Il n'y avait pas à hésiter longuement avant de comprendre ce qui l'avait amené ici. La faim. Pas la faim immédiate, comblée par les quelques proies qu'il avait pu dégoter à droite et à gauche - une biche blessée, un cadavre de lapin. La faim imminente, celle qui reviendrai dès qu'il s'en retrouverai à court, malgré tout ce que lui procurait le cervidé. Les hommes étaient toujours là, leurs provisions aussi, et il comptait bien en profiter.

Le crépuscule tombait, les hommes s'activaient et ne tardaient pas à disparaître. Seuls restaient quelques sentinelles, et des cabots. Ses dernières tentatives avaient étés mises en l'air par ceux-là, mais il comptait bien revenir avec quelque chose cette fois-ci.

Ses pattes étaient plantées dans la neige, immobiles. Le froid lorgnait sur sa chaleur corporelle qui faiblissait, mais il résista; il finirai bien par trouver une faille. La faille vint avec un changement de tour des humains chargés de monter la garde.

Il se propulsa dans la neige, vers le premier enclos à sa portée; il bondit à l'intérieur et égorgea quelque chose qui ressemblait à un poulet sans vraiment l'être. Ce fut la débandade; les volailles piaulèrent, crièrent, coururent en tous sens. Les plumes volaient de part et d'autre mais le solitaire fut hors de portée de tir depuis là où se trouvaient les hommes quand le coup de feu claqua.

Joker Fou les observa s'activer, chercher à le traquer, contournant inconsciemment le village. Pouvait-il espérer attraper une autre bestiole, d'un côté abandonné de l'effervescence?

Encore un coup de feu. Ils l'avaient vu bouger. Ils l'avaient vu réessayer, et la neige vola à quelques centimètres de sa patte.

Il n'en demandait pas plus. Serrant aussi fort qu'il en était possible son butin, le fantôme disparut.

Certes, la dernière fois, le fantôme avait évité le coup de feu de peu, et les chiens encore moins. L'audace n'était pas toujours le meilleur moyen de rester en vie; mais comme l'avait prouvée la dinde qu'il avait attrapée juste avant, elle était souvent nécessaire. Comme dans ces cas là, et dans ces cas là précisément, il n'hésitai nullement à recommencer. Une heure environ après celle de son dernier pillage, quelques jours après. Les humains renforceraient la sécurité du côté qu'il avait attaqué, sans nul doute.
Il lui faudrait attaquer un autre type de nourriture. Les dindes seraient trop bien protégées, trop surveillées. Peut-être y avait-il des proies déjà mortes dans le hangar, à côté? Malgré qu'il ressemblait quelque peu à une forteresse, essayer serai-t-il payant?

Un peu trop forteresse à son goût, en tous cas. Peut-être qu'il pouvait réessayer sans trop d'échec sur les dindes.
Ses espoirs disparurent bien vite, face aux deux humains sérieusement armés qui montaient la garde, et d'ailleurs pas vraiment qu'autour de la basse cour. Il avait du mal à imaginer qu'un seul loup puisse déclencher une telle méfiance, et après tous les odeurs lupines étaient assez nombreuses; il ne devait pas être le seul à avoir eu cette idée.
Tant pis. Il se rabattrait sur le hangar.

Hangar qui eut plus de succès que sa vaine tentative qui lui avait fait perdre un temps précieux. Il y avait chiens et hommes, certes, mais il y avait surtout un minuscule trou à l'arrière du hangar, caché par une pile de lapins morts. Il saliva; une telle quantité de nourriture, à un seul endroit, juste à portée de ses crocs...

Les cabots aboyèrent. Ils avaient flairé le loup, mais trop tard. La prochaine fois, l'orifice aura sûrement disparu; les chiens l'auront indiqué à leurs maîtres et ceux-ci s'efforceront de le colmater au plus vite. Mais pour l'instant, il repartait victorieux, avec un joli lapin en gueule.

Revenu. Encore une fois. Ses dernières tentatives avaient étés des succès au moins partiels, alors pourquoi s'en priver?

Raffermi par ses derniers pillages à succès, il tentait sur quelque chose de plus gros. Le quelque chose était encore à déterminer, mais il trouverai bien sur place. Il resta une bonne demi-heure immobile, fixant les aller-retours des humains avec intérêt et surveillant la moindre faille. La technique de l'affût avait plutôt bien marché jusqu'ici, il ne voyait pas de raison d'en changer.
Lorsqu'enfin l'occasion se présenta, il se propulsa en avant dans un enclos au hasard et attrapa la première gorge que ses crocs rencontrèrent; la chèvre se débattit, mais trop peu pour desserer la prise du solitaire. Il s'efforça de sortir au plus vite la bestiole morte et de la traîner à l'abri.
Les chiens rappliquaient déjà. Cette fois encore, trop tard.

Sa tentative de double vol avec la dinde - à demi ratée - lui revint en mémoire. Troublés par l'odeur du sang, les chiens cherchaient vers son emplacement précédent, hurlant à la poursuite du pilleur; il se hâta, sans réfléchir, de rejoindre le hangar. Là, il attrapa aussi sec un poisson posé sur de la glace pilée. Prenant soin au passage de laisser une piste claire vers une autre direction pour induire en erreur les canidés à sa chasse.
Il retourna à la chèvre, et se débattant avec les carcasses comme il le pouvait, ramena les deux proies près des ossements presque nettoyés de la biche qu'il avait trouvé il y avait un certain moment de ça.