse sous son visage était humide et les odeurs d’une forêt luxuriante lui emplissaient les voies respiratoires. Alors qu’il clignait des yeux, pas très pressé de se redressé, sa vue se clarifia. Du moins, elle essaya. L’épais brouillard qui nappait les environs était difficile à percer. Il baissa la tête pour y voir de longues pattes s’étirer vers l’avant. Le poil qui les recouvrait avait diverses teintes, certes, mais la forme qu’elles adoptaient lui fit comprendre qu’il devait être un animal. Comme un chien… ou un loup. Passant une langue râpeuse sur ses lèvres, il comprit que le corps de la bête était bel et bien sien. Puis, il essaya finalement de se lever. Péniblement, il prit appui sur la longue patte fine qu’il possédait pour redresser son corps à moitié. Découvrant ainsi la seconde partie de son anatomie, il pût regarder le reste de sa silhouette élancée affalée sur le sol.
Le silence était complet alors qu’il entendait sa propre respiration, calme et chaude, emplir ce vide auditif. Il voyait son corps se soulever au fil des inspirations et en déduit qu’il pouvait fort probablement le soulever pour mettre son mécanisme en branle et ainsi quitter cet endroit. Alors qu’il s’exécutait difficilement, toute son attention était rivée sur ses mouvements. Une fois debout, il essaya de trouver son centre d’équilibre pour avancer doucement. Les arbres tout autour de lui semblaient toucher l’infini, tapissant la voûte et empêchant les rayons chaleureux du soleil d’atteindre sa carcasse ambulante. Il se sentait petit au cœur de cet immense territoire, mais pourtant il ne se sentait pas menacé. Il continua de marcher tout droit, sans prendre le temps de réfléchir. Lorsqu’il déboucha finalement dans une toute petite clairière où une fine percée de soleil se reflétait sur un petit lac il fit halte.
C'était comme si quelque chose tentait d’affluer dans sa mémoire mais ni parvenait pas. Quand il comprit que rien ne lui reviendrait il reprit sa marche jusqu’au point d’eau. Le reflet qu’il lui offrit fût celui d’un animal de taille moindre. Ses traits juvéniles semblaient canins, comme il l’avait deviné en voyant ses pattes. Il semblait plus sauvage qu’un chien. Un loup donc. Un très petit loup. D’à peine quelques mois. Tout juste assez vieux pour rester seul quelques heures à la tanière. Alors pourquoi était-il seul ? Alors que cette question pourfendait son esprit, un vide immense se creusa à l’intérieur de sa frêle charpente. Il déglutit. Ce n’était pas le moment de se laisser abattre par ce genre de choses. Ses yeux bleus lui renvoyaient son regard dans l’eau. Il ne savait même pas qui il était. Alors savoir s’il avait une mère pour l’aider à survivre était un bien moindre soucis. Il passa outre la petite étendue d’eau pour arriver près d’une tanière créé par deux gros rochers appuyés l’un sur l’autre. Il y régnait l’odeur éventé d’un être vivant… ou de plusieurs ? Sa truffe ne semblait pas habituée à identifier les différents parfums, pourtant, cette odeur maigre lui rappelait quelque chose. Alors qu’il entrait dans la tanière abandonnée, un souvenir, le premier, vint effleurer doucement sa mémoire. C’était un souvenir chaud et doux où le blanc recouvrait presque toute sa vision, mais pas le blanc froid de la neige, non… le blanc d’un pelage soyeux d’où s’échappait d’agréables odeurs de lait chaud. Il entendait un mot, prononcé d’une voix doucereuse et réconfortante. « Oreka », disait cette voix.
Ce fût un gémissement plaintif qui le ramena sur les lieux où se trouvaient ses pattes. Après quelques secondes à regarder autour de lui, il comprit qu’il s’agissait du sien. Ravalant sa salive il baissa la tête. Le trou qui se creusait en lui ressemblait maintenant d’avantage à un gouffre. Il quitta la tanière à reculons, bien conscient que personne ne reviendrait l’y chercher. Puis, essayant de ne pas regarder derrière lui, il reprit sa marche. Continuant toujours tout droit. Il marcha des heures sans jamais croiser âme qui vive. Peut-être son attention était-elle seulement trop éloignée de la réalité ? Il avait l’impression de marcher dans un rêve. Un mauvais rêve. Il avait fini par quitter le couvert de la forêt. Il marchait désormais sur une longue plage blanche et stérile qui lui semblait à perte de vue. Il avait soif. Il avait faim. Il regrettait amèrement de ne pas avoir bu de tout son soûl lorsqu’il était à la tanière. Sa langue était pâteuse et son souffle se faisait rauque. Ses pattes le faisait souffrir et menaçait de ne plus le soutenir d’un moment à l’autre quand soudain il entendit un bruit.
Jetant un coup d’œil, il aperçut un canidé comme lui. Mais à la robe d’un orangé flamboyant. Alors qu’il avait d’abord cru être sauvé, Oreka avait rapidement discerné la lueur cruelle qui brillait dans les billes noires de l’animal. Alors que celui-ci entamait une course pour le talonner et sans doute en faire son dîner, le jeune loup enclencha les mécanismes de son corps pour accélérer. Le vent dans sa fourrure lui fit du bien, mais rapidement, l’énergie que lui avait fourni l’adrénaline fût balayer par une douleur fulgurante à sa patte avant droite alors que la gravité vengeresse le clouait au sol brutalement. Il avait mal, mais surtout, il voyait la silhouette de feu s’approcher de lui patiemment, guettant sa pitance. Il était bien trop faible, bien trop petit pour se défendre. Alors qu’il sentait la mort rôder et qu’il se surprit à espérer de ne plus sentir toute cette douleur, il entendit une voix hurler. Ouvrant faiblement les yeux, il vit à peine son asseyant détaler avant de voir apparaître une fourrure planche comme neige. Elle semblait aussi soyeuse que celle de son souvenir. L’idée qu’il puisse s’agir de sa mère lui fit un bien tel à l’intérieur que, quand il vit les yeux de la louve en approche et compris qu’il ne s’agissait pas de sa génitrice, la béatitude qu’il avait ressentie eut du mal à s’en aller. Alors que les rayons du soleil étaient bloqués pas une tête lupine, les yeux qui n’étaient pas ceux qu’il connaissait ne cessaient de le regarder avec inquiétude. La silhouette parlait, mais Oreka ne comprenait plus qu’un bourdonnement insensé. Et, alors que sa respiration redevint le seul bruit qu’il entendait, il s’éteignit peu à peu au fil des secondes avant de laisser place au vide béant de l’inconscience.
- Hors RP:
Pour ceux qui ne comprennent pas, il s'agit de la rencontre de Oreka et de Leikn, sa maman adoptive