Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Véga n'aimait pas beaucoup se rapprocher des structures humaines. Elle était toujours méfiante envers ces bipèdes, d'autant plus qu'ils avaient capturés quelques loups récemment, mais il fallait qu'elle se nourrisse par n'importe quel moyen. Le froid qui s'était abattu sur les terres avait emporté la plupart des proies et il devenait difficile de chasser et de survivre, d'autant plus pour les solitaires. Véga avait faim depuis plusieurs jours. Ne trouvant pas la moindre trace de vie lors de ses chasses, elle avait fini par céder à la tentation d'aller voler de quoi se nourrir chez les hommes. C'était un pari risqué, mais elle ne pouvait pas rester à attendre que le froid et la faim aient raison d'elle. Il fallait absolument qu'elle reparte avec une proie aujourd'hui !
S'approchant lentement de la bergerie, la louve se dissimula derrière une clôture brisée. Il fallait qu'elle soit la plus discrète possible. Entre les molosses et les hommes, elle pouvait très facilement basculer du statut de prédateur à celui de la proie. Derrière les planches de bois qui protégeaient l'enclos, elle entendait les bêlements paisibles des moutons. Se concentrant, Véga tacha de les oublier. Elle ne devait pas céder à ses instincts primaires, sa vie en dépendait.
Au moment ou elle commença à avancer et à s'approcher lentement de la clôture ou étaient gardés les appétissants moutons, un aboiement puissant et guttural retentit. Véga ne sut pas si il lui était adressé à elle ou à un autre chien qui serait passé trop près du premier, mais elle préféra ne pas prendre de risque. La faim la tenaillait mais tant pis, elle reviendrait plus tard.
Reculant lentement, la louve se faufila à travers les barrières pour repartir en direction de sa cachette. Dans quelques heures, elle ressayerait.
La louve était revenue quelques heures plus tard, au beau milieu de la nuit. Une épaisse couche de neige était tombée entre temps, qui ne facilitait pas ses déplacements, mais elle il alla quand même, dans l'espoir que rien ni personne ne remarquerait sa présence. Ses pattes s’enfonçant légèrement dans la neige sur son passage, elle se fit la plus discrète possible jusqu'à ce qu'elle atteigne la clôture ou étaient gardés les moutons.
Lorsqu'elle fut presque arrivé jusqu'à la clôture, elle entendit un bruit métallique et singulier à l’intérieur de la bergerie. Son museau pointé en l'air, elle en conclu qu'il s'agissait d'humains. Que faisaient t-ils à l’intérieur à une heure pareille ? Elle espérait qu'ils n'avaient pas remarqué sa présence. Quoi qu'il en soit, elle ne pouvait pas se permettre d'y entrer si ils étaient là. Grondant tout bas, Véga repartit une seconde fois d’où elle venait. Tant pis, elle repasserait encore, et ce jusqu'à ce qu'elle puisse repartir avec un de ces moutons.
Le jour s'était définitivement levé lorsqu'elle repartit en direction de la bergerie. S'y rendre en pleine journée n'était pas forcement une très bonne idée, mais elle ne pouvait pas attendre que la nuit soit tombée. Avec un peu de chance, les humains seraient trop occupés pour surveiller leurs troupeaux. Tôt ce matin, elle avait vu une patrouille sortir du village avec leurs chiens. Il y avait peu d'espoir pour qu'ils aient emmenés tous les molosses du camps avec eux, mais elle comptait bien profiter de l’absence de ceux-ci pour s’infiltrer discrètement dans la bergerie.
Elle reprit le même chemin qui menait jusqu'aux barrière, attentive au moindre son. L'odeur des moutons lui chatouillait le museau d'ici. S'approchant de la clôture, Véga jeta un œil à l’intérieur avant de s'y faufiler discrètement. La pièce ou elle entra était sombre et chaude. Elle avait une odeur de paille et de viande qui lui mit l'eau à la bouche. S'approchant de l'enclos ou étaient gardés les moutons, elle entendit soudainement des bruits de pas qui se dirigeaient vers elle. La porte du fond s'ouvrit avec un craquement. Sans même prendre le temps de voir qui était entré, la louve fauve bondit en arrière afin de reprendre le chemin par lequel elle était venue. C'était moins une... Songea t-elle une fois dehors. Son cœur battait à tout rompre. Il fallait absolument qu'elle fasse attention.
La neige était tombée entretemps, recouvrant les traces de pas qu'elle avait laissé à force de faire des aller-retours. Tant mieux, cela la rendrait plus difficile à pister, bien qu'elle allait devoir se frayer un nouveau chemin. Véga avait vu les hommes revenir au camp avec leurs chiens un peu plus tôt dans la soirée, mais comme la nuit commençait à tomber, elle décida de retourner à la charge pendant qu'ils étaient occupés à décharger leur camion.
Créant un nouveau chemin dans la neige, Véga s'avança rapidement jusqu'à la bergerie. Près de la clôture, elle essaya de regarder à l’intérieur pour s'assurer qu'aucun humain ne viendrait la déranger cette fois. Malheureusement, elle entendit des voix raisonner à l’intérieur. Ce n'était pas encore le bon moment... Retournant sur ses pas, la louve partit la queue basse jusqu'à sa cachette. Combien de temps allait-elle encore tenir à ce rythme ?
Sans se décourager, la louve fauve était à nouveau revenue près du village des hommes. Que ce soit aujourd'hui ou demain, elle restait persuadée qu'elle réussirait à leur dérober un mouton. Proche de la barrière, la louve l'avait d'abord longée pour s'assurer que personne n'était à proximité, puis elle avait aventuré sa tête à l’intérieur de la bergerie.
Il n'y avait pas de bruit, mais une lumière vacillait au dessus d'un établi en bois, preuve qu'un humain ne tarderait pas à arriver. Véga recula. Pas la peine d'entrer si elle n'avait pas le temps de tuer un mouton et de s'enfuir. Un seul faux pas, et elle était morte.
La louve sentait d'ici l'odeur chaude et succulente des moutons, de l'autre coté de la clôture. Résister à leur parfum par précaution était difficile. Bon nombre de fois, elle avait voulu se jeter dans la bergerie et y faire un carnage, tant pis pour les hommes et leurs chiens, mais cela aurait sans doute été son dernier repas. Près des barrières humaines, Véga entendait leurs déplacements à l’intérieur. Ce devait être l'heure à laquelle ils les nourrissaient. Décidément, chaque fois qu'elle rodait dans les alentours, il n'y avait pas un seul instant ou elle se retrouvait seule avec les moutons. Au moins, elle pouvait s'estimer chanceuse de ne pas avoir été repérée jusque là...
Lorsqu'elle revint, la nuit, d’épais flocons de neige tombaient sur le sol et sur sa fourrure. Véga espérait que cela aurait découragés les humains à garder leurs moutons, mais ces derniers devaient tenir à leurs bêtes. Près de la clôture, elle entendait la voix distinctes de deux d'entre eux. Ils n'étaient pas tout proches de l'enclos, cependant, sa présence risquait d'affoler les moutons et donc de les faire venir. Elle n'allait pas prendre le risque que les deux humains soient armés. Reculant, la louve repartit d’où elle venait. Ce ne serait pas encore pour ce soir.
Une épaisse couche de neige recouvrait le sol lorsqu'elle repartit en direction de la bergerie. Au loin, elle entendait les aboiements des chiens. Sans être trop proches, ceux-ci devaient tout de même se trouver à quelques centaines de mètres, et elle n'était pas sûre de pouvoir camoufler son odeur si elle se rapprochait trop. Mieux valait qu'elle se garde ses distances pour le moment.