ça y est, le clan des hommes a été découvert et nous savons désormais où sont retenus prisonniers nos frères et soeurs de meute, ainsi que tous les loups qui ont été capturés durant la guerre à laquelle je n'ai pas participé. A l'époque je ne faisais pas partie de la meute, mais aujourd'hui je suis une Navnik et je serais présente lors de la libération des nôtres. Il n'est pas question que je manque à l'appel. D'autant que mon frère jumeau est toujours compté absent, et rien ne me dit que je ne le retrouverais pas parmi ces-dits prisonniers. Il a bien pu être emporté par les humains, ce jour maudit où nous avons été séparés par leurs chiens enragés et leurs bâtons de feu. Je soupire, et je rejoins le Styx où un entraînement est prévu avec une louve de ma meute. Je ne la connais pas, son nom -Yuki- ne me dit rien. Mais c'est l'occasion de devenir meilleures toutes les deux, et d'apprendre à se connaître par la même. Même si je ne me sens pas d'humeur à faire connaissance, si mon moral est au plus bas et que mon obsession quotidienne va à mes frères disparus, je n'en suis pas moins prête à tout pour devenir plus forte et pouvoir protéger et défendre les miens lorsque le temps sera venu. Pour l'heure, je me dois de m'entraîner dur chaque jour, et ça commence aujourd'hui, avec cette louve membre des miens, que j'attends désormais patiemment sur la rive du fleuve endormi par le gel. Plus loin, j'entends les oiseaux nicheurs qui piaillent faiblement dans leurs nids d'hiver.

- C'toi Douceur du Destin ?

Je me retourne lentement, mais rapidement je plaque mes oreilles sur mon crâne, étonnée par la posture offensive de la louve qui me fait face. Je ne comprends pas bien ce qu'elle cherche, et si c'est elle ma partenaire d'entraînement, je crains le pire pour la suite. En effet, son attitude ne montre aucune compassion à mon égard et je comprends bien vite que dès l'instant où j'aurais acquiescé de mon identité, elle se mettra au travail et quel travail : me casser la gueule. Si mon frère était là, elle serait déjà au sol, maintenue de force sous les crocs sauvages de mon jumeau. Mais je l'ai perdu, et j'ignore encore quand je pourrais enfin le retrouver. Alors, là au milieu du blizzard, faisant face à une louve loin d'être amicale malgré notre appartenance à la même meute, Je déglutis péniblement et je me prépare, l'espace d'un instant, à ce combat qui hurle dans mes entrailles. Et, dans le silence complet de l'hiver, je hoche la tête.

Je n'ai pas le temps de voir venir. Ses puissantes pattes me percutent et, de tout son poids, elle me coupe le souffle dans une étreinte douloureuse. Je ne tombe pas, mais je recule pour garder l'équilibre et je crache en essayant de retrouver l'air dont mes poumons ont terriblement besoin. Je jappe, me redresse malgré la souffrance qui vrille mes côtes, et je lui fais face. Elle n'attend pas, charge à nouveau. Cette fois je suis prête, reçois son coup de crocs violent dans l'épaule et me retourne tout aussi vite pour lui mordre la joue, que je ne lâche pas. Je tire douloureusement sur la peau, serrant assez fort pour lui rendre compte de ma présence si près de son oeil. Je me contorsionne pour la forcer à lâcher prise, et lorsque ma chair est libre de son étreinte je me recule vivement pour la charger de plus belle, la percutant à mon tour en essayant de plonger mes mâchoires dans son pelage épais et immaculé, cherchant la peau tendre où agripper mes crocs meurtriers.

Elle dévie aisément mon attaque, me mords douloureusement la patte, et je jappe comme pour faire comprendre qu'elle est en train d'aller trop loin, qu'elle doit ralentir, se calmer. Je me tourne pour lui montrer mon arrière train, mais je repars immédiatement à sa rencontre et lui mords l'encolure de mes crocs puissants, tirant de toutes mes forces pour la déséquilibrer et la faire tomber. Je la relâche presque aussitôt, prenant une bonne distance pour sécuriser mon corps par rapport à ses assauts violents. Je lui tourne autour, l'observant sans comprendre si elle fait bien ça pour s'entraîner ou si elle m'en veut personnellement, et finalement je comprends où est ma véritable erreur. Je réfléchis bien trop. Après tout, ne suis-je pas là également pour devenir meilleure ? Alors, comme si je combat commençait à l'instant, je commence à montrer les dents. Un grondement menaçant sort d'entre mes crocs et je bondis à sa rencontre, tous cros dehors, la rage au fond des yeux. Je ne me laisserais pas faire.

Des crocs qui grincent près de ma croupe, et mes postérieures qui frappent violemment le sol pour esquiver l'attaque. Je frappe sa mâchoire inférieure en voulant m'échapper de son étreinte, écoutant claquer ses dents les unes contre les autres alors que je m'écarte brusquement d'elle, manquant de peu ses mâchoires dans ma peau immaculée. Je prends quelques pas de distance, mais je bondis à sa rencontre tout de suite après, grondant sauvagement. Tous crocs dehors, je tente d'atteindre son encolure. Je veux l'immobiliser, mettre toute ma force dans cette offensive pour essayer de la flanquer au sol et de l'y maintenir. Alors j'aurais une chance de prendre le dessus sur cette louve sauvage dont le tempérament ne me plait guerre, même si elle pourrait bien être de ceux qui me feront davantage progresser au sein des miens. Je souffle, tends les griffes en avant, essaye de frapper son flanc pour la ralentir dans ses mouvements ou, mieux, la faire tomber. Mais je suis plus faible, et je sais que malgré toute la hargne que je mettrais dans cet échange, je n'en sortirais pas vainqueur.