J'ai quitté les terres de ma meute pour un peu de tranquillité. Vous ignorez comme il est difficile de rester stoïque face à des familles qui ne se passent pas d'effusions d'affection lorsque moi, je ne peux que les regarder et penser sans cesse à mes frères dont je n'ai toujours pas retrouvé la trace. Il est bon de savoir que mon cadet est en vie et qu'il me cherche, mais quand le Destin se décidera-t-il à croiser enfin nos chemins ? Je le cherche partout, je ne peux m'empêcher de le chercher. Je sais qu'il est là, quelque part, et tout seul de surcroît. La louve était formelle : Zirconium n'est accompagné de personne. j'ignore où est Kuro, mais il n'est pas avec notre frère et mon angoisse est grandissante. Si Kuro n'a pas retrouvé Zirco', il peut être n'importe où et il peut lui être arrivé n'importe quoi. Je soupire, pénètre les terres libres et cherche son odeur partout. Il est forcément quelque part, je ne peux croire qu'il n'est plus ici. Il ne se serait pas éloigné de notre monde sans avoir cherché partout la présence de sa famille. Ici en tout cas, dans cette plaine, je sais que mon frère n'a pas mis les pattes. Ce n'est donc encore pas aujourd'hui que je retrouverais mon frère jumeau, et mon coeur me brûle de toute cette peine que j'accumule au fil des jours qui passent sans que je puisse le trouver. De désespoir, je lance un long hurlement de ralliement vers le ciel, comme s'il pouvait entendre ma voix et comme si notre famille pouvait enfin se retrouver. Malheureusement pour moi, ce n'est pas Kuro qui se profile à l'orée des bois, et ce n'est pas davantage mon petit frère. Je fixe la silhouette sans ciller, attendant de voir ce que cherche ce solitaire dans les parages.

Pas le temps de comprendre ce qui se passe, la louve m'assaille et me percute pour me flanquer au sol. Me surplombant, elle semble particulièrement furieuse. Une solitaire complètement folle ? Ca ne m'étonnerait pas. La seule absence de ma famille me rend dingue, alors vivre en marge des meutes, cela doit en rendre plus d'un complètement maboule ... Sous sa masse, j'écarquille les yeux en serrant les dents, grondant de douleur et de surprise. Pourquoi m'attaquer comme ça, d'entrée de jeu ?

- Alors comme ça, on pille les Sekmet ?

Oups ... Pas une solitaire, donc, une Sekmet ... Comment sait-elle ? Il n'y avait pourtant personne ce jour-là, j'étais complètement seule. Je comprends alors l'inévitable : je vais devoir me battre pour ma propre survie. Je ne réponds pas, à quoi bon ? Je suis coupable et je ne sais. Je tends brusquement le cou et lui mords la gorge pour la faire déguerpir. Je me relève en vitesse et lui fais face, grondant tout autant qu'elle, et montrant les dents tandis que mon pelage se hérisse pour me rendre plus impressionnante. Non, elle me m'aura pas vivante. Je bondis en avant, la percute et plante mes griffes dans son épaules en visant son échine de mes crocs. Je perds l'équilibre mais me rattrape à sa croupe, et j'essaie de mordre dans le premier morceau de chair qui croise le chemin de mes crocs meurtriers.

Agrippée à son arrière-train, je m'efforce de plonger mes griffes dans sa chair mais les mouvements de son corps m'empêchent d'agir comme bon me semble. Je gronde de plus belle, et je jappe lorsque ses crocs se referment sur ma nuque assez fermement pour que ma peau en soit bien marquée. Je sens d'ici l'ecchymose demain matin, et la douleur qui va avec et dure souvent plusieurs jours. Je me retourne, roule sur le côté pour la forcer à me lâcher. Je projette mes pattes postérieures vers son abdomen que je percute de toute ma force pour la faire reculer, et je suis à nouveau debout. Mais je sais, je vois dans ses yeux qu'elle ne s'arrêtera pas là. Alors, j'attaque à nouveau la première. Puisque c'est une question de survie, je me dois de faire autant de dégâts que je pourrais pour avoir une chance de m'enfuir. Je plonge mes crocs dans sa joue et me renverse en arrière, l'emportant dans mon élan pour la faire passer par-dessus moi et lui faire percuter lourdement le sol.

Je me retrouve aux prises avec une louve féroce et déterminée, qui visiblement en veut à ma vie. Les crocs plantés dans ma gorge, elle m'immobilise au sol. Je ressens, au fond de moi, la frustration de la défaite et, l'espace d'un instant, je connais la colère sourde qui a toujours animé mon frère et que j'étais jusque là obligée de canaliser. J'ignore où il se trouve à présent, mais j'ai la sensation l'espace d'un instant, que sa fureur vit à travers moi. Alors, balançant violemment mes quatre pattes en même temps, je percute lourdement le corps de mon ennemie et je me tors pour la forcer à lâcher prise, m'efforçant d'ignorer la douleur violente dans ma gorge. Le souffle me manque, mais je ne cesse pas pour autant de m'agiter jusqu'à être enfin libre de son étreinte mortelle. Je me relève d'une roulage agile, fonce sur elle et mords à nouveau, son épaule cette fois, grondant férocement malgré ma queue fichée entre mes pattes, indiquant que je sais parfaitement être en tort.

Je me retrouve bientôt plaquée au sol, mais la louve ne se positionne pas au-dessus de moi, comme si elle refusait de me dominer encore ou, au pire des cas, de m'ôter la vie. Essoufflée, je la fixe de mes orbes émeraudes et j'attends la sentence. Va-t-elle épargner ma vie ? Elle gronde, menace de ses mâchoires puissantes. Les oreilles plaquées contre mon crâne, je ne la quitte pas des yeux, prête à accueillir un nouveau coup vengeur et à répondre avec tout autant de rage qu'elle. Mais rien ne vient. Rien d'autre que les grondements furieux d'une louve dont la meute a été pillée, une louve qui a traqué mon odeur tout ce temps juste pour protéger les siens et faire comprendre au monde qu'elle ne laissera pas sa meute mourir de faim pour la témérité parfois suicidaire de quelques autres loups, de meute ou pas. Sait-elle que si j'avais de l'influence, elle se risquerait dans une guerre de meute, avec de telles accusations ? Sait-elle que si je niais les faits, ce serait sa parole contre la mienne face à mes Alphas ?

- La prochaine fois que je te vois sur le territoire, j’offre ta chair aux corbeaux et prend ta fourrure comme matelas. Est-ce que je suis claire ?

Kuro aurait grondé. Kuro aurait montré les dents, se serait relevé et aurait attaqué. Kuro aurait déversé sa rage quotidienne contre cette louve au pelage immaculé qui a voulu jouer les héros et défendre l'honneur des siens. Kuro se serait battu jusqu'à la mort, et il aurait hurlé face au monde entier qu'il est innocent et que c'est une accusation à tort. Mais Kuro n'est pas là et je ne suis pas lui. Je suis une voleuse honnête. J'ai fais une erreur, j'aurais dû y réfléchir à deux fois, et je couche mes oreilles plus près de mon crâne en déglutissant pour acquiescer en silence, avant de me relever lentement sans la quitter des yeux. Me fait-elle croire que je suis libre, pour mieux m'attaquer en traître ? Je recule, fais quelques pas de côté sans la lâcher du regard, puis je pars en courant entre les arbres. Pour cette fois, il semblerait que j'ai eu de la chance. La prochaine revanche ne sera peut-être pas aussi douce ...