ONE SHOT
Liam avait presque dix-neuf ans. Bien qu’il aille toutes ses dents, des capacités redoutables et une énergie que plusieurs de ces vieux ploucs avaient perdue au détour des années en trop, il était pourtant relayé à la tâche la plus ingrate qui soit pour un type plein de vitalité et d’audace comme lui : le tour de garde. Quoiqu’on puisse en dire, rester assis là à attendre de prendre racine sur cette vieille chaise rongée par la pourriture n’avait rien de valorisant. Bien sûr, protéger les vivres de tout voleur qu’ils soient bêtes ou hommes –bien que parfois il n’y ait pas vraiment de différence- était d’une importance capitale. Seulement, il s’agissait également des heures les plus longues que Liam pouvait vivre.
Alors que la lumière déclinait, le jeune homme lâcha un soupire long et grave. Le fusil posé près de lui reflétait l’éclat de la lune avec une lueur aussi cauchemardesque que les crocs de ces deux molosses enchaînés à ses pieds. Ils dormaient apparemment. Ils avaient la belle vie à ne pas devoir rester éveillés. L’humain les détailla. Musclés de partout, leurs corps étaient jalonnés de cicatrices. Ils étaient aussi laids dehors que dedans. Le garçon les avaient déjà vus à l’œuvre. Ce n’était pas des chiens comme il y avait avant. Non. Ce n’était que des colosses sanguinaires qui semblaient éprouver des envies malsaines de déchiqueter tout ce qui s’apparentait à la vie et qui avait le malheur de ne pas les nourrir.
Les heures s’écoulaient et le temps refroidissait encore d’avantage. Portant ses mains à sa bouche, Liam entreprit de réchauffer ses doigts. L’hiver était rude cette année chez les hommes. La mort avait déjà frappé à leur porte quelques semaines plutôt et la famine qu’apportait le froid n’envisageait rien de mieux à venir. Sa tâche était primordiale et il le savait. Malgré tout, il ne cessait de se dire que tout ce cirque était inutile et que, de tous ses tours de garde, il n’avait jamais eu affaire à un voleur. Cependant, quand le grondement des chiens à ses côtés le sortirent de sa rêverie, il fût prit au dépourvu.
Levant les yeux vers ce que fixaient les bêtes, Liam eut le malheur d’y voir la réserve. Y avait-il quelqu’un qui c’était glisser à l’intérieur ? Le jeune homme ravala sa salive. Tendant son bras vers l’arme appuyée près de lui, il la saisit et se leva dans un silence religieux. Alors qu’il s’approchait de la cabane, il sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine, alimenter par l’adrénaline. Arrivé au ras de la porte, il y posa les doigts et l’entrouvrit pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. N’y voyant personne aux premiers abords il décida de jouer le tout pour le tout. D’un seul coup, il l’ouvrit en grand et arma l’arme qu’il mit en joue contre son épaule. Bien qu’il ait fait vite, il dût constater que la réserve était vide. Du moins, il le croyait jusqu’à ce que quelque chose lui à toute vitesse passe au ras les genoux en le bousculant au passage. Avec un hoquet de surprise, Liam crût que son cœur se serait arrêter tant la pression était forte. Il fit volte-face en s’appuyant au mur pour s’empêcher de tomber et vit une bête tout de poils vêtus filler comme la comète vers les bois.
Réalisant rapidement ce qui venait de se passer, le garçon couru vers les chiens qui se débattaient comme des sauvages au bout des chaînes. Alors qu’il entreprenait de les détachés, l’un d’eux donna un coup si violent, que sa laisse de fer échappa aux doigts gelés de l’humain. Bientôt emplis de nouveaux ardeurs par la fuite de son compère, le deuxième se libéra également et s’enfuit dans une course effrénée derrière les deux autre canidés. Étouffant un juron, le jeune adulte entreprit de faire de grandes enjambées à sa plus grande vitesse qui était bien moindre comparée à celle des trois autres. À mi-course, le souffle lui manquait. Soudain, un gémissement aigue le fit s’arrêter. Il se trouvait à la lisière de la forêt. Il ravala sa salive et reprit sa course en essayant de ne pas oublier son courage.
Lorsqu’il trouva enfin un indice, ce fût un morceau de viande perdu dans la neige. Sans doute celui dérobé par le loup. Sachant qu’il était sur la bonne voie, il décida de continuer sa route, bien décidé à ramener ses stupides bâtards au campement. Ne prenant pas le risque de laisser le butin sur le sol, il l’emporta. Finalement, il réussit à rattraper les canidés qui avaient arrêtés leur course folle. Quand il entra dans une toute petite clairière dégagée, Liam pût y voir debout, la patte arrière sanguinolente, un loup brun-noir aux teintes obscurcies par la nuit. Son grondement semblait se perdre sous ceux des chiens qui lui rôdaient autour. Pourtant, la gueule garnie de crocs, il semblait les garder à distance malgré sa faible constitution. Cette protection ne fût que de courte durée. D’un seul mouvement, les colosses foncèrent vers la bête qui gémit sous le choc.
Sans réfléchir, Liam laissa tomber le butin et bondit vers l’avant pour empoigner fermement les chaînes des chiens qu’il tira brusquement vers l’arrière. Il leur intima un ordre qu’ils durent entendre trois fois avant d’assimiler tant ils éprouvaient l’envie de lacérer la chaire du loup. Quand finalement ils se calmèrent sans comprendre la raison de l’arrêt de leur jeu favori, l’homme eut le temps d’observer l’animal étendu, grondant, sur le sol. Ses crocs toujours visibles, il ne se levait pas cependant. Il était bien amoché et il était bien maigre. La famine avait dû faire des ravages chez lui également. Il leva son arme, prêt à abattre la bestiole d’une manière beaucoup moins lente et douloureuse que celle des chiens quand il vit le regard bleu que lui renvoyait le loup dans le viseur. D’abord surpris, il baissa le fusil de quelques centimètres pour constater que le voleur ne grognait plus. Il ne faisait que le regarder. Pris de court, Liam ravala sa salive.
C’était vraiment trop injuste. Il ne pouvait pas regarder ailleurs ? Ou bien avoir l’air d’un monstre enragé prêt à le tué ? Non, bien sûr, il devait le toiser comme un animal à l’esprit logique qui avait compris que sa vie avait atteint sa date de péremption. Lâchant un juron, Liam replaça l’arme comme il se devait, décidé à en finir. Et puis tant pis s’il le regrettait toute sa vie ! Il marqua un temps d’arrêt juste avant de déclencher la détente. Sans bouger d’un millimètre, il fit dévier ses yeux sur la pièce de viande. Sérieusement ? Cette bête allait mourir pour ça ? Il se mordit la lèvre. Aux vu de sa fuite automatique lorsqu’ils étaient encore dans la réserve, sa peur des hommes était certaine. Alors, prit le temps de se dire le jeune homme, il devait vraiment avoir besoin de cette nourriture. Comme pour appuyer cette pensée, Liam nota que la bête semblait faible.
Sans doute se trompait-il. À tous les coups il ne s’agissait que d’un animal qui n’avait pas résisté à la tentation de la nourriture… à tous les coups s’il baissait son arme, Liam se ferait avoir. Seulement… le regard du loup semblait tellement révéler autre chose… Comme s’il comprenait vraiment ce qu’il se tramait. Comme s’il avait pris ce risque en connaissance de cause. L’homme referma d’avantage son emprise dur son arme durement confronté à sa conscience. Puis, dans un dernier soupire, il baissa le canon du fusil.
Il fronça les sourcils en regardant la bête dans les yeux. Elle était blessée de toute façon… Elle allait sans doute y laisser sa peau au courant de la nuit… elle ne risquait donc pas de revenir poser problèmes non ? Il prit une inspiration. Il l’espérait à demi. Il ne souhaitait pas sa mort. Mais encore moins son retour en tant que voleur.
« File sale bête. »
Marmonna-t-il avant de lui tourner le dos et de tirer sur les chaînes des chiens pour les rappelés tout en oubliant la pièce de viande tant convoitée. Laissant également derrière lui un imbécile de loup complètement ébahi par ce qu’il venait de vivre. Et surtout… la façon dont il y avait survécu.