Depuis des jours, Athos se demandait quandest-ce que ce long tapis blanc allait laisser place à l’herbe verte. Il avait fait des recherches toute la journée, mais rien de concluant. Ni animal crevé ni plante pratique au guérisseur. Décidemment, cela avait été une mauvaise journée. Grognon, n’ayant certainement pas envie de rentrer chez lui, Athos était allé se promener près des territoires libres. D’abord, il avait marché le long de l’autoroute éventrée, où il s’était entraîné un peu à courir et sauter au-dessus d’obstacles qui trainaient un peu partout par là. Il voulait à tout prix rester le meilleur. Il voulait rester imbattable. Il voulait rester le Général Athos, le plus jeune Général Sekmet qui n’ait jamais été, et surtout il prévoyait de faire bien plus, faire bien plus pour les siens. Il ne voulait pas seulement rapporter à manger, de quoi guérir. Il lui tardait d’aller sauver les siens. Surtout qu’il avait appris depuis peu que Eesia était très probablement retenue prisonnière. Comment cela avait-il pu lui échapper... Il avait tellement déliré qu’il ne s’était pas rendu compte qu’elle était là-bas, peut-être non loin de lui. Cependant, il se surprit à penser que ce n’était pas plus mal qu’elle ne soit pas là. Il n’aurait pas pu affronter son regard après ce qu’il avait fait avec Anya. Mais il ne regrettait rien, absolument rien. Il n’était pas amoureux d’Anya. Mais c’était une grande amie à lui, une louve en qui il avait toute confiance, qui lui avait en plus sauvé la vie deux fois en quelques jours. Elle avait été là quand il souffrait, elle avait su trouver les mots pour lui insuffler du courage alors même qu’il mourrait à petit feu.

Athos n’était pas amoureux. Il détestait se dire qu’il ressentait des... sentiments. Jamais il n’aimait des femmes. Il les appréciaient, c’était de fidèles amies qu’il estimait la plupart du temps. Il ne courtisait jamais les femmes ordinaires. Chacune était spéciale. Il avait apprécié chacune de ses maitresses.

Eesia avait été différente. Il l’avait aimée. Mais elle l’avait trahie. Elle était partie sans le prévenir, il l’avait crue morte, et elle n’avait pas daigné lui dire que c’était faux. Elle lui avait même caché qu’elle avait un compagnon et un fils alors même qu’ils pensaient devenir compagnons à leurs tours.

Maintenant, Athos errait sur l’autoroute éventrée. Désorienté et réfléchissant. Il fallait qu’il oublie tout . Qu’il pense à autre chose. Qu’il arrête de se torturer l’esprit.

Un bruit le sortit de sa tourmente. Un autre loup approchait. A son odeur, on aurait dit une solitaire. Une femelle sans meute ... Amie ou ennemie ?

why there's nobody home ?

Athos rechigna à parler à cette jeune louve, qui avait des airs d’enfant. Elle avait un petit visage tout blanc, un air doux et enfantin sur le visage. Bref, le genre de fille qui ne ferait pas de mal à une mouche, et ce n’était pas vraiment ce qui fascinait Athos. Pourtant, il fut extrêmement surpris de la manière dont la jeune louve l’avait abordé. Décontractée, naturelle et sans aucune peur, elle s’avança vers lui et commença à lui parler comme si les deux canidés se connaissaient depuis toujours, ou alors comme si elle se fichait un peu de lui. Athos lui lança un regard perçant, essayant de voir ce que pouvait bien vouloir, ou même bien faire une louve comme ça dans les parages. La jeune devait être légèrement plus vieille qu’Alkaïne, mais certainement plus jeune qu’Anya. Il la regarda d’un air distant, avant d’écouter ce qu’elle avait à dire :


« Eh bah tient.. B'jour le Sekmet ! On s'est perdu ? T'es bien loin de chez toi il me semble. » Son visage emprunta un air faussement désolé. « Si t'es là pour chasser, j'espère ne pas te décevoir en t'apprenant ça, mais il n'y a rien à bouffer dans le coin... A moins que tu ne sois tenté par une vieille carcasse à moitié congelée. Mais je suppose qu'on a mieux dans les Meutes ! Non ? C'est pas l'abondance chez vous ? Et si c'est pas le cas, y'a toujours les Hommes. Ceux-là, ils manquent jamais de rien semblerait. »


Allons bon ! Voilà que la gamine commençait à vouloir lui apprendre la vie maintenant ! Croyait-elle vraiment qu’un loup comme lui ignorait ces choses là ? Athos regarda fixement la jeune louve. Athos sortit son sourire ironique bien plus que connu, et lança d’un air faussement reconnaissant très largement exagééré


« Oh mais merci du conseil petite. »

Il n’avait pas envie de lui faire la leçon, si elle voulait faire la difficile avec ses carcasses congelées alors qu’il n’y avait absolument rien à se mettre sous la dent, c’était son problème. Mais aussi jeune, avec sans doute très peu d’expérience, et sans aucune aide, Athos ne donnait pas cher de sa peau si elle restait dans cet optique. Il avait bien envie de lui laisser croire qu’elle avait raison, de la laisser crever de faim ici en ricanant. Mais non, ses bons sentiments et ses idéaux le rattrapèrent. Foutue morale !

« Quand il n’y a rien à manger nul part et qu’on risque de crever de faim ou faire crever les siens, alors on ne fait le difficile avec aucune racine ou aucun cadavre congelé pourvu qu’il soit comestible. Tout ce que tu peux manger en ces temps difficiles, tu le manges, et s’il faut se battre pour une carcasse à demi congeler, pour survivre, tu le feras, crois moi. Et puis, ma p’tite, on voit bien que tu n’es pas allée piller les Hommes depuis un bon moment. Eux aussi sont morts de faim, ils survivent des rares baies qu’ils trouvent et leur garde manger est vide depuis plusieurs jours. Lorsque les loups ont vu qu’il n’y avait plus aucune proie dans la région, ils se sont tous rués sur les Hommes, leurs troupeaux, leurs réserves, tout, et même leurs objets. Nous nous battons tous pour une demi-carcasse de rat à moitié congelé, nous protégeons ce que nous trouvons pour faire survivre les nôtres. Alors non, ce n’est pas l’opulence chez nous non plus. Mais toi ? Serais-tu capable de conserver ce que tu veux manger ou même tout simplement de te défendre face à un vrai loup ? »

Il ne savait pas pourquoi il lui avait lancé cette pique, ce défi. Il en avait envie, tout simplement, la jeunette avait vraisemblablement de conseils pour survivre, et il était parfaitement en mesure de lui en donner. Simplement, tout cela n’était pas gratuit. Elle allait devoir lui montrer si elle était capable de se défendre. Et il fallait avouer une chose, si Athos aimait quelque chose, c’était bien le combat. Elle allait avoir du fil à retordre pendant cet entraînement improvisé !