La nuit a bien avancé, je suis déjà essoufflé de notre dernière partie de cache-cache, mais le jeu en vaut la chandelle et je préfère me crever les muscles à courir derrière ma soeur, plutôt que de crever de froid dans ma tanière en attendant le lever du jour qui ne promet jamais les proies escomptées. Autant passer un peu de temps à s'amuser. Courant à ses côtés, je la pousse à coups d'épaules pour la faire changer de piste, et je passe devant pour la guider jusqu'à la fête foraine. Là, les vraies festivités commencent. Je bondis dans un manège, esquive les chevaux de bois en tournant de gauche et de droite, et traverse le cercle tournant en courant pour percuter ma soeur à l'autre bout, l'envoyant valser entre deux attractions. Je descends dans un bonds leste, la rejoins et lui mords l'échine, avant de partir en courant.

Je m'écrase lourdement dans les échardes et les planches raides qui se brisent, pourries par le temps et les intempéries. La vie reprend son cours, même lorsque les oeuvres humaines refusent de disparaître. La végétation reprend ses droits et le vent, la grêle et le soleil sont là pour détruire tout ce que l'homme prétend avoir construit. Je retire une pique de bois plantée dans mon pelage et je fonce à la poursuite de ma soeur. Je freine brutalement pour virer à gauche, m'arrête sec à un carrefour et hume les odeurs jusqu'à retrouver celle de Delta. Alors je prends la direction indiquée par mon odorat, traverse les lieux à toute allure, et finalement escalade un monticule de rails défoncés pour prendre de la hauteur sur l'endroit. De là où je me poste, j'aperçois au loin les terres des meutes, sauvages et bestiales, pleines de vie et de danger. Et puis, tout près, ma soeur. Alors je descends discrètement de mon perchoir et je coupe court à sa course, l'envoyant valser dans un coup de crocs assez violent pour la faire crier, pas assez pour faire couler son sang si précieux.

Je prends son défi au sérieux, fonds sur elle en m'attendant au choc de son corps contre le mien. Mais rien ne vient, et c'est elle qui me prend au dépourvu en glissant entre mes pattes avant pour me faire violemment rencontrer le sol neigeux dans un grognement outré. Je roule sur moi-même, me redresse vivement, lui fais face. Un sourire carnassier étire mes babines, et je fonds sur elle pour me rouler et écraser son corps avant qu'elle n'ait pu fuir, écrasant ses membres puis ses flancs pour finalement arriver de l'autre côté. Tout sourire je me relève, et pars en courant. Je m'assure qu'elle me suit, m'approche d'un arbre et me projette sur son tronc. Alors, de mes quatre pattes, je prends appui sur lui pour tomber lourdement sur ma soeur et la plaquer au sol, mordant dans son encolure avec autant de hargne que de douceur, et jamais le sang ne coule alors que nos crocs s'entrechoquent pour tenter d'atteindre l'adversaire à différents endroits. Notre seul but est de nous amuser, de nous défouler et, en option, de nous entraîner.

Je cligne plusieurs fois des yeux, voyant faiblement son visage et ne manquant pas, malgré tout, son sourire moqueur. Je me redresse alors que sa silhouette s'éloigne déjà entre les arbres, et je la prends en chasse dans la seconde. Mes pattes frappent le sol avec rage, mes oreilles plaquées contre mon crâne ne se concentrent plus que sur le son de sa course forcenée, et ce n'est que lorsque je suis assez proche d'elle que je laisse le répit à mes membres, forçant juste une fois pour la percuter violemment et enserrer sa cuisse dans ma gueule pour l'emmener rouler au sol avec moi. Je la relâche illico, me relève et pars en courant, un rire léger s'échappant d'entre mes crocs pour résonner entre les arbres et arriver jusqu'à ses oreilles, la narguant avec plaisir sans cesser de courir. Mes muscles commencent à me faire un mal de chien et je continue, malgré tout, de m'acharner à fuir ma petite soeur, qui fonce derrière moi et me rattrapera bientôt.

Elle me fait face, m'assène un bon coup de ses deux antérieures auquel je réplique par un mouvement quasiment identique, avant de m'abaisser sur l'avant pour bondir aussitôt et lui flanquer un coup de tête affectueux. Je bondis d'un pas, puis de deux, l'invitant dans un corps à corps que je déclenche en lui fonçant dessus. Je recule, saute sur la droite, et la charge encore une fois, avant de recommencer le même manège encore et encore. Mes griffes font tomber de son corps des touffes de poils ébène, et mes crocs serrent leur prise sur la peau sans blesser, alors que mes oreilles se replient contre mon crâne pour ne pas être prises au piège de ses mâchoires et que ma queue se rabat entre mes pattes postérieures pour la même raison. Je roule sur moi-même, me redresse et lui mords la gorge, puis je tourne vivement et cours sur quelques mètres. Je reviens vers elle, la harcèle, lui fiche des coups de pattes inoffensifs pour l'appeler au jeu, et ce n'est que lorsque l'air dans mes poumons me brûle de l'intérieur que je décide d'arrêter et de me calmer, m'allongeant contre ma soeur pour me reposer enfin.