Rendez-vous donné, il est temps de s'éveiller. Je m'étire longuement au sortir de ma tanière, et je veille au sommeil des miens avant de quitter les lieux dans le plus grand silence. Par chance j'ai volé suffisamment de proies aux meutes pour subvenir aux besoin de ma soeur, et mes deux frères ont eux-même pu trouver de quoi se nourrir de leur côté. Aussi nous ne souffrons plus autant de la fin, et l'hiver nous paraît moins douloureux. L'avenir me semble désormais moins incertain, plus sûr. Nous survivrons, nous passerons cette saison meurtrière et nous retrouverons notre père. Personne n'empêchera les Dragons de revenir sur le devant de la scène, là où a toujours été leur place. Je souffle dans l'air froid, et je me mets à trotter en direction du cimetière. Les lieux sont lugubres, ce qui n'a rien d'étonnant pour un cimetière, mais qui me semble malgré tout un bien sombre présage. Comme d'habitude, mon mentor est invisible. Mais je commence à le connaître, je sais qu'il est là, quelque part, tapi en attendant le moment propice pour m'attaquer et me montrer que je suis toujours aussi faible, aussi inexpérimenté. Pas cette fois, Nocturne. Je perçois un faible mouvement sur ma droite. Je fais mine de n'avoir rien vue, m'en éloigne l'air de rien. Mais je contourne l'endroit, et alors que je me trouve derrière le bosquet douteux, je bondis en avant tous crocs dehors, plongeant mes mâchoires dans l'échine de mon mentor. Pas le temps de bavarder, je connais mon boulot.

Evidemment, je valse entre les crocs de mon mentor comme un vulgaire caillou sous sa patte. Je grogne, me réceptionne comme je peux, bondis en prenant brusquement appui sur une roche plantée là depuis des décennies, et je fonds sur lui une nouvelle fois. Mon encolure emprisonnée entre ses puissantes mâchoires, je me débats violemment pour échapper à son étreinte douloureuse. Je lui écrase la patte antérieure pour détourner son attention et je relève brusquement la tête pour lui percuter la mâchoire et le forcer à se mordre lui-même, avant de filer entre ses pattes pour me dégager en douce de sous sa masse. Je ne lui laisse pas le temps de se retourner pour me faire face, je suis déjà grimpé sur son échine à essayer de lui agripper la croupe en tentant de lui faire le plus de dégâts possible à coups de griffes et de crocs rageurs. Qu'il ne croit pas que je resterais indéfiniment le bébé amnésique qu'il a essayé de tuer, parce que j'évolue de jour en jour.

Un choc violent, des étoiles qui dansent par millier devant mes yeux, et je me ressaisis au deuxième choc. Je me redresse, titube, me fais prendre par la puissance de mon mentor. Mais je n'abandonne pas, ça ne fait que commencer. Il me lâche, enserre ma patte postérieure, et je me contorsionne pour le rejoindre et lui mordre violemment l'encolure. Je sens la peau qui menace de céder, ne serre pas plus fort mais tire d'un coup sec en arrière pour le forcer à venir avec moi. Je le relâche, me redresse dans le même temps, et je bondis sur lui. Je percute son épaule, lui mords l'échine, pousse sur mes postérieures pour passer par-dessus lui et, sans lâcher sa nuque, je me renverse sur le côté pour le faire tomber à nouveau. Je lui fais face, me jette sur lui, attrape son museau fermement entre mes crocs et tente de lui maintenir la gueule fermée tandis que mes griffes viennent chercher la peau épaisse de son poitrail pour la découper.

Je finis par terre, me relève dès que le poids de mon mentor s'écarte de moi, et je bondis à sa rencontre. Je ploie sous lui, glisse avec l'élan, me faufile sous son ventre pour lui lacérer l'abdomen à coups de griffes. Je capture sa cuisse vers l'intérieure et bascule brusquement pour lui faire perdre l'équilibre. Le sang goutte sans gravité de nos plaies respectives, mais ça n'est rien comparé aux dégâts que nous ferons lorsque le niveau que Miroir des Silences veut me donner sera atteint. Je gronde férocement, roule pour me redresser sans lâcher sa cuisse, et je tire dessus de toutes mes forces pour le traîner au sol avant de lâcher ma prise pour me jeter sur sa gorge, prêt à lui arracher la jugulaire. Je ne perds pas de vue que la mort n'est pas l'issue de cette bataille, mais je suis acharné et mes crocs butent avec rage contre sa peau en arrachant des touffes de son pelage d'ébène. Mes griffes rencontrent ses flancs, son poitrail, chaque parcelle de peau qu'elles peuvent lacérer.

Entre un rocher et lui : moi. Mon corps écrasé sous sa masse. Je reste appuyé contre la pierre quand il se détache de moi, mais la fatigue gagne mes membres et je n'ai plus l'oeil aussi vif qu'au départ. Nocturne fond sur moi et me percute une nouvelle fois, me sonnant de plus belle alors que ses crocs meurtriers cherchent à déchiqueter son élève. Je gronde, me secoue, tourne la tête dans tous les sens pour essayer de me défendre et de mordre dans sa chair. Je me recroqueville une seconde, prends appui sur la roche et me propulse de toutes mes forces contre le corps de Nocturne que je force à reculer, m'écrasant sur lui en plongeant mes mâchoires rageuses dans son encolure musculeuse. Je serre si fort que le sang goutte contre mes incisives et je pousse plus fort sur mes mâchoires pour le faire souffrir un peu plus, rancunier de cet entraînement intensif qu'il me fait subir depuis des jours.