Tableau de pillage :
• 1 mouton
• 1 poulet
• 3 lapins
• 1 chèvre
• 1 dinde

Dernier post comptabilisé : 14/12

Les barrières de bois se découpaient au loin, enchevêtrements clairs dans l'obscurité. Leikn s'en approcha en trottant avec légèreté, de ce pas assuré et conquérant qui était le sien. Ne craignant ni chien ni fusil, la louve blanche se faufila entre les barrières branlantes pour contourner les constructions qui empestaient l'odeur des hommes et se diriger, quasiment au milieu de la route du village, vers les enclos des bêtes.
Depuis que la neige avait recouvert la terre, impossible de trouver la moindre proie sous son manteau mortel. Quelques lemmings congelés remontaient parfois à la surface, que nul ne réussissait à mâcher. Lei et sa meute n'avaient dès lors d'autre choix que de s'en prendre aux réserves d'autrui. Et la meilleure idée pour éviter d'envenimer les choses entre navniks et autres meutes était de se servir dans les provisions des hommes.
La guerrière parvint alors en vue des enclos du bétail, où elle ralentit sensiblement son allure.

A première vue, pas de problème. Derrière les grillages métallisés que les hommes avaient installés dans une vaine tentative pour se prévenir contre les prédateurs, une bonne grappe de moutons erraient tristement dans la neige bourbeuse de la journée. Leur toison était fournie, mais Lei devinait que sous ce manteau, leur chair était nettement moins épaisse. Mais peu importait au fond ; une proie était une proie, et par les temps qui couraient, la meute ne pouvait s'offrir le luxe de cracher sur quoi que ce soit.
La louve entreprit de faire consciencieusement le tour de l'enclos en jaugeant les bêtes du regard : elle essayait de déterminer laquelle serait la plus à même de la contenter. Elle ne pouvait être trop grosse malheureusement : Leikn était seule. Il lui faudrait traîner la carcasse à l'abri avant que d'autres navnik ne viennent s'y nourrir, et malgré sa force, cela n’excéderait pas les bois rachitiques avoisinants.
La louve blanche était en train d'arrêter son choix sur une femelle de calibre moyen, qui traînait visiblement d'une postérieure, lorsqu'un craquement de semelle dans la boue la figea sur place. Ses oreilles se dressèrent et ses muscles se tendirent : malgré tout, lorsque l'homme déboula tranquillement dans un rai de lumière tracé depuis la porte de la maison la plus proche, elle resta immobile. L'envie de fuir fut impérieuse, mais Leikn était dans l'ombre, et le moindre mouvement la trahirait. Le bipède ne jetait pas un regard dans sa direction.
Prenant un temps qui lui parut infini, l'humain alla s'accouder à la barrière de l'enclos pour observer le bétail en exhalant quelques longues bouffées d'une fumée âcre. Lei resta immobile, souhaitant intérieurement qu'il reste ainsi. Surtout qu'il ne la regarde pas.

Il finit par se détourner et regagner l'abri de sa cabane sans un coup d'oeil dans sa direction.
La poitrine de Lei se débloqua et elle prit une respiration soulagée : la louve blanche avait beau ne pas craindre les hommes, dont elle aurait bien fait une bouchée ou deux à l'occasion, elle ne voulait pas qu'un importun dérange sa chasse.
Enfin. "Chasse".
La femelle se détourna vivement de la cabane et prit son élan pour franchir d'un bond puissant la barrière qui la séparait des moutons. Le troupeau s'était éloigné dans le fond de l'enclos, ce qui était parfait : ainsi, les bêlements ne pourraient alerter les humains. Leikn prit rapidement de la vitesse et fonça sur le rassemblement de toisons blanches, parmi lesquelles elle repéra rapidement sa cible. La louve procéda selon la méthode ancestrale : elle se jeta dans la masse pour la désengager et l'affoler, distribuant çà et là quelques coups de crocs dans des jarrets innocents, jusqu'à ce qu'elle soit à portée de la brebis visée. Alors seulement elle coupa la route à celle-ci et entreprit de l'éloigner du reste du troupeau. Apparemment, pas de bélier ce soir pour lui barrer la route : elle pourrait accomplir son boulot rapidement et sans bavure.
Histoire de se faciliter la tâche ultérieurement, Leikn accula rapidement le mouton contre l'extrémité de l'enclos la plus opposée au village : là seulement, elle harcela l'animal jusqu'à ce que ses coups de sabot se fassent plus lent et ses mouvements plus hasardeux. Alors enfin, elle lui sauta au cou et l'égorgea, avant de tirer son corps sans traîner à travers le grillage et, avec des efforts qui lui tirèrent des grognements, sous le couvert des bois les plus proches.

Forte de sa précédente réussite, Leikn revint au village le jour suivant. Si les humains étaient aussi négligents en permanence, au final, se nourrir allait devenir un jeu d'enfant malgré l'hiver. Cette fois, au lieu de se diriger vers les enclos trop exposés - de toute façon, les humains passaient leurs journées à déplacer leurs bêtes çà et là, manoeuvre dont Leikn ne comprenait absolument pas l'utilité - la louve blanche s'orienta en direction des cabanons même. Pas de bunkers, trop sécurisés ; en revanche, les arrières-cour des maisons un peu branlantes abritaient souvent des poulaillers bien remplis. Et à l'abri de la neige, les poules n'en seraient que plus savoureuses.
Ni une, ni deux, après avoir vérifié que la voie était libre, Leikn creusa rapidement un trou sous le mince grillage poreux qui lui barrait le passage, et se glissa dans le poulailler en y laissant quelques touffes de poils. Aussitôt, les gallinacés se mirent à courir en tous sens en caquetant d'affolement; mais n'étant pas des créatures bien intelligentes, il y en eut bien une pour se laisser attraper au vol entre les crocs de la guerrière, qui s'empressa d'emprunter le chemin inverse alors que du sang tout chaud giclait encore dans sa gorge.

Cependant, une fois à l'extérieur, la convoitise saisit la louve : en effet, aucun homme n'avait encore surgi, alerté par les vacarmes des poules. Peut-être aurait-elle le temps d'en subtiliser une seconde. Leikn s'apprêtait à replonger sous le grillage lorsqu'une porte claqua et qu'une voix aiguë s'éleva dans l'air froid. Un grognement la suivit, et la louve fit demi-tour : elle préférait ne pas affronter de chien pour du si menu fretin. Attrapant la poule entre ses crocs, la navnik s'enfuit à toute vitesse avec son butin.

Puisque la chance semblait lui sourire, la louve blanche n'allait pas se gêner. D'autant qu'avec tous les loups dont elle croisait les traces sur le chemin du village, elle était loin d'être la seule à se servir dans le garde-manger des bipèdes. Ce qui signifiait qu'il fallait faire vite, et être efficace, avant que ces derniers ne renforcent leurs défenses et ne postent des gardes auprès de leurs bêtes. Car ces proies avaient tout autant une importance vitale pour les hommes que pour les loups : et au vu du pullulement lupin autour de leur repaire depuis le début de l'hiver, ceux-ci n'allaient pas se laisser faire longtemps.
Leikn craignait le jour où le premier d'entre eux tomberait dans un traquenard mortel, en guise d'avertissement pour tous les autres.
Mais ce n'était pas le point du jour : au petit matin, alors que le soleil rasait à peine la ligne d'horizon, la guerrière s'était glissée dans le campement humain pour se rapprocher des enclos de moutons. Manque de chance pour elle, un berger l'y attendait de pied ferme. Elle préféra faire demi-tour sans se faire remarquer et tenter sa chance plus loin.

Et en effet, à quelques mètres de là, elle tomba sur des clapiers sans surveillance canine. Bingo. En prenant garde à ce que nul ne la voie, la guerrière au poil blanc s'approcha des cages et entreprit de faire basculer l'un des loquets. La tâche était malaisée, en raison de la petite taille du verrou et de la longueur de ses crocs, et elle dut s'y reprendre à plusieurs fois en s'égratignant les gencives sur le méta gelé. Mais enfin, le mécanisme céda et elle put tirer de son antre un lapin terrifié qui termina sa vie entre ses crocs. L'occasion était trop belle, et Leikn s'apprêtait à faire une razzia sur toute la cavité, lorsqu'un coup de fusil pétarada dans le ciel encore bleu-gris. La louve blanche sursauta et fit volte-face pour apercevoir un homme armé se précipiter vers elle. Avec un désagréable sentiment de déjà-vu, la louve se jeta sur son butin et fila à toute vitesse. Si elle voulait devenir plus efficace, elle allait devoir perfectionner sa technique...

De fait, Leikn fut au rendez-vous le lendemain à l'aube, tapie sous la clôture à quelques mètres de la maison, à attendre patiemment que la mégère au fusil finisse sa pipe sur le pas de la porte.
Si seulement cette bestiole qui ne possédait pas un poil sur le caillou pouvait bien suivre sa nature profonde et rentrer se mettre au chaud au lieu de patauger bêtement dans la neige, Lei lui en aurait été reconnaissante. De toute façon elle n'allait pas pouvoir monter la garde auprès de ses lapins éternellement. Avec un "grouf" de mécontentement, la louve blanche s'installa plus confortablement dans la poudreuse, que son épaisse fourrure rendait aussi confortable qu'un tapis de mousse à peine humide. Cela dit, elle préférait ne pas passer dix ans là-dessus non plus.
Mais de toute façon, l'humaine aurait froid avant elle. Preuve en fut donnée lorsqu'elle cracha un mollard noirâtre dans la neige avant de faire demi-tour en tapant du pied pour aller se réfugier dans sa bicoque. A travers les branches de conifère, Leikn la suivit des yeux et attendit de longues minutes, afin d'être certain de son coup. Alors seulement, elle se glissa hors de son abri et effectua un large cercle pour rester hors de vue des fenêtres sales et se rapprocher des clapiers.
Avantage du lapin, ça ne crie pas.
Heureusement pour Lei, la vieille n'avait pas eu le temps de renforcer tous les loquets depuis la veille. La louve dédaigna donc les deux clapiers du bas, clos par un cadenas, et se dressa sur ses postérieurs pour pousser un loquet du haut avec sa truffe. La froideur du métal lui mordit le nez, mais la cage s'ouvrit docilement.
En un coup de gueule, Leikn attrapa l'animal le plus proche et l'aplatit dans la poussière pour lui briser la nuque en débit de ses coups de patte frénétiques.

La louve redressa la tête, aux aguets : un coup d'oeil vers la maison, oreilles pointées, lui apprit qu'il n'y avait pas de mouvement de ce côté-là. Elle se tourna donc derechef vers le clapier béant : pourquoi se priver ? Avec quelque difficulté cependant, la guerrière dut se hisser sur le rebord du bas pour atteindre son gibier qui s'était peureusement - et à raison - réfugié au fond de son abri. Mais le long nez de la louve eut raison de leur retraite et elle tira bientôt un mâle bien dodu du cube de pierre, lequel alla rejoindre son congénère déjà froid dans la neige.
Bon. Cela suffirait pour aujourd'hui, songea Leikn en attrapant ses deux proies par la peau du cou pour faire demi-tour et repartir, en laissant le clapier béant aux quatre vents.

Et bim, rebelote. Cette fois, c'était l'enclos des caprins que Lei visait. En effet, la vieille aux lapins n'avait pas été longue à placer son molosse en gardiennage juste devant ses clapiers, allant pour cela jusqu'à déplacer la niche. La guerrière avait dû faire demi-tour avec désappointement.
Pour se venger - parce qu'elle était légèrement susceptible - Leikn avait décidé de faire razzia sur les chèvres. Et tant qu'à faire, elle avait aussi décidé de leur bousiller l'enclos, comme ça avec un peu de chance les bêtes s'enfuiraient et ses compagnons pourraient les attraper plus facilement aux abords du village.
Le soleil était couché depuis longtemps lorsque Leikn s'approcha de l'enclos. Plus petit que celui des moutons, il était également moins solide. Les planches branlaient quelque peu lorsqu'on appuyait dessus. Après un regard aux alentours, la guerrière pris son élan, et se jeta sans préambule sur le premier poteau.
Leikn était, on peut le dire, une grosse bête. Le pilier de bois pencha un peu plus, pesant sur la terre molle. La louve blanche s'y reprit à plusieurs fois : malheureusement, pour ce qu'il s'inclinait, le support de la barrière n'avait pas l'air de vouloir tomber au sol. Avec un grognement, elle changea de tactique.
Une seconde plus tard, la louve blanche passait littéralement à travers les barres transversales pourries qui éclatèrent sous son poids. Elle se réceptionna dans l'enclos et secoua la tête en éternuant de la neige : voilà qui était fait. Plus qu'à arracher les quelques lambeaux restants et cela ferait une belle entrée. Tâche que Leikn s'empressa d'effectuer.
Puis la louve blanche reporta son attention sur les chèvres. Un peu inquiètes, elles s'étaient réfugiées à l'autre bout de l'enclos. Chauffée par l'exercice, Lei fonça dans le tas et chercha à en attraper une aux jarrets au passage.
Manque de bol, les bêtes s'éparpillèrent et elle les sentit s'enfuir dans son dos.

Leikn grogna : là, ça n'allait pas du tout. Elle prit le groupe en chasse et les effraya par quelques encouragements grognés et claquements de dents, essayant vaguement de les diriger vers la sortie du village. Enfin, elle eut de la chance et tomba sur le dos d'une chèvre moins rapide que les autres ; glissa vers sa gorge qu'elle ouvrit en un large mouvement de mâchoires.
Bien. Nettement mieux.