Durant sa longue vie d’errance solitaire, Osmium avait eu parfois affaire aux Hommes. Enfin, ils ne demeuraient que des silhouettes entr’aperçues rapidement au loin, des formes indistinctes et imprécises, cachées dans le brouillard. Osmium avait déjà pillé les Hommes, une fois ou deux, par paresse plus que par nécessité. Or, galopant depuis de longues minutes dans le froid, c’était là-bas qu’elle se rendait. Ses foulées amples fendaient la poudreuse sous ses coussinets, et son souffle saccadé s’échappait de sa gueule entr’ouverte en volutes de fumée opaque. Ramener à manger sur le territoire Esobek lui ferait faire un peu d’exercice et, en plus de ça, cela lui permettrait de se faire bien voir et de s’intégrer plus facilement.
Elle arriva au sommet d’une colline, surplombant le village Bipède. Contemplant les maisons qui s’entassaient en contrebas, Osmium évalua la distance qui la séparait d’elles. Dans un enclos, elle pouvait apercevoir des chèvres et des moutons statiques, visiblement paralysés par le froid, simples petits points sales sur l’immensité blanche qui s’étendait devant elle.
Les battements de son cœur commencèrent à se calmer et elle reprit son souffle. Elle attendit encore quelques secondes avant de s’élancer, le temps que son rythme cardiaque revienne parfaitement à la normale.

Elle bondit dans la neige, sauta par-dessus un tronc d’arbre mort, et dévala la pente à toute vitesse dans des geysers de poudreuse. Une fois en bas, elle s’arrêta quelques instants, les sens en alerte : aucun bruit ne se faisait entendre dans l’air glacé du matin. Elle trottina donc rapidement jusqu’à l’enclos des moutons, qu’elle avait préalablement repéré. Se faufilant sous la clôture avec adresse, elle se retrouva face à une dizaine de moutons qui la regardèrent avec un air stupide. Il s’écoula quelques secondes avant que le troupeau ne s’éloigne au grand galop, peinant à courir dans la neige épaisse. Osmium s’élança à leur poursuite, bondissant dans la neige au lieu de courir bêtement pour économiser ses forces. Elle gagnait du terrain sur les herbivores paniqués qui commençaient à se disperser. Les uns couraient vers le nord, d’autres vers le sud, d’autres encore faisaient demi-tour, quelques-uns se percutaient même. C’était une véritable cohue au milieu de laquelle la jeune louve était un peu perdue. Un peu au hasard, elle jeta son dévolu sur un des moutons qui passait près d’elle. Se jetant de toute sa force contre l’animal, elle tenta de le terrasser grâce à son poids. Mais la prise était mauvaise, et ses crocs plantés dans la laine et non dans la chair, l’arrachèrent et elle retomba à la renverse. Elle cracha la toison du mouton sur le sol, répugnée par cette matière étrange.
Elle ne disposait pas de beaucoup de temps avant que ce remue-ménage n’attire l’attention.

Pillage:

Il fallait faire vite : la jeune louve se redressa rapidement, et s’élança à la poursuite d’un second mouton, qui se mit à bêler à qui mieux-mieux, littéralement terrorisé. La course-poursuite dura quelques minutes, durant lesquelles l’herbivore tenta de semer la prédatrice à grand renforts de zigzags, de petits bonds et de tournants serrés. Mais rien n’y fit : la louve ne lâchait pas l’affaire, elle suivait chacun de ses mouvements avec une précision diabolique, ondulant au même rythme que lui, suivant chacune de ses traces. Elle parvint même à l’acculer dans un coin de l’enclos, et le mouton tremblait en bêlant faiblement. Ses yeux noirs la fixaient, emplis de terreur et la louve savoura cet instant durant quelques secondes avant de se jeter à sa gorge dans un grondement sauvage. Le mouton se débattit, le contact des crocs dans sa gorge le fit paniquer encore davantage.
C’est alors qu’une détonation retentit. Un geyser de neige s’éleva juste à côté de la louve, qui lâcha prise instinctivement. Il n’en fallut pas plus à sa proie qui se releva et galopa à l’autre bout de l’enclos. Figée sur place, la louve ne tenta même pas de l’arrêter. Une seconde détonation retentit, et cette fois le geyser vint éclabousser son museau. A travers les barrières de l’enclos, elle put voir deux Bipèdes qui couraient vers elle. Ce n’était pas bon signe du tout. Elle se rua vers la palissade, glissant dessous avec dextérité. Dans la précipitation, son épaule se heurta au bois, lui arrachant un couinement de douleur. Qu’importe ! Le bois vola en éclats après une nouvelle détonation, mais elle était déjà de l’autre côté, galopant comme une furie vers la forêt.

Pillage:

Il fallait qu'elle retente sa chance : il était hors de question qu'elle demeure le ventre creux pour les prochaines semaines à venir. Elle s'était donc dirigée rapidement jusqu'au village des Hommes, bien décidée à ramener quelque chose de comestible pour le garde-manger Esobek.
De même que la fois précédente, ses yeux vairons scrutèrent avec intérêt le parc des moutons. Mais, à sa grande surprise, plus aucune toison blanche ne parcourait l'enclos recouvert de neige. Les Bipèdes les avaient-ils mis en lieu sûr ? Ou bien ses compatriotes loups, dont les traces souillaient encore la neige, avaient mis fin au petit troupeau ?
Frustrée, Osmium dû se rabattre vers le poulailler. Elle dévala la pente à toute vitesse, bondissant lestement dans la poudreuse. Arrivée en bas, un mouvement sur sa gauche attira son attention. Elle tourna vivement la tête, ses yeux se rivant sur le corps du chien qui trottinait à une centaine de mètres à peine. Instinctivement, elle s'aplatit sur la neige à la vitesse de l'éclair. Le vent était contre elle, ce qui favorisait son camouflage olfactif. Le coeur battant, le regard rivé sur le chien, elle ne bougeait plus d'un centimètre.
Le canidé passa tranquillement sans l'apercevoir.

Pillage:

Elle attendit encore quelques minutes avant de se remettre droite, au cas où le chien tenterait une feinte pour mieux la surprendre : ces animaux, malgré leur air stupide, étaient bien loin de l'être. Une fois qu'elle fut certaine d'être bel et bien seule, la jeune louve s'élança vers ce qu'elle présumait être le poulailler. Avisant un passage sous le grillage qui semblait avoir été mal rebouché, elle se mit à creuser frénétiquement la neige et la terre gelée avec force. A l'intérieur, les volatiles semblaient avoir détecté sa présence et ça commençait à piailler de panique. Osmium grogna d'impatience devant ce trou qui ne s'élargissait que trop lentement, et les piaillements de ses victimes ne faisaient qu'attiser son excitation et sa convoitise.
Manque de chance pour elle, la porte d'une des maisons s'ouvrit, et elle du abandonner son ouvrage acharné. D'un bond furtif, elle se plaqua contre le bois du poulailler, frémissante. Un Bipède sortit : elle pouvait entendre ses pas peu discrets faire crisser la neige. Il se dirigeait vers elle. La louve banda ses muscles, prête à tenter l'impossible pour déguerpir, mais l'Homme s'arrêta. Il fit demi-tour et le bruit de ses pas s'atténua jusqu'à s'éteindre tout à fait. Il allait revenir, tôt ou tard, puisqu'il n'était pas retourné dans son abri. Elle ne bénéficierait peut-être pas d'une troisième chance.

Pillage:

Osmium se remit donc à son travail, avec encore davantage d'acharnement. Le trou finit par s'élargir suffisamment pour lui livrer passage et elle se glissa dans l'ouverture avec la souplesse d'un serpent. Les cris des poulets s'étaient un peu calmés, mais en voyant la louve faire irruption dans le poulailler, ils reprirent de plus belle, avec un niveau sonore bien supérieur à celui qu'ils avaient démontré précédemment.
Osmium fonça dans le tas, sans se poser de question : avec toute cette viande facile d'accès, il était inutile d'élaborer une stratégie précise. Elle dût cependant effectuer quelques bonds dans la cohue, les volatiles n'étant pas décidés à lui offrir un repas. Les mâchoires claquaient, les plumes volaient, les cris fusaient. Lorsqu'elle parvint à enfoncer brutalement ses crocs dans l'un des cous qui ne cessaient de se trémousser sous son nez, un jappement de victoire lui échappa.
Sans demander son reste, elle s'échappa par le même chemin qu'elle avait prit à l'aller, courant ventre à terre jusqu'à la forêt.

Pillage:

La jeune louve avait décidé de remettre le pillage au menu du jour. Bien qu’elle eu ouï dire que les réserves des Bipèdes étaient presque vides, elle désirait tout de même tenter sa chance. Qui ne tente rien n’a rien, n’est-ce pas ?
Il faisait nuit noire, lorsqu’elle dévala la pente qui la menait au village. Sa vision nocturne, parfaitement adaptée, lui permettait de déceler le moindre mouvement à cinq cent mètres à la ronde. Inutile de préciser qu’on ne pouvait pas la surprendre, à ce stade de la nuit. Elle trotta rapidement, le ventre au ras du sol, parmi les abris humains, ignorant superbement le clapier, le poulailler et les enclos vides. Il n’y avait plus âme qui vive, dans ce garde-manger-ci. Son odorat surdéveloppé la mena rapidement jusqu’à une sorte de cabane, hermétiquement fermée, dont s’échappaient les effluves délectables de nourriture. Elle fit le tour de l’objet, cherchant une entrée, mais tout était détestablement fermé.
Elle se dressa donc sur ses pattes postérieures, appuyant ses antérieurs sur le bois humide et poussa de toutes ses forces. Le bois gémit, tandis qu’elle poussait de plus belle, de plus en plus fort. La planche bougeait avec de plus en plus d’amplitude et, le froid la rendant raide, un craquement sonore finit par saluer la victoire de la louve noire.
Mais le travail n’était pas terminé : si le bois avait craqué, il n’y avait pas encore d’ouverture assez grande pour qu’elle puisse s’y glisser. Saisissant la planche entre ses mâchoires, elle s’arc-bouta contre le bois gelé et, tirant sur son arrière-train, détacha la planche avec une violence inouïe. Autre craquement, qui risquait de la faire repérer. Peu importait. Elle se coula dans l’ouverture.
L’intérieur était très réduit, elle tenait à peine dedans. Un peu surélevé par rapport au sol, un poisson au fumet délectable siégeait sur une table, juste devant elle. Se dressant à nouveau sur deux pattes, elle l’attrapa entre ses mâchoires et se laissa retomber sur le sol.

Pillage:

Non contente d’avoir réussi son coup, et n’entendant rien venir, la louve noire décida de perpétuer son larcin et de faire d’une pierre deux coups. Suspendus contre le mur, bien plus hauts que le poisson précédemment usurpé, se tenaient de nombreux congénères à sa proie précédente. Ils la regardaient tous de leur œil vide, semblant la narguer. Osmium sauta vers eux, de nombreuses fois : bandant ses muscles, détendant ses postérieurs, ses mâchoires claquaient obstinément dans le vide et elle retombait systématiquement sur le sol, bredouille.
Elle réfléchit donc à un moyen de faire descendre ces poissons appétissants de leur perchoir. On n’avait jamais vu ça : chasser des poissons comme des oiseaux ! Elle se mit donc en tête de les faire tomber en faisant trembler l’habitacle. Elle prit donc son élan – ou du moins, quelques pas étant donné la restriction d’espace qui lui était attribué – et se jeta contre la paroi, de toute sa puissance. Toute la cabane trembla, et les poissons avec. Elle réitéra l’opération plusieurs fois : la cabane était parcourue de soubresauts, et les poissons entamaient un mouvement de va-et-vient, tanguant dangereusement au-dessus de la tête de la louve.
Pour ne rien vous cacher, cette entreprise faisait un raffut d’enfer, mais Osmium ignorait les risques, trop concentrée sur son objectif final. Au bout d’une dizaine de coup d’épaules savamment distribués, elle parvint enfin à faire choir l’objet de sa convoitise : se détachant du fil où il était pendu, un poisson chuta sur le dos de la prédatrice, la faisant brusquement sursauter. Elle se débarrassa du passager clandestin en s’ébrouant et constata le fruit de son travail avec une certaine fierté.

Pillage:

L’opération s’étant avérée comme un succès, Osmium était bien partie pour attraper tous ces poissons un par un, et ce jusqu’au bout de la nuit. Le jeu l’enchantait, et à présent qu’elle avait compris le principe, il s’avérait que se nourrir devenait un jeu d’enfant. Elle s’élança donc à nouveau contre la paroi. Une fois, deux fois, elle en oubliait presque toute prudence. Presque, heureusement. Le bruit d’une course sur la neige l’arrêta brutalement dans son entreprise. Quelqu’un – ou quelque chose – accourait. Il n’y avait donc pas de temps à perdre ! Elle avait été stupide de se croire seule au monde, oubliant toute méfiance. Elle risquait à présent d’en payer les frais. Elle ramassa à la hâte sa pitance, et se glissa difficilement dans l’ouverture qu’elle avait aménagée sommairement.
Il était temps ! Ses yeux croisèrent immédiatement la trajectoire d’un Bipède qui accourait, émettant toutes sortes de bruits particulièrement désagréables et agitant ses longues pattes vers le ciel. Osmium ne décela aucune trace d’arme, donc pas de risque qu’on lui fasse du mal. Les Bipèdes ne sont pas rapides, pas de raison donc de trop se presser vu la distance à laquelle celui-ci se trouvait.
Brutalement, quelque chose de froid la heurta. Elle sursauta, le poil hérissé, ses babines se relevant sur ses crocs enfoncés dans ses deux poissons. La neige lui bouchait une oreille : cette saloperie de Bipède lui balançait de la neige ! Soit, elle allait déguerpir ! Elle se détourna de la cabane, et d’un bond agile elle s’élança droit devant elle, galopant rapidement jusqu’à l’orée de la forêt.

Pillage: