Rien de mieux que de se reposer dans une prairie presque lumineuse avec sa tendre petite soeur, après de belles escapades entre les terres d'un monde en ruines. Je me relève après quelques heures d'un sommeil reposant, j'ouvre les yeux sur une aube claire, grisâtre, qui me donne envie de jouer à nouveau pour oublier les dépressions temporelles. Je me jette sur ma soeur encore assoupie, la réveillant en sursaut, et après avoir frappé ses côtes de mes antérieures je file à toute allure pour la pousser à me pourchasser dans la neige. J'esquive les grenats les uns après les autres, riant comme un forcené, alors que les pattes de Delta tambourinent derrière moi avec toute la colère de son réveil forcé.

Je crache la neige qu'elle m'a fait bouffer, me redresse, perds l'équilibre et recommence pour partir à sa poursuite. Je slalome entre les arbres, me frappe l'épaule sur l'un d'eux mais pas assez violemment pour me faire perdre ma trajectoire de vue. Je coupe la route de ma soeur, lui mords l'épaule et pars dans l'autre sens pour la faire courir aussi. Lorsqu'elle est assez près de moi, je freine brutalement et la percute, puis je repars de plus belle. J'escalade des roches hautes, je glisse, me rattrape et parviens à atteindre le haut après de grands efforts. Haletant, je regarde ma soeur en contre bas et lui tire une grimace pour la narguer, puis je disparais au-dessus d'elle et contourne les roches pour descendre de l'autre côté. J'espère faire le tour et la surprendre, mais elle n'est plus là lorsque j'arrive à mon point de départ. Je la cherche du regard, elle n'est certainement pas loin, elle se cache pour me tendre une embuscade.

Je m'écrase en avant sous son poids, jappe lorsque ses crocs pincent ma peau mais plus par réflexe que sous la douleur. Je me relève presque instantanément, pourtant la jeune louve s'en est allé plus vite encore et je l'ai déjà perdue de vue. Je m'élance autour de l'énorme roche, la cherche par-dessus en l'escaladant à nouveau, mais elle n'est pas en haut. Je redescends en quelques bonds agiles, frappant le sol de mes puissantes pattes lorsque j'arrive en bas. Je la cherche des yeux, hume les odeurs alentours et me mets en marche. Je commence rapidement à courir, slalomant entre les arbres en essayant de suivre les effluves caractéristiques de ma soeur. Elle est bien cachée, la fourbe. Je me traîne brusquement sous un tronc tombé là durant une probable tempête ou après la rage des hommes. Mon pelage immaculé n'est plus que poussière et saletés des bois, lorsqu'enfin je la vois. Là-bas, à quelques centaines de mètres, je suis certain que c'est elle. Je m'élance en avant, échappe à son regard vairon en usant de divers stratagèmes, me cachant tantôt sous un tronc, passant ensuite entre deux arbres encore vivants, endormis par le gel hivernal.

Je pousse violemment sur mes postérieures pour la rattraper, roulant des épaules avec hargne et conviction. Je passe à la gauche d'un arbre de justesse, le frôlant de mon flanc pour mieux charger ma soeur qui essaie de se tirer en douce. Je galope à travers les bois, raccourcissant la distance qui nous sépare. Tel une furie je fonce droit sur ma cible, comme si l'espace d'un instant je perdais tout contrôle de mes moyens et traquais ma propre famille comme une vulgaire proie dans les bois. Comme si, le temps d'une course folle, je ne voyais plus devant moi qu'une biche apeurée qui ne servirait plus tard qu'à nourrir les membres de ma meute. Je fonds sur elle, comme une flèche en direction de sa cible, et je suis certain de frapper en plein coeur lorsque j'arriverais à son niveau. Brutalement je stoppe net mon déplacement, virant à droite comme une bombe qui explose, et je traverse les arbres pour lui couper la route plus loin, la percutant si fort que son corps s'éloigne de moi à plusieurs mètres. Essoufflé, je me ramasse sur moi-même et bondis à sa rencontre pour lui mordre l'épaule sans lui infliger aucune blessure malgré tout, reprenant peu à peu le contrôle de mes émotions et sentiments pour elle.

Je prends sa suite après avoir repris mon équilibre, fonçant à travers la plaine pour la rattraper, gravissant les mêmes obstacles avec tant de précipitation que je perds l'équilibre dans la descente et roule jusqu'en bas dans un amas de roches plus petites et nettement plus douloureuses. Je vois d'ici les bleus et les courbatures qui m'attendent demain matin, pourtant je me relève immédiatement et me plie en deux lorsque le rire s'extirpe de ma gorge pour résonner dans les falaises. Je lance un regard faussement contrit à ma soeur qui, évidemment, ne manque pas de se foutre de ma chute avec autant d'entrain que moi. Je m'avance vers elle dans un sourire, clopinant à cause des graviers qui me font mal aux épaules et aux cuisses, et viens emmêler mon museau dans son encolure en signe d'affection, indiquant par la même que notre petit jeu est terminé pour aujourd'hui.