FAMILY'S BLOOD

AMANN

LA LIMITE ENTRE CIEL ET TERRE N'ÉTAIT PLUS VISIBLE. La neige était la corde qui les reliaient, eux, pourtant si éloignés.
Terre était ensevelie sous des mètres et des mètres de neige, si bien que le sable n'était plus visible. Sa blancheur immaculée se confondait à la voûte des cieux, maintenant invisible et recouverte par une couche de nuages.
Mes pattes glacées touchaient avec hésitation sur la surface froide, qui s'enfonçaient ensuite jusqu'aux coudes. Mon poil était mouillé et sale. Mes oreilles, plaquées contre mon crâne, se protégeaient du vent glacial qui fouettait mon visage, et des flocons qui s'accrochaient à ma fourrure.
J'étais presque impossible à remarquer dans ce décor monochrome. Mon regard livide se perdait dans les abysses infinies de l'horizon.
Mon estomac criait famine : c'était bien le seul bruit que je pouvais entendre, si ce ne fut ma respiration sifflante et le passage sourd de la neige.
Je n'étais pas le seul à souffrir de la famine. Une once de loups courageux - ou affamés - s'aventuraient dans les terres balayées par les tempêtes en quête de quelques charpies, et je faisais partie d'eux.
Des affamés, pas des courageux..
Mais c'est là que, soudainement, mes y- mon oeil qui ne scrutait déjà plus les alentours à la recherche de gibier qu'une forme, discrète, silencieuse, s'immisça dans ma vue de borgne.
Un esprit de loup en faim n'a pas le temps de réfléchir.
Par l'instinct, je m'élançais à grandes enjambées vers la vague silhouette, soulevant des volées de flocons dans mon sillage. Ma gueule entre-ouverte ne pouvait pas arrêter de saliver à la pensée d'un futur repas.
Mais voilà ; je fus bien déçu en remarquant que ce n'était pas à manger. C'était en réalité une louve, bien petite, ou bien ce fut moi qui était grand.
Elle aussi, son pelage se mariait parfaitement à l'étendue d'ivoire : tout de brun, elle mélangeait plusieurs teintes ternes et harmonieuses.
Je me stoppais net dans ma course, à quelques pas à peine de la femelle, attendant sa réaction avec une lueur d'effroi dans les yeux.

4/11/7
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AMANN

ELLE ME SCRUTAIT, ELLE OBSERVAIT MON VISAGE, ELLE M'ÉPIAIT.
Je pouvais sentir le poids de son regard, à quel point elle me mettait mal à l'aise.
Au début, ce qui me faisait peur, c'était son air agressif et sur ses gardes. Mais, en un instant, elle fut bien plus assurée. Finalement, elle devait avoir ressenti la même chose que moi.
La louve, basse mais imposante, s'enfonçait dans la neige profonde. Son pelage épais n'arrivait pas à dissimuler ses muscles saillants, et ses yeux autoritaires me firent frémir au même moment où elle passa sa langue sur ses babines..

"
Althéa, princesse Navnik, tu es ?! "

Embarrassé, c'est ce que j'étais.
Je détestais qu'on me parle.
Pourquoi ? Parce-que je n'aime pas offenser les gens, je veux dire, ne pas leur répondre. Au moins, j'avais son nom..
Althéa, donc, était une princesse de ma nouvelle meute. Ça ne m'étonnait même pas, vu sa carrure. Mais elle demandait mon nom à moi aussi, et c'est justement pour ça que je me sentais embarrassé. C'était une princesse, et.. Je me devais de lui répondre mon nom, hein ?
Tu n'avais qu'à pas te fourrer dans cette affaire, Amann. Maintenant c'est ta faute.
Hésitante, ma langue tenta une phrase simple, un mot, même.

" - A..a-am.. "

Mais tout ce qui s'échappa de ma bouche fut un gazouillement brouillon qui ne ressemblait à rien. Pitoyable que je devais sembler à Althéa.. Je venais à peine de rejoindre cette meute, mais déjà j'étais ridiculisé. Comme toujours, d'ailleurs. Ça ne change pas d'avant.
Je me raclais la gorge. Peut-être que si je lui faisais croire que j'avais une grosse toux qui m'empêchait d'articuler correctement, j'aurais une fuite à sa question ?

4/11/7

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AMANN

MAIS CE NE FUT PAS L'ÉCHAPPATOIRE QUE J'EUT ESPÉRÉ.
Althéa, donc, s'était approchée de moi et m'avait bien fait comprendre que mes paroles étaient incompréhensives. Puis elle s'était mise à faire une drôle de mimique, reculant brutalement en arrière en dévoilant légèrement ses crocs.
Et, en dernier, elle me demanda si j'étais malade.
Serais-elle aveugle ?
Avais-je l'air fatigué ?
Un malade du Sang des Cauchemars ne présente pas de toux, voyons ! J'aurais voulu le lui pester au visage, car c'était une vraie insulte pour moi ; mais je ne pouvais pas. En compensation, je fronçais les sourcils et affichait une moue indignée. En espérant que ça exprime bien mon mécontentement, car je l'étais bien, mécontent.
Je donnais un coup de patte dans la neige en remuant les oreilles. Je me demandais ce que je faisais encore ici à perdre mon temps à discuter inutilement, alors que je pourrais être à la recherche d'une rare proie.

4/11/7

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AMANN

Puis, tout en observant timidement les yeux de la princesse, une vague de honte surgit en moi. Le regard plaqué au sol, je regardais la louve que par oeillades discrètes et hésitantes. Je m'étais comporté comme un idiot ! Mais bien heureusement pour moi, le vent hostile qui passait par là l'empêchait de voir mon visage désolé.
Comment lui faire comprendre que j'étais muet ? Elle n'allait pas me renier pour un handicap qui n'est pas ma faute, si ? Réfléchissons, Amann.. Comment réagirais un loup dénué de parole ? Non, bien sûr, il ne peut pas lui dire. Je vais devoir trouver un autre moyen, aussi compliqué que ça soit. (bravo captain obvious e__e)
D'un air piteux, je lui désignais ma gorge par un regard empli de désolation. Puis je la fixais d'un oeil marri, gêné par ma fourrure flanquée contre mes joues.

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AMANN

Dans de tels jours, je préférerais brûler en enfer. Brûler en enfer plutôt que de brûler d'incompréhension. Désemparé, la raison me manquait, et l'attitude agressive ne faisait qu'accélérer le battement de mon coeur, semblant déjà exploser de ma poitrine. Mes réflexions n'urent maintenant plus rien de rationnel. Elles ne furent qu'instinctives.
Mon regard reflétait parfaitement ma désespérance, et Althéa pouvait lire dans mon esprit comme dans un livre. Je ne me cachais plus, je me soumettais totalement à elle ; que pourrais-je faire sinon fuir tel un lâche ? Mais un lâche, je ne l'étais plus. La fuite n'est pas l'option que je choisirais cette fois. Ce n'était pas une ennemie, c'était une camarade, aussi supérieure soit-elle.

4/11/7

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AMANN

Je poussais un gémissement fébril, et mon corps, grêle et rongé par la faim, roula sur la neige qui s'envola à son passage. Ma fourrure épaisse était pénétrée par le froid mordant et la surface d'ivoire sur laquelle je reposais me brûlait la peau.
Je souffrais, oui, je souffrais de l'intérieur de ne pouvoir lui répondre. Rendez-vous compte, je suis si pitoyable que même ma voix m'empêche de hurler, d'avouer ma peur et ma déception. Néanmoins, je ne fis pas le difficile et resta immobile là, sans répliquer, sans gronder, sans se rebeller. Cela n'aurait servi à rien, et puis.. Mieux vaut souffrir en silence, je suppose. Répondre à sa violence -qui, pourtant; je le voyais, était retenue- ne ferait qu'aggraver mon cas, déjà désespéré.
Ma seule réponse fut un petit reniflement et un long soupir, repoussant la neige devant mon museau pour me permettre de respirer.

4/11/7