Toute cette agitation l’avait passablement irrité. Tout d’abord, ça n’avait été qu’un vaste fracas de pierres et de roches qui s’entrechoquaient dans un brouhaha infernal. Ensuite, un silence pesant, quelques flocons de neige voltigeant mollement jusqu’au sol. Et puis, lentement, les plaintes s’étaient élevées vers le ciel. Des feulements, des couinements, des gémissements.
Pandémonium, qui croyait pouvoir tranquillement terminer la sieste qu’il venait à peine de commencer, avait tenté d’ignorer tout ce vacarme, mais rien n’y avait fait : il était contraint de se lever pour aller voir de quoi il en retournait exactement. Il se leva mollement, bâillait de toute la largeur de ses mâchoires, et risqua un œil fatigué hors de sa cachette.
Le spectacle valait cependant le coup d’œil. A une centaine de mètres de lui, surgissant des vestiges d’une maison effondrée, quelques lynx commençaient à se traîner faiblement dans la neige. Il y avait surtout des jeunes, des petits faiblards et ils étaient tous assez amochés. Quelques félins adultes tentent de dégager leurs petits, sous les décombres.
Mais le plus impressionnant encore, ce sont les loups. Oui, il y a des loups, beaucoup de loups. Ils foncent, les uns après les autres, vers les lynx. Quelques félins se défendent avec ténacité, plantant griffes et crocs dans les chairs qui se lacèrent. La bataille est rude, mais bon nombre de ses congénères parviennent à tuer et à repartir avec leur butin. Pandémonium commence à penser à saisir sa chance.
Soudain, une ombre passe au-dessus de lui. Le loup noir atterrit à quelques mètres à peine de sa cachette, et fonce vers les lynx. Il est énorme, dans son manteau d’hiver, et le jeune Dragon reconnaît l’odeur caractéristique des Sekmet. Ainsi donc, eux aussi sont de sortie. Le jeune loup observe le noir tuer un jeune sans l’ombre d’une hésitation, avec une rapidité et une dextérité incroyables. Lui aussi, il est capable d’en faire autant. Suffit de leur montrer.

A peine le loup noir eut-il disparu de son champ de vision, que Pandémonium s’élança à son tour d’un bond agile. Cependant, il prit la direction opposée à celle du Sekmet : ce dernier ayant attiré l’attention d’un lynx adulte, Pandémonium n’avait aucune envie de se frotter aux griffes du félin de trop près. Il courut ventre à terre dans la neige, rasant le sol au mieux qu’il pouvait, sans se faire repérer. Tous les animaux étaient affairés à aider leurs congénères, personne ne faisait attention aux alentours. Pandémonium arrêta sa course derrière un énorme rocher, lorsqu’il se fut suffisamment éloigné de sa position initiale, pour examiner la situation avec davantage d’attention.
Sur la droite, le plus gros groupe de lynx adultes était présent : c’était là où il y avait le plus de geignements. Au centre, l’espace était plutôt vide. Et sur la gauche, il y avait une énorme femelle, occupée à gratter la neige sous les décombres. Rien de bien intéressant, aucune opportunité à saisir.
A moins que…

Les oreilles du jeune Dragon se redressèrent avec un vif intérêt. Il y avait quelque chose, dans la neige, juste derrière la femelle isolée. Quelque chose de petit, qui dépassait à peine, dans la poudreuse. Un souffle de vent apporta au jeune loup l’ombre auditive d’un gémissement. Il allait falloir être rapide, s’il voulait mettre en place le plan qui se profilait peu à peu dans son esprit. Mais le défi était intéressant, et un sourire carnassier vint étirer les babines de Pandémonium.
Il avait quelques centaines de mètres à parcourir dans la poudreuse pour atteindre son but. Il s’élança sans plus attendre, bondissant dans la neige profonde, poussant sur ses pattes postérieures pour gagner de l’amplitude. Il prit de la vitesse, rapidement. Lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques mètres de sa victime, il accéléra encore : le félin n’allait pas tarder à le détecter, et il fallait subtiliser le petit animal qu’elle avait laissé de côté l’espace de quelques instants. Lorsque la femelle lynx entendit le bruit de la course du loup qui fonçait derrière elle, elle se retourna vivement. Au même instant, Pandémonium plantait ses crocs dans le corps frêle du jeune prostré sur le sol avec voracité. Elle se jeta vers lui, tentant de l’intercepter, et ses griffes frôlèrent la croupe du jeune loup qui n’avait pas attendu et avait littéralement attrapé le petit au vol, en pleine course. La féline se lança à sa poursuite, mais il avait déjà gagné énormément de terrain et elle abandonna rapidement la partie dans un feulement rageur.