Douces journées que celles qui se terminent par un bel entraînement avec l'un des siens. Mais, avant de retrouver mon frère pour une bonne nuit de sommeil l'un contre l'autre, j'ai l'envie irrépressible de visiter d'autres lieux. Les terres de ma nouvelle meute ne sont pas suffisantes pour satisfaire ma curiosité de loup des montagnes, et si j'ai eu l'habitude jusque là d'étendre mon territoire autant que les neiges éternelles me le permettaient, je n'ai pas l'intention de changer mes habitudes. Je rejoins un endroit que je ne connais pas, chose facile puisque je viens d'arriver, mais dont l'odeur m'évoque autre chose que l'assurance. Je crois comprendre que j'ai quitté les terres des Navnik, et les effluves qui traînent ici n'encouragent pas à la balade. Pourtant je ne m'arrête pas, et si quelqu'un veut me faire un reproche, eh bien soit ! Je l'attends ! Je ricane doucement à la pensée d'un sentinelle quelconque qui viendrait faire son tour de garde et tomberait sur moi. Quelle joie que de montrer à tous que je ne suis pas seulement un nouveau venu, mais que je me prépare également à devenir l'un des guerriers les plus redoutables de la meute Navnik. Je m'avance plus profondément dans les terres, et lorsque l'odeur d'un loup me parvient aux narines, je n'y prends aucune garde et continue de visiter sans gêne cette terre qui m'est peut-être formellement interdite. C'est que je ne donne pas mon allégeance à n'importe qui, et j'ai tendance à ne pas obéir à quiconque se prétend supérieur à moi.

- Un problème ? Parce qu'à moins que tu ais un message à faire passer, tu peux repartir d'où tu viens.

Je redresse la tête, le fixe avec nonchalance, le toise même après quelques secondes de silence. Un message à faire passer, dit-il ? Je ricane de toutes mes dents, le regard sincèrement souriant, puis je m'avance d'un pas. Je m'arrête, aux aguets, le fixe à nouveau et plonge mes yeux cyan dans les siens. J'abaisse ma tête sous le niveau de mes épaules sans le lâcher des yeux et sans me départir de ce sourire suffisant.

- Tu n'crois pas si bien dire ...

Sans attendre qu'il réponde ou pose l'une de ces questions inutiles, je bondis à sa rencontre, fonds sur lui et le percute de tout mon poids. Autant aller droit au but, et mon but c'est justement lui. Je lui mords l'épaule en grondant, plongeant mes crocs dans sa cuirasse en essayant d'atteindre le sang, de le sentir s'écouler entre mes dents.

Je gronde sous la surface de la neige et je claque des dents en me débattant de tout mon être pour me libérer de l'étreinte du mâle. Je me relève dans un coup de bassin, me redresse et m'ébroue rapidement avant de bondir sur mon adversaire pour le mordre une seconde fois au même endroit, plongeant mes crocs dans son épaule marquée. Je sens la chair sur ma langue, mais le sang refuse de venir tout de suite. Je relève mes antérieures pour le frapper avec force et l'obliger à reculer sous ma force, pour l'obliger à me donner plus de place. Alors, sans relâcher la pression sur son épaule, je me jette en arrière pour le faire venir avec moi et balancer mes postérieures dans son thorax avec une telle violence que je sens les vibrations du choc jusque dans mes cuisses, m'engourdissant l'arrière-train l'espace d'un instant. Lui au-dessus, j'essaie malgré tout de me relever pour retrouver la prise que j'ai perdu dans notre chute brutale.

HRP:

La douleur irradie ma nuque et un cri de douleur s'échappe d'entre mes mâchoires. Je me secoue dans tous les sens sous sa force brutale, je m'agite comme une créature aquatique entre les mailles d'un filet qui tenterait de la percer. Je jappe en continu, le réflexe de mon espèce lorsqu'elle souffre. Je me remue, flanque des coups de pattes violents, des coups de griffes sanglants, et mes crocs meurtriers cherchent la chair avec frénésie. Ma voix explose entre le vide et nos corps, résonnant dans la clairière comme un appel au secours. La poudreuse vole autour de nous et l'herbe endormie devient boueuse. Lorsque je parviens enfin à plonger ma griffe dans ce qui semble être sa gueule déjà bien refermée sur ma chair, la fureur remplace le désespoir et la douleur s'oublie dans un puissant désir de vengeance. Par la force de mon antérieure, je plante mes quatre griffes dans la langue et les gencives de mon ennemi pour le forcer à ouvrir la gueule et relâcher la pression sur ma peau ensanglantée. Je me retourne dès ma nuque libérée, et mes crocs se referment sur la mâchoire supérieure de l'animal pour l'enserrer dans un étau vengeur. Je serre mes crocs autour de son museau osseux si fort que j'ai la sensation de le sentir plier sous la pression de mes mâchoires puissantes. Sans lâcher ma prise, je lance mes griffes sur son poitrail pour le labourer de toutes part et faire couler son sang dans la neige, rejoignant le mien qui goutte de ma nuque avec abondance.

Je me redresse en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je crois en mes capacités. Je suis peut-être bien plus faible qu'auparavant, mais je ne me laisserais pas avoir par tous les paumés qui se traînent dans ce nouveau monde, sur ces vallées désertiques du pied de ma montagne. Je gronde, plonge sur lui, le percute et m'écarte pour mieux le mordre par surprise, au niveau de l'échine. Je plante mes crocs dans son épaule, déchiquète sa chair quand la peau rompt sous la puissance de mes mâchoires. Je tire de toutes mes forces, le traîne, l'oblige à me suivre de côté, et je pousse brutalement pour le faire tomber en déstabilisant ses appuis. Je m'affale sur lui, les crocs toujours plantés dans son épaule, cherchant mon propre équilibre pour le relâcher et lacérer son flanc de mes griffes d'acier. Le sang coule le long de mes pattes, impossible de savoir s'il s'agit du sien ou du mien mais je n'ai pas terminé de le martyriser, loin de là.

Je m'acharne à le blesser, arrachant des lambeaux de chair avec les touffes de poils et m'efforçant de le blesser toujours plus. J'essaie d'atteindre les points vitaux, comme si je ne pouvais plus m'arrêter. Je veux que son sang coule, qu'il se mélange à la neige et qu'il la fasse rougir encore et encore. Je pince ses membres, tire sur sa peau, le traîne dans la neige et me délecte de ses gémissements de douleur pitoyables. La queue entre les pattes, il essaie probablement de se soumettre mais je n'ai pas envie d'arrêter de jouer, ça ne fait que commencer. Pourtant, lorsque son corps se ramollit doucement entre mes crocs, je me vois dans l'obligation d'arrêter cette partie de rage contre moi-même. Lui, au sol, n'est plus en état de se débattre. Et s'il ne se débat pas, il n'excite pas en moi ce désir de faire du mal. Sans cette pulsion meurtrière, je n'ai plus d'intérêt à combattre. Haletant, je m'arrête bientôt de le griffer et de le mordre. Je m'écarte, fixe son regard apeuré, et montre les crocs.

- Tu ne mérites pas de mourir comme un guerrier.

Non, il ne mérite rien du tout. Je le laisse là avec son humiliation, et je quitte les terres de cette meute que je haie désormais.