La faim poussait toujours dehors dit-on... Noire en était bel et bien témoin. Aussi silencieuse qu'une poussière qui vient se poser dans un oeil et va vous gêner pendant des secondes et des secondes, Noire se mouvait entre les buissons, droit vers les terres Sekmets. Elle s'était résolue après de maintes réflexions, à se rendre jusque là-bas pour tenter de dénicher quelques proies. Une suffirait, tant qu'elle ne tombait pas sur un Sekmet. La raclée que Torka lui avait infligé la dernière fois lui avait bien suffit.
Elle se faufila donc entre les fourrés, jusqu'à la limite du territoire de la meute, et n'hésita qu'une seconde avant d'y pénétrer. Elle sentit un frisson lui remonter le long de l'échine, mais serra les mâchoires et continua sa progression, tous les sens en alerte.
Elle remontait la piste d'un campagnol, lorsqu'une odeur ennemie lui parvint. Aussitôt paniquée, elle voulut dévier son chemin et se retrouva alors, malencontreusement, en face à face avec un Sekmet. 
Cependant, la solitaire lâcha un énorme soupir, sans pour autant détendre ses muscles. Il s'agissait là d'une jeune louve, aux yeux d'émeraude comme ceux de Véga, et au pelage brun, noir et blanc. Noire la dévisagea de haut en bas. Elle était assise, plantée là dans cette clairière, sans un mot.
Alors, la solitaire resta silencieuse à son tour, attendant que cette petite daigne lui parler la première. Elle n'avait pas envie de se justifier auprès d'un mioche.

La petite louve semblait plutôt sage pour son jeune âge. Elle garda les babines serrées, malgré le petit sourire qui s'y afficha, et ne tenta pas de chasser la solitaire en montrant tous ses petits muscles ridicules. Elle ne se mit pas non plus à raconter sa vie de louveteau, ce qui aurait rapidement fait rouler les yeux de Noire. Au contraire, elle garda le silence, si bien que la femelle au pelage de jais sentit ses frissons lui courir le long de l'échine.
Les deux louves s'observaient, et Noire en vint même à penser que cette gamine ne pouvait, ou ne savait, pas parler. C'était bien possible après tout. Mais la petite louve aux yeux verts avait surtout l'air très intelligente. De plus, Noire doutait fortement que les Sekmets et leurs manières barbares auraient gardé au sein de leur meute un louveteau muet.
N'y tenant plus, la solitaire finit par lâcher de son habituel ton bourru :

"Qu'est-ce que t'as à me fixer comme ça ? Tu t'es paumée ?"

Elle gronda, le museau plissé en une grimace agacée, mais doutait fortement de l'impression qu'elle allait donner à cette louve. Elle ne semblait pas par le silence, le serait-elle par les paroles ?

La petite femelle au pelage étrange ne répondit pas tout de suite. Noire en profita pour l'étudier de plus près. Ses yeux étaient verts, sa pelisse un mélange de brun, de noir, et de blanc. C'était une fourrure formidable, la solitaire n'en avait jamais vu de telle. La sienne à côté, de ce noir uniforme, semblait bien ridicule. Mais peu lui importait le physique et l'apparence aux yeux des autres. Pour Noire, tout n'était qu'une question de survie. Être aimée et admirée, elle s'en fichait bien.

"Je ne suis jamais perdue sur mon territoire. Et puis, si tu sais que je te fixes c'est que tu fais de même, je pourrais donc tout aussi bien te retourner la question."

La solitaire sentit ses babines frémir. Ha, cette gamine voulait jouer à la plus maligne ? La queue de Noire s'agita, fouettant l'air avec un bruit sec. Les Sekmets se prenaient toujours bien trop au sérieux, surtout les louveteaux en son genre. Noire en avait déjà croisé deux. Oma'reth et... Un autre dont elle ne se souvenait plus du nom. Celle-ci était pire que les deux autres, mais la femelle au pelage corbeau se sentait prête à la mater, rien qu'avec des mots. Cependant, si elle poussait le bouchon trop loin, elle n'hésiterait pas à utiliser ses griffes aiguisées.

"Les autres louveteaux de ta meute se perdent sur leur terre. L'un d'eux m'a même supplié de l'aider. Vous n'êtes tous que de sales geignards incapables de se bouger le derrière lorsqu'il le faut."

C'était la vérité, Noire l'avait toujours pensé. Avec l'enfance qu'elle avait eu, elle se sentait au moins différentes de tous ses autres louveteaux pourris-gâtés et bien trop protégés. Elle, au moins, avait été autonome très rapidement.

"Mais je ne suis pas les autres moi. Vois-tu. Et à ce que je sache, celle qui se plaint, là, c'est toi. Tu te plains des autres louveteaux."

Un petit sourire malin s'était affiché sur le visage multicolore de la femelle. Elle ne cillait pas, ne tremblait pas, n'avait pas peur de l'allure hostile de la solitaire. Pourtant, si Noire le voulait, elle n'avait qu'à lever sa patte griffue et l'envoyer dans la tête de la Sekmet pour la tuer. Ou bien la mordre à la gorge, cela dépendait. Cependant, Noire savait que si elle faisait cela, et que la meute devinait qu'elle était la responsable de la meute... Elle serait en grand danger, et risquait alors la mort assurée. Et franchement, elle en avait déjà assez de devoir supporter la famine, alors en plus une bande de fous à ses trousses pour le meurtre d'une sale gamine...

"Je me plains parce que tu m'énerves petite folle. Tu n'es peut-être pas "les autres" comme tu dis, mais tu restes un louveteau, et une idiote."

La femelle cracha les dernière mots sur le ton de la moquerie, malgré son agacement toujours profond. Elle se sentait un peu vexée que cette petite lui réponde sur un ton aussi hautain, mais n'en laissa rien paraître. Au contraire, elle redressa un peu la tête, le regard furieux, les pattes bien campées dans la neige pour s'empêcher de la frapper.

Elle gardait toujours son calme ardent, chose qui avait le dont d'énerver la solitaire, toujours. Ses petits yeux verts l'observaient inlassablement, et elle n'y décelait aucune trace de peur. Juste de l'agacement, et ce calme qui l'horripilait.

"Si c'est pour insulter les autres tu ferais mieux de te taire."

Et sur ces mots elle se leva, s'ébroua, et fit mine de s'en aller. Noire, soudain prise d'un élan de colère, décida de ne surtout pas la laisser filer comme ça. Le pelage hérissé par la rage, elle se précipita derrière la louve, et lui hurla au-visage :

"De quel droit me donnes-tu des ordres à MOI ?"

Les babines retroussées, les muscles tendus, la louve ressemblait quelque peu à une vieille folle, une sorcière prête à jeter un sort à un vilain enfant. Un autre solitaire aurait laissé couler les paroles, et serait parti sans demander son reste, avec le seul désir de trouver de la nourriture, mais pas Noire. Noire n'aimait pas qu'on lui parle sur ce ton. La rage au ventre, elle attendit que l'autre daigne lui réponde, pour pouvoir déchainer toute sa colère.

La petite tenta de se montrer elle aussi hostile, de ne pas paraître faible et fragile, mais Noire la surplombait de toute sa hauteur. Elle était bien plus âgée, expérimentée, forte aussi. Cependant, elle devait admettre que cette petite Sekmet avait du cran. Elle était restée calme jusque là, malgré son insolence irritante.

"Comme si tu étais assez spéciale. Tu es peut-être solitaire, mais n'est pas indemnisée des ordres. Tu sais, s'il y avait une sentinelle, elle te ferais t'en aller. Soit un ordre. Mais ne confond pas ordres et conseils, suggestions."

Noire n'avait même plus envie de répondre. Avec un grondement, elle leva brusquement la patte et l'envoya dans la figure de la jeune femelle. Ses griffes l'éraflèrent à peine, mais le coussinet claqua contre son visage d'un geste vif. Voilà qui la ferait rougir pendant quelques temps, mais le sang n'avait presque pas coulé. Noire respectait le cran de cette petite femelle. Elle s'en tiendrait là, ne lui ferait pas plus de mal, ne répondrait plus. Elle était sortie pour chasser, remplir son ventre, pas pour tuer les louveteaux insolents ou même leur faire la leçon. 
Alors, après avoir jeté un dernier coup d'oeil à la femelle au pelage étrange, elle se détourna et quitta la clairière, en quête de nourriture. Si elle voulait se plaindre à ses géniteurs, crier qu'une solitaire au pelage noir et aux yeux jaunes l'avait frappée, qu'elle le fasse. Noire savait qu'elle serait probablement reconnue, par Blasphem ou Oma'reth, ou bien encore la louve qui avait intercepté son pillage. Mais tant pis. 
De toute manière, avec les projets qu'elle avait en tête... Elle ne resterait plus solitaire très longtemps. Et à ce moment-là, elle serait à tout jamais protégée.

[Fin ? Tu peux répondre encore une fois si tu veux, mais je te laisse archiver ^^]