Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Oreka était consigné à la tanière. Encore. Il avait fait une bêtise. Encore.
Alors qu’il entendait les vieux loups râleurs chuchoter entre eux lorsqu’il passait tout près, le jeune loup en avait eu marre. Il s’était éloigné du groupe. Lasse de tous les voir le lorgner du regard. Soupirant, il s’était allongé dans les fourrés glacés afin d’être caché de la vue des autres espérant ainsi échapper à quelque tâches que ce soit. Il était resté là des heures, alors que le froid s’insinuait malicieusement dans son poil. Il avait même fini par s’y endormir. Ce qui le réveilla, ce fût le passage d’une louve devant lui. Il la connaissait un peu de vu et de nom. Il s’agissait de Shiro, une magnifique louve blanche au corps fin. Malgré sa réputation d’être très gentille et d’être très agréable à regarder, ce n’était pas ce qui captivait le plus Oreka à son égard. Non. Ce qui l’intéressait le plus c’était son rang. Elle était Sentinelle.
Le jeune loup savait que pour bon nombre d’apprentis, être sentinelle était une fonction bien ennuyante. Cependant, Oreka n’était pas de cet avis. Il avait toujours voulu être sentinelle. Ma sa force, bien trop moindre, le lui interdisait. Que ferait-il s’il tombait un jour sur un groupe d’intrus ? Tout ce qu’Oreka savait faire c’était fuir. Il était passé maître dans cet art. Certes, bon nombre de loups ne savaient pas le battre à la course, cependant, les sentinelles ne fuyaient pas elles. Elles faisaient face.
Oreka soupira en la voyant s’éloigner. Puis, soudain, il eut une idée folle. Il se leva, s’ébroua pour chasser les frissons glacés qui s’en prenait à lui et parti à la suite de la louve. Il jeta derrière lui un regard pour s’assurer que personne ne le voyait filer et entreprit de courir rattraper la demoiselle. Lorsqu’il arriva dans la clairière où elle avait fait halte, il marqua un temps d’arrêt. Si cela se trouverait, elle allait le dénoncer et il aurait encore plus d’embrouilles. Il y réfléchit quelques instants avant de s’avancer, décidé. Il n’avait pas grand choses à perdre. Quand il sut qu’elle l’avait repérer et qu’elle se retourna pour le regarder, il s’arrêta.
- Heu… Salut. Moi c’est Oreka.
Dit-il la voix hésitante. Il n’avait pas l’habitude de parler aux filles.
Des jours. Des semaines, même, ce sont écoulées depuis que j'ai été séparée de mes frères. Oui, je parle encore d'eux. Je parle toujours d'eux. Et je ne cesserais de penser à eux tant que je ne les aurais pas retrouvés. Tant qu'ils ne seront pas de nouveau à mes côtés, en sécurité. Tant que je ne pourrais pas de nouveau enfouir ma tête dans l'encolure de Kuro, et tant que je ne pourrais pas de nouveau ébouriffer le pelage de Zirco' sur le sommet de son crâne, là où il déteste tant que je le fasse. Je souris à leur pensée. Encore. Mais ce sourire s'efface bien vite lorsque je me rappelle qu'ils ne sont plus là. Encore. Je soupire doucement, salut poliment chaque membre de ma meute que je croise. Ils sont tous agréables et gentils. Rares sont les Navnik désagréables, si ce n'est cette Yuki, louve particulièrement détestable que j'ai eu la malchance de rencontrer pour un entraînement de meute.
Devant la dune de sable, machinalement, je m'arrête. Ici, j'ai pu rencontrer certains de mes frères et soeurs de meute. Des loups charmants pour la plupart. Des jeunes, des plus âgés. Des mâles, des femelles. Plus le temps passe, et plus j'aime cette meute. Plus le temps passe, et moins je ne ressens l'envie de les quitter. Plus le temps passe, et plus j'espère pouvoir convaincre mes frères de venir m'y rejoindre, lorsque j'aurais retrouvé leurs traces et que je les aurais ramenés à mes côtés. J'ai peur, toujours, de ne pas les revoir. Peur de les découvrir au printemps, gelés dans la glace, ou simplement morts de froid. J'ai peur de ne jamais les retrouver, pas même éteint, au risque d'espérer jusqu'à la fin de mes jours leur retour inattendu. Je soupire doucement, puis un léger sourire étire mes babines. Je les aime. Je les aime profondément, et chaque souvenir que j'ai à leurs côtés est le plus beau de tous.
Je sors de mes pensées lorsque le sable bouge autour de moi, faisant frémir mes oreilles et tourner ma tête dans la direction du mouvement. Un jeune mâle se tient à distance, m'observant. Depuis quand est-il là, debout sur ses quatre pattes déjà bien agiles pour son âge ? M'observe-t-il depuis longtemps ? Je me tourne complètement, lentement, le dévisageant quelques secondes. Mais je me rends rapidement compte que je traîne à parler, et que peut-être j'ai affaire à un timide qui n'osera pas prendre la parole en premier. Pourtant, c'est bien lui qui me salut d'abord. Oreka. Un bien joli nom, qui m'évoque une idée positive. Un bien joli nom pour un bien jeune loup au pelage brun et aux yeux clairs. Je m'avance de quelques pas, m'extirpe de cette étrange torpeur qui me prend chaque fois que je me laisse aller à penser à mes frères disparus, et enfin se dessine sur mes babines ce sourire poli que je donne à tous les membres de ma meute.
- Et moi Shiro, enchantée, Oreka.
Voyant que le silence risque de s'éterniser, je décide de prendre rapidement les choses en pattes, n'aimant pas franchement les malaises et autres silences pesants.
- Tu m'as l'air bien jeune, n'as-tu personne avec qui t'entraîner ou étudier ?
Quelles ambitions un jeune mâle de sa carrure peut-il avoir ?
Plus les secondes passaient, plus le jeune Navnik sentait la fébrilité gagné en force. Et si elle réagissait mal ? Ne pouvait-il s’empêcher de se demander. Quand elle finit par lui révéler son nom, Oreka reprit son souffle.
- Et moi Shiro, enchantée, Oreka. Disait-elle plus exactement, mais avant même qu’elle n’eut terminé sa phrase l’apprenti laissa échapper un « Je sais. » précoce qui eut le don de l’embarrasser.
Alors qu’il se traitait mentalement de crétin, le silence revenait machiavéliquement s’éterniser. Ce fût elle qui le brisa en posant une question qui fit comprendre à Oreka qu’elle, elle ne le connaissait pas. Ni de vue, ni de nom. Il fût d’abord surpris, mais par la suite ça lui fit plaisir. Cela signifiait simplement qu’elle ne savait pas qu’elles rumeurs dénigrantes couraient le concernant. Il lui offrit un large sourire en lui répondant :
- Effectivement, je devrais m’entraîner avec mon mentor, mais celle-ci est occupée. Et puis, je voulais savoir à quoi ressemblaient les entrainements avec une sentinelle. Il passa sa langue râpeuse sur ses lèvres et continua : C’est ce que tu allais faire, non ? T’entraîner ? Si tu le souhaites… puis-je me joindre à toi ?
Hassarda-t-il, peu désireux de se faire dire non. Il voulait vraiment s’entraîner, devenir fort… Et peut-être avoir un jour la chance d’être sentinelle plutôt qu’espion.