Il avait couru, observé, regardé tout autour de moi pour déceler chaque information qui aurait pu lui être utile. C’était haletant que Athos était arrivé en bordure de son territoire. Il avait appris bien des choses durant ces derniers jours. Et il avait réussi à s’en échapper vivant. Il avait eu le temps pour cela de guérir de ses blessures, il était à présent indemne. Ses poils avaient repoussé sur ses blessures, seule une cicatrice sur l’épaule n’avait pas encore été totalement recouverte, mais il savait que cela n’allait pas beaucoup tarder, son ami d’enfance lui avait appris à reconnaitre ce qui disparaissait et ce qui ne disparaissait pas. Il n’était pas encore entré dans la forêt charbonneuse, mais il voyait déjà au loin les grands troncs brûlés se dresser sur son chemin, pauvres hères, vestiges d’une nature passée, détruite, ensevelie pas les différents cataclysmes et atrocités humaines ou non. Le grand loup brun décida de s’asseoir un moment avant d’entrer vraiment sur son territoire. Il fallait qu’il se calme, qu’il remette ses idées en place, qu’il reprenne un certain contrôle sur lui même.

Cette escapade chez les humains ne l’avait ni bouleversé ni traumatisé. En fait, il n’avait pas été effrayé et n’avait pas douté une seconde qu’il s’en serait sorti. Athos avait confiance en lui, mais plus encore, il avait confiance en Empress. Il savait qu’elle serait venue sauver les siens, car chacun d’entre eux était un peu son enfant. Athos avait eu du mal, au début, à comprendre cette louve, tantôt plutôt froide et mordante tantôt attentionnée et compatissante. Puis, il l’avait découverte, il l’avait observé et, chose rare, il avait fini par l’estimer bien plus qu’il ne l’imaginait. Avant cela, Athos était chez les Sekmets parce qu’il avait été recueilli par leur ancien guérisseur. Mais jamais il ne s’était senti lié à qui que ce soit de cette meute, ni même liée à la meute elle-même. Il restait pour l’instant, mais rien ne l’empêchait de partir un jour. La notion de meute était plutôt abstraite pour lui. N’ayant connu ni famille ni ami avant sa venue ici, il ne se sentait aucunement attaché à quiconque. Ses seuls amis étaient des solitaires. Puis, tout avait changé d’un coup. Il avait rencontré quelqu’un, puis il s’était familiarisé à certaines personnes, parfois en bien, parfois en mal, et il s’était formé peu à peu une image propre à chaque loup. Il savait exactement comment était chaque Sekmet selon lui. Il les avait tous examinés, un à un. De Alkaïne à Torka, de Gallya à Eesia. Certaines personnes lui avaient plutôt plu, d’autres pas du tout. C’est comme cela qu’il avait appris à connaître Empress, d’abord en l’examinant de loin, comme les autres, en notant ses gestes, ses manières, ses routines, puis en lui parlant parfois, de vie quotidienne ou de stratégie, ou tout simplement d’avenir. Il avait trouvé en elle une louve avisée et pleine d’esprit, quelqu’un de sage. Ensuite, il avait eu de sa part la meilleure, ou la pire, nouvelle de sa vie. Lui, le reclus, le bâtard, l’adopté, le rebelle de la meute, l’insoumis de toujours, avait été nommé Général par Empress elle-même. La nouvelle lui avait fait perdre ses moyens et il avait été aussi choqué que les autres, en particuliers les plus anciens qui redoutaient de voir quelqu’un d’aussi insoumis que lui atteindre un si haut grade. Et Si Athos avait profondément savouré cette revanche sur la vie, il n’en était pas moins demeuré fidèle à lui même. Loin de se reposer sur ses lauriers, il avait d’autant plus cravaché pour montrer à Empress qu’elle avait eu Raison de le choisir. Il n’avait jamais eu à prouver quoi que ce soit à qui que ce soit, et même si cela avait été le cas il ne l’aurait pas fait. Mais devant elle, et pour la remercier, il s’était démener. Stratégie, chasse, combat et meneur, telles étaient ses principales activités en tant que Général. Lui qui n’avait vraiment confiance en personne, il s’était surpris à penser, en captivité, qu’Empress viendrait délivrer les siens, qu’elle viendrait le délivrer.


Et même s’il était sorti seul de ce laboratoire, il avait continué à ne pas douter une seule seconde de son alpha.


Puis, une chose avait changé la donne. Anya. Celle qui l’avait accompagné dans sa fuite. Sur le chemin, ils avaient longuement parlé. Lui, avait commencé par descendre les Navniks, comme à son habitude, les traitant ouvertement devant Anya de lâches, de traitres, de pourritures, et tous ces jolis noms dont il les garnissait bien. Evidemment, la réaction de la Navnik avait été mordante, et la parole qui l’avait le plus frappé était :



« Tu fais bien de parler de meute toi ! Les miens par ci, les Sekmets par là !Tu me fais rire ! Ils étaient où tes Sekmets pendant que tu pourrissais dans cette cage ! »


Le grand loup brun, qui tournait toujours tout en dérision, avait pris un air sérieux à ce moment là et avait défendu Empress, essayant de prouver par tous les moyens possibles qu’il y avait une bonne raison pour qu’ils n’aient pas été délivrés par les siens. Mais les paroles d’Anya lui trottaient dans la tête depuis que les deux loups s’étaient séparés pour rejoindre leurs meutes respectives. Il avait retourné cette phrase dans sa tête, il avait essayé de se persuader que sa meute ne l’avait pas abandonné. Mais comment expliquer sinon ? Cela faisait tant de jours, des semaines peut-être qu’ils pourrissaient tous dans ces cages, et pas l’ombre d’un sauvetage en vue ! Que serait-il advenu si les Hommes avaient décidé de le liquider ? Il serait mort, comme un chien ! Tout le long du trajet pour aller de chez les Navniks aux Sekmets, Athos avait pensé à ça, et il s’était fait violence pour ne pas accuser les siens de l’avoir abandonné. Et pourtant que c’était difficile de ne pas le penser !

C’était pour ça qu’Athos avait été soulagé de croiser Blasphem. Ainsi, il n’avait pas à soutenir le regard d’Empress, il sait qu’elle aurait lu le doute en lui. Blasphem était un de ses seuls amis fidèles, et il avait pu lui parler sans détour. C’est tout en parlant à Blasphem qu’Athos avait pris une décision. Il ne rentrerait pas à l’avion. Il n’était pas prêt. Il irait en éclaireur, seul, pour découvrir encore plus d’informations tout en essayant de ne pas se faire prendre. Il était persuadé que les renforts ne tarderaient pas. Mais les jours avaient passé et il était trop risqué pour Athos de rester prêt du laboratoire. Ayant recueilli un nombre d’informations suffisant, il était reparti en direction de l’avion.


Et maintenant le voilà. Ici, en quelques foulées, il serait chez lui. Il respira un grand coup et passa dans la forêt charbonneuse. A peine entré dans les bois, il sentit l’odeur caractéristique de sa meute planer dans l’air et en huma à pleins poumons. C’est ainsi qu’il sentit une présence. Hige, celui qui avait été nommé Bras Droit quand lui même était devenu Général. Athos n’avait pas vraiment été surpris. Bien qu’un peu rigide et n’ayant pas vraiment d’esprit guerrier meneur, selon Athos, Hige était quelqu’un de sage et réfléchi. Il faisait un bon conseiller, certainement. Bien, il pourrait tout lui dire à lui avant d’aller voir Empress.


En cherchant un peu, il trouva le loup noir. Le grand loup brun s’approcha d’un pas fort et assuré, comme à son habitude. Sans détour et de sa voix volontaire habituelle, il annonça :


« Hige ! »

Il laissa le temps au loup de se rendre compte de la situation et de s’exprimer. Il était à peu près certain que Blasphem avait accompli sa mission, et qu’Empress aurait avisé Hige de son évasion.


« J’ai des informations importantes, autant en parler maintenant avec toi. »

De même, il fit une pause, pour être sûr d’avoir toute l’attention de son interlocuteur, car la suite serait lourde...

Athos avait été soulagé, mais lorsque Hige s’est avancé, il fut surpris de voir que ce dernier avait perdu un oeil, certainement lors de la bataille qui avait fait rage avant l’enlèvement des loups par les Hommes. Comme à son habitude, Athos ne montra aucune émotion et resta fidèle à lui-même, courtois avec cette témérité dans la voix. Il regarda autour de lui pendant que le loup noir s’approchait pour voir si aucune menace ne planait. Depuis qu’il était ressorti de la cage, il était de plus en plus méfiant et attentif, bien qu’il l’était déjà beaucoup avant. En voyant arriver Hige, il ne put s’empêcher de se comparer à lui, si Athos était légèrement plus grand que Hige, ce dernier avait une masse musculaire plus importante, alors qu’avant la bataille, ce n’était pas le cas. C’est là qu’Athos se rendit compte à quel point son séjour en cage l’avait plus touché qu’il ne l’aurait cru. La nourriture, le confinement, le froid, la maladie. Rien ne l’avait aidé. De images difficiles passèrent devant les yeux d’Athos. Les cages, Palladium, Anya. Les délires, le sang, les corps inertes. Et Sageeth qu’il aurait tant voulu écorcher.

Le grand loup brun se reconcentra sur son interlocuteur, le visage toujours aussi froid, mais il savait qu’Hige n’en serait pas offensé, qu’il comprendrait. Il fallait qu’Athos lui raconte tout, du début à la fin, qu’il n’omette rien, chaque détail était crucial. Il le fallait.

Hige s’exprima alors :

« Je suis heureux de voir que tu vas bien, Athos. Je me demandais où tu te trouvais, après que Blasphem soit venu me prévenir. »


Athos savait qu’Hige avait pour habitude de mettre de la distance entre lui et un interlocuteur, c’était sa nature et c’était d’ailleurs ce qu’Athos faisait aussi, à la différence que lui ne se cachait pas d’une pointe d’ironie et d’arrogance. De yeux, il suivit son Bras Droit, essayant de lire dans l’oeil qu’il lui restait. La cicatrice qu’arborait dorénavant le loup noir lui donnait un air plus vieux, plus combattant aussi, qu’il n’avait pas avant. Avant, il faisait plus apothicaire dans l’âme selon le jeune général. Mais depuis les récents évènements, Athos changeait de vision peu à peu. Sur beaucoup de sujets. Surtout sur celui de la famille. Revoir sa soeur avait eu l’effet d’un électrochoc sur lui. Il s’était senti transi, agonisant de ne pouvoir rien faire. Il aurait voulu tous les tuer parce qu’il savait que c’était à cause d’eux qu’il ne pouvait pas la voir. Mais pourquoi avait-elle choisi de rejoindre Atom ! Bien avant que Helya et Sageeth ne rejoigne Atom, Athos détestait déjà tout ce qui se rapportait à la louve blanche sinistre. Si seulement il avait pu la réduire en miettes ! Rares étaient les personnes envers qui il entretenait une telle haine, mais Atom n’était pas qu’une personne. C’était un monstre, une personne sans âme qu’il faudrait mieux détruire, une personne sans foi ni loi, sans notion de justice, d’équité ou simplement d’amour. Pour lui, elle était tout ce qui était de plus détestable au monde.

« Parles, dis moi ce que tu sais. »


Cette voix le fit revenir à la raison. Il allait tout lui raconter, étape par étape. D’abord, le laboratoire et sa fuite. Puis, les Navniks...


« J’ai deux choses principales à t’annoncer. D’abord, comme tu le vois maintenant, j’en suis réchappé. Le laboratoire est une grande habitation humaine dont une partie m’a semblée souterraine, mais il était difficile de s’en rendre compte de l’intérieur. Très peu de fenêtres pour éviter la pollution lumineuse ou tout simplement que l’air pollué n’y rentre. Les murs sont blancs et gris, ce qui permet de distinguer rapidement chaque chose qui s’y meut. Il y a trois sortes d’Hommes là-bas. D’abord, les Hommes aux Chiens. Ils restent avec les cabots, ils gardent principalement les entrées et sorties du laboratoire et sont peu armés pour pouvoir contrôler plus librement leurs bêtes. J’ai pu remarquer que la plupart d’entre eux portaient davantage des armes blanches ou des armes à faux petites et maniables. Ils ne sont pas en grand nombre, mais leurs chiens sont entraînés. Cependant, ils ont un point faible. Ils ne regardent que dehors. Aucun d’entre eux ne s’est aperçu de mon évasion, car je venais de l’intérieur. Même les chiens n’ont pas prêté attention. Aucun vent ne trahi les odeurs puisque les fenêtres et portes sont rares et ne permettent pas ou peu l’entrée du vent. Mais il y a aussi les Hommes de Guerre. Plus lourdement armés, en plus grand nombre et facilement repérables par un uniforme commun. Leur équipement ne leur permettent pas de se mouvoir rapidement, mais leurs armes ont une très longue portée et ils se baladent librement, de ce que j’ai pu voir, dans et en dehors du laboratoire. Ils sont plus nombreux que les Hommes aux Chiens, à eux seuls, on peut en compter une bonne douzaine si j’ai bien compté. Enfin, les derniers mais non les moindres, les Hommes aux Masques de Fer. Ce sont les érudits, les scientifiques du laboratoire. Ce sont eux qui nous manipulent lorsqu’on entre dans cet enfer, les autres sont seulement censés surveiller les allers et venues et surtout les potentielles intrusions. Ces Hommes en blouse blanche sont beaucoup plus nombreux. Ils ne portent aucune arme, mais des sortes de pic en fer qui leur permet d’injecter un produit pouvant nous neutraliser, voire nous tuer j’en suis sûr, dans la minute qui suit. Ce ne sont pas eux qui gèrent les problèmes liés aux rébellions. Eux, ils s’occupent de tester des produits, ou je ne sais quoi encore sur nous. J’ignore pourquoi, ils ont testé sur nous un liquide qui nous a guéri, je crois tous il me semble, de l’épidémie qui nous avait frappé. Je suis à peu près persuadé qu’ils essaient sur nous ce qu’ils voudront s’appliquer à eux mêmes plus tard. Ils nous observent, ils notent ce qu’on mange, ce qu’on boit, en quelques quantités, ils nous endorment, nous assènent des coups de bâtons-éclair. Nous sommes leurs choses et nous n’y pouvons rien une fois pris. Si nous agissons en masse, ils ne pourront rien faire, mais trop de monde attirerait les Humains plus armés. Cependant, si on attaque en petits groupes, ils seraient susceptibles de nous endormir avec leurs pics empoisonnés. »


Athos fit une petite pause. Voilà pour ce qui était des Hommes. Maintenant, le Laboratoire en lui-même.

« Le laboratoire est beaucoup plus vaste de l’intérieur à ce qu’il n’en parait à l’extérieur. Les différents couloirs sont comme les branches d’un arbre : ils se ressemblent tous et vont chacun dans des directions différentes, mais finalement, ils mènent tous au même endroit, l’entrée principale gardée par pas mal d’humains, et par où il ne faudra surtout pas entrer. De loin, j’ai pu voir plusieurs pièges à loup scintiller, des dents de fer qui se referment sur nos pattes, et cela ne m’étonnerait pas que dans certaines tranchées soient cachés des petites mines, trop petites pour être mortelles à l’Homme, mais assez pour tuer bien deux d’entre nous d’un coup. Impossible de savoir exactement où elles se trouvent, mais il faut absolument éviter ces petites tranchées.

Les cages se trouvent dans l’aile ouest du bâtiment, mais tous les loups ne sont pas au même endroit. J’ai moi-même été séparé de Palladium. Je crois pouvoir retrouver les salles une fois à l’intérieur, du moins celles dans lesquelles je suis déjà allé. S’ils n’ont pas été changés de salle, je peux assurément trouver au moins Palladium et Gallya. »

C’est tout ce qu’il pouvait dire pour l’instant. A vrai dire, il serait beaucoup plus utile sur le terrain. En effet, il était difficile de décrire les méandres de cet endroit, mais une fois à l’intérieur, Athos était certain de pouvoir se retrouver. Il laissa le temps à Hige de réagir sur ce qu’il venait de dire avant de poursuivre. Poursuivre sur sa fuite à proprement dit. Sa fuite, et les problèmes avec les Navniks qui s’en suivirent.

Après mon monologue « introductif », il laissait Hige me raconter ce qu’il avait, apparemment, complètement raté.

« J'ai effectivement pu constater le nombre d'Homme présent à l'extérieur lorsque j'ai réussi à trouver les usines. J'ai pu observer un moment également mais, le fait que tu connaisses l'intérieur nous aidera grandement. Nous préparons déjà une mission sauvetage, avec l'aide des Esobek. Nos compagnons s'entraînent et, j'ai affecté une espionne pour aller prévenir les Esobek d'une réunion stratégique à venir afin que nous nous mettons d'accord pour enfin intervenir. »

Athos soupira. Enfin, ce n’était pas trop tôt. Il l’avait attendu, lui, ce sauvetage, et presque désespérément, en se tordant de douleur dans sa cage, à l’agonie. Il tenta de ne pas y repenser. C’était décidément trop douloureux et un souvenir bien trop frais pour y repenser déjà. Lorsqu’il mentionna le nom des Esobek, je haussais un sourcil. La mission n’était décidément pas bien avancée... Mais comment faire autrement dans le même temps, il fallait tout reconstruire après la guerre, certes... Mais en tant qu’ancien captif, Athos ne pouvait que ressentir la douleur que ses frères de meutes captifs ressentaient encore, il revoyait la lueur de désespoir dans les yeux de Gallya, il ressentait ses propres toux d’agonie, lorsqu’ils n’étaient que tous les deux dans la pièce... Hige continua de parler, même si les pensées d’Athos étaient déjà bien loin.

« Par contre, je pense que Palladium et Gallya ne sont pas les deux seuls Sekmet encore captif … Eesia a disparu depuis un bon moment déjà. Je sais qu'elle cherchait activement l'endroit où vous étiez enfermé mais, elle n'est plus revenu depuis sa dernière fouille … Es-tu sûr de ne pas l'avoir sentie ? »

Le grand loup brun avait encore du mal à revenir de ses pensées, quand il entendit un nom qui semblait presque sortir d’outretombe. Eesia. Il lui semblait ne pas l’avoir vue depuis une éternité. Il se souvenait seulement de tous ces délires qu’il avait eu, dans lesquels elle était souvent présente. Athos ne put s’empêcher d’entrouvrir la bouche, comme si les mots voulaient sortir mais qu’en même temps il était si indécis qu’il ne savait que répondre. L’avait-il vu ? Bien sûr qu’il l’avait vu, il l’avait vue dans ce champs, le ventre ouvert, les yeux opalescents et inanimés. Il l’avait aussi vue, en haut de cette falaise, lui crier de venir l’aider alors que lui, incapable de bouger, restait figé au sol, se tirant lui-même, hurlant pour essayer de courir sans pour autant ne ressentir un seul de ses muscles, sans réussir à bouger ne serait-ce que l’oreille. Oui, elle l’avait hanté pendant des jours, des semaines dans les délires qu’il avait eu dans cette cage. L’avait-il senti ? Comment aurait il pu le savoir ! Il avait été incapable, pendant des jours, de discerner cauchemars et réalité. Regardant face à lui, sans toutefois regarder Hige, comme si son regard portait au travers du loup noir, les yeux dans les vagues, il répondit :

« Je ne peux pas te dire si j’ai vu Eesia, je n’en sais rien. Je serais incapable de te dire ce qu’il s’est passé durant les premières semaines de ma captivité. »

Il fit une petite pause en serrant les dents, comme s’il ressentait encore toute la douleur d’alors, comme s’il entendait encore les cliquetis des locquets des portes, les gémissements de Gallya, les cris de rage de Palladium, dans l’autre pièce.

«J’ai été touché par l’épidémie. C’est pour ça que certains d’entre nous avons été séparés du groupe des détenus. Ils ont testé sur nous des produits pour voir s’ils étaient efficaces à vaincre la maladie. Ca a été le cas pour moi, mais jusqu’alors je ne serais pas capable de te dire si j’ai vu Eesia ou non. »

Il ne lui parla pas de l’indistinction qu’il faisait entre traumatisme et réalité. Entre délires et images du passé. Il disait ce qu’il savait, il s’arrêtait à la forme. Pas au fond. Il ne voulait pas penser à ce qu’il avait vécu, seul, dans cette cellule. Et certainement pas devant quelqu’un d’autre. Hige reprit les paroles. Ses yeux se tintèrent d’un voile qu’Athos ne lui connaissait et qui attira alors toute son attention. Il grinça des dents alors que le noir tardait à lui annoncer ce qu’il avait sur le coeur. Il avait envie de le presser, de le dépêcher. Il s’était attendu aux ravages de l’Epidémie, ou au meurtre d’enfants Sekmet, ou pire, à l’enlèvement de son apprentie. Mais rien ne l’avait préparé à cette nouvelle.

« Athos, j'ai quelque chose à te dire. Empress n'est plus. La meute a été ébranlé de cette perte, c'est pour cela que nous avons prit un peu plus de temps pour préparer une équipe de sauvetage puis, l'hiver est des plus rudes et les tempêtes nous empêche d'avancer comme il se doit. La perte d'Empress est la plus lourde et beaucoup on été touché à ce moment-là. »


Les pattes d’Athos tremblèrent frénétiquement avant même que Hige annonce la suite. C’était impossible, ça ne pouvait pas l’être ! Les griffes du loup s’enfoncèrent durement dans la neige froide, on entendit sous ses crispassions la neige se broyer. Athos serra les dents, il ne regarda plus Hige, il tenta de se calmer, de ne pas perdre son sang froid. Mais il n’y était pas préparé. Athos était quelqu’un de réfléchi, mais il était aussi quelqu’un d’impétueux et lunatique. Cette nouvelle l’avait à la fois ébranlé et amené aux limites de la rage la plus extrême, ce qui arrive souvent lorsque les choses se font difficiles à supporter. Qui ? Qui avait bien pu la tuer. Athos connaissait assez Empress pour savoir que personne ne pouvait l’approcher et lui faire du mal, non seulement parce que la louve était trop maligne pour se laisser avoir, mais aussi parce que bien trop de monde veille sur elle. Il n’avait que cette question aux lèvres : Comment ? Comment est-ce que cela avait pu être possible, comment aurait-elle pu mourir, alors même que rien ne la prédestinait à s’éteindre maintenant. En avait-on une preuve. Il secoua nerveusement la tête en petits gestes de droite à gauche. Il ne pouvait y croire. Il ne pouvait pas. Alors il posa cette question qui lui brûlait les lèvres :

« Comment? »

Puis, après une seconde pause :

« En a-t-on la preuve ? »

Ces questions pourraient sembler malvenues pour de telles circonstances, mais Athos n’avait que cette idée en tête. Il ne pouvait pas imaginer qu’elle soit morte. Mais ce qui allait venir ne fut pas la plus mince des surprises...

« J'ai pris la place d'Empress. Torka reste notre Prince mais je suis désormais l'Alpha des Sekmet. Je préfère t'avertir de tout ceci maintenant avant que tu ne le découvres par toi même. Les Sekmet se reprennent enfin, ils commencent tous à ravoir espoir mais, en apprenant qu'on a enfin un moyen de libérer les autres, je suis sûr qu'ils seront encore plus motivé qu'ils ne le sont aujourd'hui. Surtout en apprenant que l'un de leur Généraux est sain et sauf. »

Athos écarquilla les yeux. Torka renoncer à son rôle de leader de la meute ? Impossible... Il repensa à sa petite apprentie Alkaïne, la noble princesse au coeur d’or et mental d’acier... ou de plomb. Comment Hige avait-il pu se retrouver Alpha ? Il n’avait rien qui l’y prédestinait pourtant, ni la carrure ni l’héritage. Mais cette nouvelle fut rapidement rattrapée par la perte d’Empress qui assombrissait encore davantage le coeur du jeune loup, déjà assombri par ses funestes moments qu’il venait de vivre.

« Voilà des nouvelles surprenantes. J’ai aussi une nouvelle à t’annoncer. Lorsque je me suis échappé du laboratoire, je n’étais pas le seul dans la pièce. Anya, la Générale Navnik, était là et a réussi a s’échapper avec moi. J’ai été blessé pendant l’évasion et avant que je n’aille me soigner, j’ai pu faire... »

Il ricana un peu en repensant à ce moment où lui, pire ennemi de la plupart des gens qui se réunissait dans le plus strict secret, avait pu assister à une réunion des plus importantes.

« Une infiltration hors des règles habituelles de l’espionnage. La Navnik m’a laissé pénétrer dans la chapelle et je suis tombé, comment dire, au meilleur moment pour moi et au pire pour eux. Ils étaient en pleine réunion de meute. J’ai pu y apprendre des choses fort intéressantes. Ce qui m’amène à te demander, que compte... »

Il allait dire Empress, mais la fièvre le retint.

« Que comptes tu faire avec eux ? Si la plupart d’entre eux refusent catégoriquement une alliance, Helya atteste qu’elle ne pourra faire que peu de choses sans notre aide ou celle des Esobek. Je pense que nous pourrions être en mesure de nous servir de toutes ces informations que j’ai appris là bas, en particulier pour les futures alliances à venir pour la libération. »

Il laissa Hige réagir avant d’en dire un peu plus. Il fallait dire que cette dernière nouvelle n’était pas moins importante...

Le grand loup brun avait toujours ce goût amer dans la bouche. Il ne voyait pas Hige comme meneur, en fait, il ne pouvait pas réaliser qu’il existe chez les Sekmets un autre meneur qu’Empress. Athos avait son opinion toute faite pour chaque membre de sa meute, il les connaissait tous plus ou moins bien, il les avait tous observés un jour ou l’autre, sur chacun il avait appris le plus qu’il le pouvait pour se faire une idée des plus précises possible sur ce que chacun était. Hige était un conseiller. Si les Sekmets avaient été un Royaume, Hige aurait peut être pu être Ministre ou grand Valet du Roi, le conseiller le plus proche de ce dernier. Cependant, il n’avait pas la carrure d’un leader. Pas selon Athos.

Pourtant, si il existait certains que Athos estimait dans sa propre meute, Hige était bien de ceux là. De ce qu’il avait pu observer, ce dernier était consciencieux, droit et juste la plupart du temps. Seulement, il ne parvenait pas à gérer ses propres émotions. Il se terrait lui-même. Il taisait et enfouissait ses propres instincts, pensées et envies tout au fond de lui-même. On aurait presque dit une machine. Pourtant, depuis qu’il s’était rapproché d’Empress, Athos avait cru apercevoir une nouvelle lueur dans les yeux de Hige. Il n’arrivait pas encore à fixer de nom dessus, mais elle existait bel et bien. Restait encore à l’identifier.

Hige le tira de ses pensées :
« J’ai pensé à faire alliance avec eux, le souci reste mon vécu avec Helya. Je sais qu'elle m'en veut énormément mais, à quel point, je l'ignore. Cela risque de ne pas être évident et il va bien falloir que tôt ou tard je lui fasse face pour que nous discutions de tout ceci. En espérant qu'elle soit disposé à m'écouter. »

Sans vraiment lui laisser le temps de répliquer, Hige, vraisemblablement avide de découvrir les informations que le Général, que Son Général lui taisait encore, continua à demander :


« As-tu appris autre chose ? »

Athos arbora un petit sourire narquois. Bien sûr qu’il avait appris autre chose. Il avait failli se faire tuer pour ce qu’il avait appris. Il avait appris, d’abord, que les Navniks étaient affaiblis et opposés sur plusieurs questions, entre autre et surtout sur la question d’une alliance avec l’une ou l’autre, ou même les deux, meute adverse. Il avait aussi appris, à sa plus ou moins grande surprise d’ailleurs, puisqu’il ne la connaissait que très peu, que Helya, l’ancienne Générale Sekmet devenue Alpha Navnik n’était pas contre une alliance ni avec les Sekmet ni avec les Esobeks. Elle et lui avaient eu le temps d’échanger quelques regards pendant cette réunion de meute. A l’arrivée d’Athos, elle avait d’abord semblé très inquiète. Mais le fait qu’Anya se porte garant du Sekmet l’avait tranquillisée et semblait même l’avoir poussée à se poser des questions sur le jeune Général. Pendant plusieurs moments de la réunion, elle l’avait observé, guettait les réactions du jeune mâle, elle semblait essayer de le sonder pour découvrir ce qu’il avait en lui. Mais Athos savait se fermer aux autres et elle ne put sûrement rien voir autre que ce qu’Athos voulait bien lui montrer.

Mais la raison pour laquelle les Sekmets avaient failli perdre leur Général était tout autre. Elle. Elle était revenue. Et en la voyant, le sang n’avait fait qu’un tour dans ses veines, il s’était mis à bouillir sur patte et seuls les regards inquiets et insistants d’Anya l’avaient ramené à la raison. Atom. Elle n’était donc pas morte. Au moment où Athos avait fait cette étonnante, même plus qu’étonnante, découverte, le loup avait cru devenir fou. Depuis combien de mois rêvait-il d’égorger en personne cette louve ! Celle qui avait détruit sa meute de l’intérieur et qui lui avait volé sa propre soeur, celle qui l’avait provoqué le jour même de leur rencontre, en ce qui aurait pu finir, à peu de choses prêts, en un combat à mort. Elle était revenue. Et pour ça Athos avait failli compromettre tout le plan qu’il avait préparé dans cette cage. Car il avait bien voulu qu’Anya l’emmène, sur ce territoire ennemi, chaque information qu’il y avait récolté était précieuse. Mais il avait été à deux doigts, deux griffes même, deux poils, de se jeter au cou de cette folle furieuse et de lui déchirer la gorge. Mais un regard d’Anya l’avait ramené à la raison. S’il faisait cela, c’était sa propre mort assurée et un incident majeur dans la libération de ses compagnons. Alors il s’était retenu, accroché au regard d’Anya en s’y plongeant fixement de manière presque inquiétante pour elle.

Alors, le jeune Général prit la parole avec un sourire néanmoins presque dur sur le visage.

« Autre chose que j’ai appris. On peut dire cela oui. D’abord, il semblerait que tes intuitions, qui n’ont pas l’air de manquer de fondement pourtant, ne soient pas vraiment justes. J’ai pu assister à la fin de leur réunion, juste au moment où ils parlaient de la libération et de leur plan pour y parvenir. J’ai pu noter que les avis divergents fortement, ils sont loin d’être unanimes sur la plupart des questions soulevées par leur chef. Ils se déchirent dans leurs réponses, ils n’y sont pas unis. Par contre, Helya a su, et je n’imaginais pas qu’elle aurait pu le faire ainsi, gérer avec calme la situation, en proposant une chose que même moi je n’aurai pas cru entendre de sa bouche. Elle a soulevé l’hypothèse que sa meute ait besoin de nous et des Esobeks pour pouvoir attaquer les Hommes et délivrer les prisonniers. Il m’a semblé qu’elle était beaucoup moins assurée sans Sageeth, évidemment, et les opinions divergent fortement quant à cette hypothèse qu’elle a soulevé. Ce sont les principales choses que j’ai pu entendre, le reste n’a qu’une moindre importance. »


Athos esquissa un autre sourire. Une faille dans leur meute, c’était fort probable... Même si Athos aimait sa soeur et appréciait Anya, il ne pouvait s’empêcher d’attiser la haine qui s’était pourtant calmée depuis la « mort » de Atom. Elle était revenue. Tout changeait.



« Et, ah oui. J’ai appris une dernière chose : Atom est vivante et bel et bien parmi les Navniks. »

Athos se figea, les yeux déjà repartis dans ces images où il avait failli la tuer.

« Il faudra dès que possible fixer ces alliances entre meute définitivement et s’accorder sur un plan d’action rapide et efficace. Mais dès qu’on le pourra, une dernière réunion de meute sera nécessaire pour répartir les tâches et informer les autres de la situation. Je sais qu’en général il n’est pas d’usage d’envoyer un haut placé pour négocier ses choses, mais étant donné que j’ai la confiance de certains d’entre eux, je pourrais peut être tenter une approche plus directe et une meilleure négociation qu’un simple espion. Je pars dès maintenant si c’est nécessaire et si tu sais déjà ce que tu veux faire des Navniks. Mais il faut faire vite. Les nôtres n’ont que trop attendu. »