Je viens d'avoir six mois. Depuis tout ce temps, j'ai été couvé et caché par ma mère. Cela fait trois mois que j'ai rejoins les Sekmet, puisqu'avant je vivais en solitaire avec mon père. Lorsque j'ai été ramené à elle, Foudre Sinistre m'a repris entre ses pattes comme si je ne l'avais jamais quitté. Mais c'est elle qui m'a abandonne, je le sais parce que Mâchoires Sanglantes me l'a dit. J'ai toujours craint et respecté mon père. C'était un sentiment viscéral, il fallait que j'ai peur de lui pour sauver ma vie. Pourtant, il ne m'a jamais fait de mal, du plus loin que remontent mes souvenirs. Il est froid et distant, mais il m'a permis de vivre et en ça, je lui dois tout. Lorsqu'il m'a déposé entre les pattes de Nilaya, je n'ai pas compris ce qu'il faisait, mais j'ai eu peur de poser la question et je me suis tus. Aujourd'hui, j'ai appris certaines choses. Je sais par exemple que Nilaya est ma mère, et elle m'a raconté que Beren avait voulu ma mort autrefois.

Depuis que j'ai rejoinds les Sekmet, j'ai grandis, et j'ai beaucoup changé. Physiquement, je suis devenu plus grand et je dépasse certains louveteaux de mon âge. Mon pelage est toujours aussi sombre que les abysses les plus profondes. Mon regard, aussi luisant que la pierre d'émeraude la plus pure, est vif et intelligent. Mais tout comme mon allure physique, j'ai évolué mentalement. Dans le mauvais sens du terme pour un louveteau ordinaire, et dans le bon sens pour un Sekmet. Je suis devenu plus fort, plus rapide et plus agile. J'ai participé à ma première chasse avec brio, j'ai traqué des odeurs dans la forêt, et aie retrouvé l'adulte qui s'était caché pour l'examen. J'ai de quoi être fier de mes prouesses de louvard. Mais il me manque toujours quelque chose de primordial pour ma formation : un mentor. Hors, je n'ai pas encore rencontré les adultes guerriers susceptibles de prendre en pattes le jeune loup que je suis.

Il était tard dans la nuit lorsque j'ai quitté la tanière de ma mère, mais je découvre à présent qu'en fait, il était juste très tôt le matin. Le soleil commence déjà à faire son apparition au-dessus des arbres, tandis que j'arpente la forêt à la recherche d'une nouvelle curiosité à observer. Impétueux, je fonce à travers les bois lorsque je hume les effluves d'un étrangers à ma meute. Mais à l'instant où je déboule dans une clairière et que je tombe truffe à truffe avec un grand mâle adulte, je me rends compte que je ne devrais pas être ici, j'ai quitté les terres de ma meute depuis plusieurs kilomètres, et je suis en danger.

Qu'à cela ne tienne! Je fonce vers ce grand mâles tous crocs dehors, sans gronder pour autant, l'air sûr de moi et déterminé. Mais dans ma course, en le fixant, je vois bien qu'il s'intéresse bien plus aux cailloux qui brillent à nos pattes, qu'à ma présence insignifiante. Piqué au vif, je me prépare à l'attaquer dès que j'arriverais à son niveau, même si je n'ai aucune chance. Mais l'intérêt qu'il porte aux pierres sur le sol, atteint finalement ma curiosité. Et lorsque j'arrive en trottinant à ses côtés, sans même lui porter un regard, je souffle doucement :

- Qu'est-ce que c'est?

Je tente de rester discret, des fois que ces choses soient des ennemies de ma meute et qu'il me faille me battre contre elles...

Je sens le regard de l'adulte posé sur moi, mais je fixe intensément ces étranges choses par terre. J'ignore d'où elles viennent, d'après l'inconnu elles sont apprécié des humains. A ce mot, mon poil s'hérisse naturellement. De l'impatience mêlée à un sentiment de danger s'insinuent en moi dans un cocktail particulier. Je ressens des frissons partout dans mon corps et une envie soudaine de détaler me prend, mais puisque le grand mâle reste impassible, mon coeur ralentit sa course et ma peur me quitte rapidement. Le loup est grand, comparé à moi et je me sens encore minuscule du haut de mes six mois de vie. j'aimerais pouvoir grandir soudainement et devenir immense et fort pour pouvoir me battre et tuer mes adversaires sans pitié. Ma mère dit que j'ai encore beaucoup à apprendre, pourtant Mâchoires Sanglantes m'a toujours appris que la mort était maîtresse de sûreté, et qu'il valait mieux abattre les doutes avant de leur donner la possibilité de prendre contenance.

Le mâle adulte me regarde encore un moment, puis il prend l'initiative de me donner son nom. Kiriac, ça ne me dit rien du tout. J'ignore d'où il vient, mais il n'est pas l'un des miens. Ou alors il s'est terré au fond des bois depuis trois mois, parce que je ne l'ai jamais vu et ma mère ne m'a jamais présenté son odeur lorsqu'elle venait m'apprendre à reconnaître les membres de ma meute. Je me souviens alors de tout ce que j'ai appris pendant ces semaines que j'ai passées enfermé dans la tanière maternelle. Tous les jours, elle venait avec une nouvelle odeur sur elle et m'incitait à la humer. Ensuite, elle me montrait la position à prendre si un jour je rencontrais le loup ou la louve portait cette odeur. J'étais curieux et j'apprenais vite. Lorsque je suis sorti la première fois, j'ai su reconnaître les odeurs des loups qui se tenaient autour de la tanière et j'ai su prendre les bonnes positions sans hésitation, même si la soumission n'est pas ma spécialité.

- On m'appelle Plume Intrépide.

Je ne relève toutefois pas les yeux de ces étranges "pierres" comme il les appelle. Sont-ce des choses vivantes? Dangereuses? Amicales? Comment savoir? D'où viennent-elles? Quelle est leur utilité en ce monde? Car oui, s'il y une chose que ma mère m'a appris dès les premiers temps, c'est que chaque être à sa place dans le monde, et que nous avons tous un rôle à tenir durant notre passage sur Terre. Je m'avance d'un pas, lentement, puis d'un autre. Je tends au maximum mon museau vers l'une des "pierres" et je hume son parfum, mais je ne lui trouve rien d'extraordinaire. Je recule ensuite vers Kiriac puisque la chose n'esquisse pas le moindre mouvement, et rien ne se passe. Enfin, je lève les yeux vers le grand mâle.

- Est-ce que ces "pierres" sont vivantes? Pourquoi sont-elles là? Elles se mangent? Ma mère ne m'en a jamais montré. Je dois fuir? Me soumettre? Me battre?

Visiblement, l'adulte près de moi n'as pas la moindre peur de ces objets inconnus convoités par les hommes. Je soupire finalement, conforté par l'assurance du mâle à mes côtés. Il est détendu, comme si dans le monde rien ne pouvait l'atteindre. Moi, je ne suis qu'un jeune loup de six mois et je dois craindre l'extérieur ne permanence, parce que je suis trop grand pour me cacher encore sous les pattes de ma mère, et trop petit pour être capable de me débrouiller seul. Vu comme ça, six mois est probablement l'âge le plus compliqué à avoir... Kiriac tourne ses yeux clairs dans ma direction et m'explique qu'hormis leur couleur unique au monde, ces cailloux n'ont strictement rien de particulier. Il reste ensuite silencieux un instant, mais pas suffisamment longtemps pour me laisser le temps de parler à nouveau, et semble me taquiner volontairement. Je penche la tête sur le côté en le regardant dans les yeux, d'abord hésitant, et finalement sûr de moi. Il me cherche.

- Bien sûr que non. Qui aurait peur de simples cailloux?

Je hausse la tête avec dédain, comme si sa question était vraiment stupide. Après cet instant de fausse complicité, je devrais repartir pour rejoindre les miens, tout en me méfiant jusqu'au bout de l'étranger. Cependant, sa face lupine si amicale me donne envie de rester là pour en apprendre davantage sur lui. Et qui sait, peut-être que je pourrais trouver en l'observant quelques techniques à apprendre et à imiter au camp pour impressionner les autres? Alors que je m'étais assis près de lui, je me relève et m'avance vers les pierres. J'en renifle une, puis brusquement je la prends entre mes dents et je la jette en l'air, pensant qu'elle retombera à quelques centimètres de moi. Je regarde sa trajectoire dans le ciel, et au lieu de rejoindre le sol autour de moi, je la vois se diriger lourdement vers le mâle adulte. Elle percute sa tête et je lâche une grimace de douleur pour lui en me passant d'instinct la patte sur le crâne et en accompagnant mon geste d'un "outch" représentatif. Je rentre ensuite ma tête dans mes épaules, sachant pertinemment que j'ai fais une connerie et que je vais sûrement m'en prendre une bonne, et je recule d'un pas, la queue entre les pattes.

- Désolé...

Ma voix hésitante, mes oreilles plaquées contre mon crâne, mon corps ramassé sur lui-même, tout semble indiqué que je sais à quoi m'attendre, et que je suis prêt à recevoir ma raclée sans broncher parce que je la sais méritée. Je fuis le regard du grand mâle, comme ma mère m'a appris à le faire lorsque je me tiens face à un haut gradé. Moi qui voulais seulement m'amuser un peu et montrer que je n'avais pas peur...

Alors que je cligne des yeux en m’attendant à recevoir une morsure ou au moins des grondements m’ordonnant de me soumettre en me couchant au sol, voilà que Kiriac me reproche ouvertement mon attitude. Alors quoi ? J’aurais dû lui en balancer une autre, peut-être ? Malgré ces pensées, je m’abstiens et j’obéis, me redressant sur mes pattes et pointant mes oreilles en avant. Il a raison après tout. Je ne dois soumission à personne d’autre que mon Alpha. Même les autres adultes de ma meute ont du mal à me contenir, alors pourquoi me rabaisser si facilement face à un parfait inconnu ? Ben… Justement parce que c’est un inconnu, en fait. Je ne le connais pas, il aurait très bien pu fondre sur moi et me déchiqueter vivant, s’il avait voulu. En fait, je suppose que ma réaction instinctive était seulement une mesure de précaution, dans le cas où le mâle aurait mal réagi suite à mon offensive imprévue.

Je n’ai cependant pas le temps de répondre, à nouveau, parce que Kiriac sourit à nouveau et m’invite à le combattre. Non mais il est malade ? Il doit facilement faire trois jeunes de mon gabarit ! J’ai beau être plus grand et plus costaud que les louvards de mon âge, j’suis pas non plus un mutan, hein ! Un coup de patte bien placé de sa part, et ma tête se dévisse de mon cou ! Est-ce que je suis suicidaire ? Certainement pas. Est-ce que j’ai peur du danger ? Absolument pas. Est-ce que suis du genre à prendre des risques inconsidérés ? Très probablement. Dans un léger sourire, je sens ma queue commencer à remuer et je me met en position de jeu.

- Je suis la terreur des Sekmet, tu vas regretter de me l’avoir proposé !

Je suis amical dans mes propos, mais ils restent des menaces malgré tout, parce que Kiriac ne me connait pas et il ne sait pas à quel point je suis un louveteau… La seconde d’après, je fonds sur le mâle adulte et je lui attrape l’échine en m’élevant sur mes pattes arrière pour l’atteindre plus facilement. Je serre les dents autour de sa peau comme mes parents me l’ont appris, suffisamment fort pour maintenir ma prise mais pas assez pour lui faire mal.

Je suis probablement un peu prétentieux… Ok ! Je le suis même à grande dose ! Alors que je pensais tenir mon adversaire assez fermement pour ne pas lui laisser la possibilité de se libérer, voilà que l’adulte parvient à déplacer son corps –et le miens avec puisque j’y suis accroché de toutes mes dents- de manière à pouvoir poser sa puissante patte sur le haut de ma tête. Je lâche un gémissement de surprise mais je ne lâche pas prise, comme je l’ai toujours appris. Il se moque ouvertement de moi, et je grogne d’indignation. Quel culot ! S’il n’était pas aussi gros, j’aurais plus de chances !

En appuyant sur ma tête il me force à le libérer, et fait un bond en arrière pour prendre de la distance. Je me relève en le toisant, cherchant un point faible à exploiter pour le terrasser. C’est un mâle adulte, aussi sa force est bien plus évoluée que la mienne. Mais j’ai encore mes chances, parce qu’il est plus imposant et plus lourd que moi. Je peux réussir à l’avoir en jouant sur l’agilité et la rapidité, ce que j’ai naturellement en tant que jeune loup. Mais avant que j’aie le temps de faire quoi que ce soit, je me retrouve coincé dans la terre, sous la puissante patte de Kiriac. Je lâche un grognement désapprobateur digne du plus capricieux louveteau, et je tente de me dégager en me secouant dans tous les sens, en vain.

Il me donne alors le conseil auquel j’avais pensé seul, mais que je n’ai pas eu le temps de mettre en pratique puisqu’il s’est avéré plus rapide que ce que j’avais pensé. Je serre les dents, boudeur, mais je persévère pour me libérer de sa force. Il me libère cependant de son plein gré et me tourne autour comme lorsque nous courant après les hordes de gibier pour analyser les plus forts et les plus faibles, juste avant une chasse en meute. Je gronde, comme un bébé, mais je gronde tout de même. Je n’aime pas sa façon de se comporter face à moi, comme s’il m’était supérieur. Pourtant c’est ce qu’il est, supérieur, mais je n’aime pas cette idée. Un Sekmet digne de ce nom abat ses victimes aisément. Il ne se permet pas des jeux amicaux avec un parfait inconnu qui ne fait même pas partie de sa meute.

Ce détail ne m’empêche pourtant pas de continuer. Moi qui cherchais un mentor, ce grand loup gris pourrait bien m’apporter des bases supplémentaires que les autres de mon âge n’ont pas encore acquises, et tout ce qui peut me permettre de les surpasser est le bienvenu. Alors je le regarde à mon tour pendant qu’il me tourne autour, et je vois dans son trot que l’une de ses pattes s’élève très légèrement plus longtemps que les trois autres. Ma chance est là. Je commence à trottiner à mon tour mais sur de minuscules cercles, juste pour suivre ses mouvements. Et lorsque cette dite patte est en l’air, je me rue sur l’adulte et attrape sa patte parallèle pour lui faire perdre l’équilibre, le poussant avec mon arrière-train pour m’assurer de sa chute. Je souris pendant ma manœuvre, l’air satisfait parce que je suis très fier de moi.