Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Boitant comme un demi-mort, je traîne ma carcasse entre les arbres. Je me savais bien faible par rapport à ce que je fus autrefois, mais j'étais loin de penser que je l'étais à ce point. Au point de me faire écraser par un foutu jeune mâle plein de fougue. Heureusement, en si peu de temps, j'ai quand même eu l'occasion d'entendre parler de certains êtres. Des loups de meute pas si loyaux que ça qui, pour des raisons que j'ignore et dont je me fiche pas mal, soignent les autres sans faire attention à l'odeur. Mais aussi et surtout, plus sûre, une louve solitaire qui soignerait n'importe qui en échange de n'importe quoi. Je me dirige vers la tanière dont j'ai entendu parler, et j'appelle de quelques grognements. Dans mon état, chaque parole m'est douloureuse et ma gorge semble avoir doublé de volume. Il me faut des soins au plus vite, et ce n'est pas notre guérisseur prisonnier des humains qui pourra m'être d'une grande aide. Je porte entre mes crocs un rat attrapé rapidement dans le garde-manger pour payer les services de la pseudo mercenaire, de ce que j'ai entendu dire ...
Prélassé sur son parterre de feuille au fond de sa tanière, Manîthil se tenait à l'écart du froid hivernal, digérant la dernière proie qu'elle a réussi à attraper avant d'entendre du bruit à l'entré. Le gamin vint l'avertir à sa manière et, Manîthil se redressa dans un grondement avant de s'ébrouer. Qui vient donc la déranger maintenant ? Encore à moitié endormi, la dame blanche sort de sa petite pièce pour rejoindre celle principal puis, l'entrée. Devant se trouve un loup tout aussi blanc qu'elle avec des yeux bleu. Il avait l'air en sale état, du sang séché se trouvant à certains endroit de son corps encore. La guérisseuse comprit alors pourquoi il se trouvait là et, à son plus grand bonheur, son patient du jour connaissait sa réputation et n'était pas venu les pattes vides … Entre ses crocs, un rat. La blanche lui sourit et d'un mouvement de tête, l'invite à entrer.
Elle lui fit signe d'aller prendre place sur l'une des paillasses de feuille, dans l'un des coins de la pièce métallique tandis qu'elle se rend dans sa réserve. Au passage, elle demande au jeune loup noir de dégager faire un tour. Elle n'aime pas l'avoir dans ses pattes pendant qu'elle s'occupe d'un patient. Une fois dans sa réserve, la dame blanche récupéra quelques plantes ainsi que l'une de ses gourdes et retourne auprès du loup portant l'odeur des Navnik pour tout entreposer près de lui.
« Et bien, tu es salement amoché. J'imagine que je n'ai pas besoin de me présenter ? Quel est ton nom ? »
En même temps, elle analyse les blessures du mâle, lui donnant une graine de pavot à manger pour calmer la douleur avant de saisir la gourde pour commencer à y faire couler sur ses plaies. Nullement besoin de lui demander ce qu'il avait, à moins bien sûr qu'il avait un mal invisible mais à ce moment là, il lui dirait. Préparant sa mixture, la belle blanche y applique son mélange sur chacune des blessures présentes.
Soins effectués:
Blessures - Graine de pavot : Insensibilisant à la douleur - Ail : Évite les infections suite à une blessure/morsure/brulure. Purifie l'estomac. - Mouron Aquatique : Limite les saignements sur une plaie. - Oseille : Favorise la guérison des blessures et brulures. - Lavande : Vertus cicatrisantes et antiseptiques
Je ne me fais pas prier lorsqu'une louve au pelage immaculé m'invite à entrer avec un sourire suffisant collé aux babines. Elle n'a pas la tête d'une louve à laquelle j'aurais envie de faire confiance, et je suis sûre qu'elle est aussi perfide qu'elle en a l'air. Mais je ne fais aucun commentaire, je ne pourrais pas même si je le voulais. Je m'assieds sur une paillasse en silence, serrant les dents pour éviter de gémir lorsque la douleur lancinante réveille mes sens et menace de s'extérioriser entre mes crocs meurtriers. J'aurais donné n'importe quoi pour avoir encore mes capacités d'antan, et encore aujourd'hui j'aimerais pouvoir fermer la gueule de ce salopard de jeunot qui a cru bon de me laisser la vie sauve en pensant certainement que je n'étais pas assez fort pour valoir le coup de prendre une vie. Je soupire en fronçant le regard alors que la louve s'avance vers moi, équipée comme une bête de somme.
- Et bien, tu es salement amoché. J'imagine que je n'ai pas besoin de me présenter ? Quel est ton nom ?
- Daren.
J'ignore si c'est vraiment nécessaire, après tout avec le monde qu'elle doit voir passer, elle aura oublié mon nom lorsque j'aurais passé l'entrée de sa tanière une seconde fois. J'espère ne pas revenir assez souvent pour qu'elle se souvienne, d'ailleurs. Mais je doute de pouvoir rester entier durant d'autres combats, tant que je serais aussi faiblard qu'un louveteau à peine sevré. Je n'esquisse plus un mouvement, avalant ce qu'elle me donne sans demander de quoi il s'agit. De toute façon je ne saurais pas dire leur utilité, alors pourquoi demander ? Je ne suis pas guérisseur et ne le serais jamais. Rester sagement dans un trou à attendre d'avoir du boulot, ce n'est pas une vocation pour moi. Non, je préfère de loin courir entre les arbres, massacrer ou me faire massacrer jusqu'à ce que la guerre m'appelle à son chevet pour la nourrir de ma haine et la faire grandir. Je soupire, serre parfois les dents lorsque la douleur est trop grande, mais elle semble diminuer au fil des minutes.
Ainsi ce charmant loup se nommait Daren ? Manîthil le nota dans un coin de sa tête, comme à chaque fois qu'elle croise un loup qu'elle soigne et voir même tout court en fait. La blanche aime connaître l'identité de ceux qui sont faces à elle, enregistrer, se souvenir d'eux, quelque chose de pratique pour plus tard, qui sait ? Si elle a eu une bonne affinité avec l'un d'entre eux, peut-être pourra-t-elle s'en servir un jour ou l'autre ? En tout cas, le mâle ne broncha pas, ou peu. Il se laissa faire tandis qu'elle lui applique les soins dont il a besoin. Comme d'habitude, la blanche s'applique dans son travail et, lorsqu'elle eut terminé, elle passa sa langue sur sa truffe et ses babines pour retirer le reste de pâte.
« Bon, avec c'que je t'ai mis, ça cicatrisera correctement mais, il va falloir te reposer quelques jours histoire d'aider ton corps. La graine que je t'ai filé fera passé la douleur une bonne dizaine ou vingtaine de minutes encore mais c'est pas pour autant que tu dois jouer les cascadeurs. Je n'aime pas travailler pour rien alors fait en sorte au moins de guérir correctement. »
Quoique, si il revient avec quelque chose en échange pour se faire soigner encore une fois, elle ne dira pas non, mais à force, elle risquerait bien d'augmenter le paiement. C'est pas comme si elle avait la flemme de sortir dans ce froid glaciale pour chercher des plantes mais … Si. Et son apprentie est un peu aux abonnées absentes dernièrement, ce qui a tendance à l'agacer. Elle qui pensait pouvoir rapidement faire étudier cette gamine pour s'en débarrasser voir l'exploiter, c'est mal barré ! Les plans de la dame blanche ne se passent pas tout à fait comme elle le désire et, en plus de cela, elle n'a même pas pu revoir sa sœur encore ! Combien de temps Leikn compte-t-elle faire la gueule ? Ça fait plusieurs mois déjà ! Cette histoire commence à réellement agacé Thil et, tôt ou tard, elle finira bel et bien par débarquer sur les terres Navnik pour la voir.
« Alors, quoi de neuf du côté des Navnik ? Vous avez récupéré vos captifs ? »
Évidemment, Manîthil sait tout, elle écoute, ci et là, s'informe, fait parler Koschei. Elle sait que, lors de la guerre, des loups ont été capturé tandis qu'elle se prélassait bien tranquillement avec Delta lors de leur retrouvaille. Et oui, pendant que certains faisaient la guerre, elle, elle passait du bon temps.
« En tout cas, je te remercie mon cher pour ce petit cadeau. »
Dit-elle d'un ton mielleux, un sourire sur ses babines en pointant la rat. Ce n'était pas grand chose mais, c'est mieux que rien du tout, surtout en cette saison !
Je la regarde, l'écoute attentivement. Rester au repos quelques jours ? Moi ? Et puis quoi encore ? Oh, c'est une guérisseuse, elle doit sûrement dire ça à tout le monde pour pousser les blessés à ne pas recommencer. En réalité ce n'est rien de grave, et sitôt que je serais de nouveau sur pattes, je compte bien retrouver ce petit con de Sekmet et lui faire sa fête. Mais pour l'heure, j'ai bien d'autres loups à fouetter, et mes blessures m'interdisent de lui sauter à la gorge. Je soupire et acquiesce. Autant la rassurer, en attendant, même si je sais que d'ici peu je serais de nouveau impliqué dans un combat, qu'il soit entraînement ou bagarre sérieuse. Pourquoi je m'arrêterais de progresser alors que je ne suis pas encore mort ? Ne sait-elle pas ce que j'ai perdu, là haut dans les montagnes ? Non, je suis stupide. Bien sûr qu'elle ne sait pas. Finalement devant mon silence, la louve immaculée change de sujet.
- Alors, quoi de neuf du côté des Navnik ? Vous avez récupéré vos captifs ?
- Je n'suis pas autorisé à te dévoiler ce genre d'informations.
Et quoi encore, elle ne veut pas les plans d'attaque et les schémas tout frais payés ?
- En tout cas, je te remercie mon cher pour ce petit cadeau.
Je vois bien l'intérêt qu'elle porte à la proie, et puisque je suis le genre de loup qui ne s'arrête pas, je crois bien que l'idée qui me vient en tête ne serait pas mauvaise. J'affiche un air complice, comme si je la connaissais depuis toujours, alors que je ne me rappelle déjà plus son nom.
- Ecoutes, je te propose un marché. Tu me soignes dès que j'en ai besoin, et moi je te fournis en nourriture et en plantes, dès que j'en trouve. Ca te va ?
Par des temps pareils, il fait toujours bon avoir un guérisseur dans sa poche ...
Pas autorisé à répondre ? C'est quoi cela, les Navnik sont devenu une organisation secrète ? Vous avez tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête qui vous empêches de parler ou, est-ce de ton propre chef que tu refuses de parler ? Ahhh … Pauvre petit loup, comme si cette réponse allait satisfaire celle qui est en train de panser tes blessures. Non vraiment, ce n'est pas la meilleur chose à faire. Manîthil n'aime pas qu'on la prenne pour une idiote. Elle n'aime pas qu'on la prenne de haut et, toi, petit avorton, tu n'es rien face à elle, tu n'es qu'un insecte qu'elle pourrait écraser en moins de deux secondes tant tu es aussi fragile qu'un nouveau né. Non cher petit Navnik, ne provoque pas le Diable qui sommeil en elle. Ne cherche pas les ennuies, tu risquerais de le regretter et, tu n'aimerais pas goûter à sa colère, personne n'aimerait … Mais elle continue de te sourire, petit chanceux ! A moins qu'elle ait quelque chose en tête, une idée perverse, quelque chose qui pourrait te faire du tord, va savoir ! Méfie-toi toujours des beaux sourires de ces dames, surtout après leur avoir refusé quelque chose ! Les femelles sont perfides, tu le sauras bien assez tôt, à moins que tu ne le saches déjà ?
Mais elle ne dit rien, elle continue de parler comme si tes dernières paroles étaient insignifiantes pour elle. De toute manière, si tu refuses de lui donner le moindre renseignement, elle ira les cueillir d'elle même car, Manîthil n'a peur de rien ni personne. Elle n'a pas peur de la mort, elle aime la morte, flirter avec, lui faire don d'âme innocente ou non. Une Faucheuse ? Par moment … Manîthil est bien des choses mais, mieux vaut ne pas le savoir …
Tu lui proposes soudainement quelque chose, un marché. Te soigner ? La prends-tu pour ton esclave ? La payer ? Tu as plutôt intérêt oui ! Car Manîthil ne fait jamais rien sans rien mon beau et qu'importe tes beaux yeux, tu ne pourras la séduire, elle ne se laisse pas séduire, elle décide de se faire séduire. Étrange petite louve … Mais elle réfléchit. Est-ce que ce marché lui convient ? Puis pourquoi elle ?
« Les Navnik sont en panne de guérisseur ? Ah non mes excuses, il est enfermé chez les Hommes il me semble, je me trompe ? En tout cas, mon beau, j'accepte. Tu as intérêt à tenir parole et me fournir nourriture et plantes. Je ne tolérais de me faire avoir. Nous avons donc un pacte, Navnik ? »
Dit-elle de sa voix mielleuse malgré la légère teinte amère et son regard scintillant de menace. Tu as voulu faire un pacte avec le Diable ? Alors, fais attention à toi. Elle sait désormais qui tu es, où tu es et, jamais elle ne te lâchera. Tu seras tel un pion, lui apportant ce dont elle a besoin pour avoir des soins et, si tu te fiches d'elle, méfie toi, ne mange jamais n'importe quoi, cela pourrait être dangereux ...
Elle semble écouter avec intérêt tout ce que j'ai à dire, analyser ce que je lui propose. Allons, qu'elle ne fasse pas la difficile ! Des marchés, il n'en pleut pas tous les jours, même pour une louve qui travaille quotidiennement avec les mercenaires. Et puis, ce n'est pas comme si je lui demandais de devenir ma compagne, je ne lui offre qu'un poste pour faire son boulot après tout, et elle ignore encore à quel point elle en aura avec moi, si elle accepte ce marché. Je ne suis pas de ces loups qui se terrent dans leurs tanières jusqu'à ce que la voie soit libre. Je suis de ceux qui sont en première ligne et que se jette au corps à corps avant même que le combat commence. Je suis de ceux qui vivent pour se battre, de ces loups téméraires qui ne demandent qu'à faire couler le sang et qui donneront le leur sans condition pour servir les membres de leur famille, de leur meute. Je suis un loup de terrain, moi.
- Les Navnik sont en panne de guérisseur ? Ah non mes excuses, il est enfermé chez les Hommes il me semble, je me trompe ?
Je me sentirais presque humilié et j'aurais probablement envie de l'attaquer si elle ne venait pas de me rafistoler, et si je n'avais pas tant besoin d'elle. Prisonnier chez les hommes, oui, mais plus pour longtemps, j'en fais le serment. Et ce ne sont pas ces bipèdes imberbes et stupides qui m'arrêteront. Je lui lance un regard en coin, guettant sa réponse avec beaucoup d'intérêt. Compte-t-elle me rabaisser et rabaisser les miens encore longtemps, ou va-t-elle enfin accepter de faire ce pour quoi elle est là, jour après jour à attendre des patients ? Le malheur des uns fait le bonheur des autres, parait-il. Les guérisseurs sont probablement la preuve irréfutable que cette rengaine est plus vraie que quoi que ce soit d'autre. N'ont-ils pas besoin de nos blessures, de nos maladies pour subsister ? N'ont-ils pas besoin de nos maux et de nos morts pour avoir une raison de vivre et de continuer à faire ce qu'ils font ?
- En tout cas, mon beau, j'accepte. Tu as intérêt à tenir parole et me fournir nourriture et plantes. Je ne tolérais de me faire avoir. Nous avons donc un pacte, Navnik ?
Je me redresse et bombe imperceptiblement le poitrail tout en plongeant mon regard cyan dans le sien.
- Nous avons un pacte.
Sans un mot de plus, je m'approche de la sortie, lançant un dernier regard à la louve immaculée, accompagné d'un sourire amusé.
- Quelques jours de repos, alors. Nous nous reverrons vite.