Combien de temps depuis sa disparition ? Combien de jours, de semaines, de mois sont passés depuis que Saiyan a été rayé des cartes ? Combien de nuits ai-je passées seul, à penser à mon frère sans savoir où il pouvait être ? Combien de fois ai-je tenu Inka contre moi alors que nous essayions tous les deux de savoir où le troisième chainon de notre trio pouvait être passé ? Une éternité, me semble-t-il. Pourtant, ça ne fait que quelques semaines, et je sais qu'il est certainement quelque part à errer, à découvrir le monde de son propre regard. Mais la vérité, c'est qu'il me manque. Même si je jalouse mon frère pour l'intérêt que lui as porté Inka tout ce temps, je donnerais n'importe quoi pour le retrouver ou ne serait-ce que pour m'assurer qu'il va bien. Mais rien. C'est le silence le plus pesant et le plus angoissant que j'aie jamais connu jusqu'ici, qui accompagne l'absence de mon frère. Le froid dans la tanière est glacial malgré la terre qui garde la chaleur. Sans le corps de mon frère à mes côtés, je me sens comme enterré vivant, sans le souffle dont j'ai besoin pour rester en vie. Et plus le temps passe, plus la colère me hante. Sans Saiyan pour calmer mes ardeurs, je crains de finir par devenir fou. Fou de douleur et de rage. Complètement barjot. Ce qui me maintient en état pour l'heure est ma responsabilité en tant que général, mais j'ai peine à rester maître de moi-même et sans les entraînements qui me défoulent, je ne donnerais pas cher de certains loups ici-bas. Je erre, comme à mon habitude, le long des frontières de ma meute. Comme si mon frère allait rentrer, revenir parmi nous grâce à un quelconque miracle. Je surveille les environs et je guette les allées et venues de chacun, m'efforçant de veiller sur les miens malgré l'absence d'un frère qui me pèse chaque jour davantage. Je marche en silence le long des ruines de la chapelle, j'intercepte parfois des intrus et les renvoie rapidement chez eux avant qu'ils ne deviennent un danger pour l'un des membres de ma meute. Je suis le cours du sable recouvert par la neige sur la dune, et je laisse mes empreintes dans la poudreuse ou mon odeur sur les bosquets et les arbres pour rappeler à tout un chacun que les lieux sont surveillés et que partout où ils iront, je serais là pour protéger les miens. Et puis, une odeur m’interpelle justement. Une odeur qui m'est familière mais qui, en même temps, me parait bien lointaine. Je suis la piste que ma truffe m'indique et je tombe bientôt sur des traces de pattes fraîches. Quelqu'un vient de pénétrer nos terres. Je me mets à trotter, la queue haute et les sens aux aguets, humant les effluves jusqu'à trouver leur propriétaire. Quelle n'est pas ma surprise lorsque découvre la silhouette maigre mais pas moins reconnaissable de mon frère, comme un mirage en plein blizzard. Je m'approche davantage, dans son dos. Il ne m'a pas remarqué.

- Saiyan !?

Je m'approche de quelques pas supplémentaires, gardant une distance de sécurité entre l'individu et moi dans le cas où il ne serait pas celui que je crois, et je m'immobilise. Les oreilles pointées en avant, j'attends avec espoir de le voir se retourner pour me faire face.

Il se retourne enfin. Il me fait face, et j'ai tout le loisir de reconnaître dans les traits de l'intrus, les détails du visage tant aimé de mon frère. Ce frère que j'ai cherché des jours, des semaines entières. Ce frère que je n'ai jamais oublié et que j'ai longtemps pleuré, suppliant une quelconque entité supérieure pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Un long soupire de soulagement s'échappe d'entre mes babines alors que je prends réellement conscience de sa présence. Mon frère est de retour à la maison, et je suis là pour l'accueillir, comme s'il n'avait fait qu'une simple promenade de santé. Il me lance un regard étrange, comme s'il était gêné par ma présence. Comme si je l'intimidais. Il est vrai que j'ai beaucoup travaillé depuis son départ. Quoi faire d'autre sinon m'entraîner pour massacrer ceux qui me l'avaient enlevé lorsque je les retrouverais ? Alors oui, je suis peut-être intimidant. Lui m'inquiète, en revanche. Je m'approche encore, lentement, méfiant. Est-il seulement toujours le frère que j'ai connu ?

- Natan ? Oh mon dieu, ce que je suis heureux de te revoir ! Je suis tellement désolé d'être parti, je devais prendre l'air, sauf que ça a duré un peu longtemps. Excuse moi, vraiment.

Un autre soupire de soulagement. Alors tout ça était normal. Alors je me suis inquiété pour rien, il n'était pas loin et il allait bien. Les oreilles dressées dans sa direction, je bondis finalement en avant pour me projeter aux côtés de mon frère, le percutant sans pour autant lui faire perdre l'équilibre, et j'enfonce ma tête dans le pelage brun de son encolure pour profiter de son odeur désormais mêlée de solitude. Cette odeur que j'ai longtemps cherché dans la tanière, cette chaleur qui m'a tant manqué. Je respire les effluves du frère que le temps m'a pris et rendu, et dans ma tête toutes les images, toutes les horreurs que j'ai imaginé durant son absences se dissipent peu à peu pour faire place aux souvenirs de notre enfance, de notre errance, de notre trio de choc que nous allons enfin pouvoir reformer avec Inka. Oh Inka, mais comment va-t-elle réagir ? Elle l'a cherché si longtemps, elle aussi ! Je me recule, le relâche, plonge mon regard dans le sien.

- Tu nous as foutu la trouille, frangin. Inka était morte d'inquiétude ! Ne nous refais plus jamais ça !

Je ne le laisserais plus jamais seul. Je veillerais sur mon frère comme je l'ai toujours fais, et mieux encore cette fois.