Les jours suivants ne firent que confirmer que ce dernier succès n'était dû qu'au hasard. Heureusement, l'état plutôt fourni du garde-manger mettait Lei d'assez bonne humeur pour qu'elle n'ait pas à passer sa colère sur les pauvres morceaux de métal qui traînaient un peu partout, comme cela avait été le cas ces dernières semaines. Aussi prit-elle l'absence de nourriture plutôt bien compte tenu des circonstances.

Le surlendemain, de fait, n'était pas non plus plus glorieux. Leikn passa le temps en sautant par-dessus les obstacles accumulés par le vent et l'écroulement du parc. Puisque de toute manière il n'y avait personne pour la réprimander, la guerrière dérapa dans la neige en s'entraînant à faire volte-face dans la poudreuse. La technique était en effet plus difficile sur un terrain si glissant ; et au vu de la conjoncture et des tensions entre les meutes, elle préférait se préparer.

Enfin, un jour de grand soleil, la chance sourit à nouveau à Leikn. Alors qu'elle dévalait la pente qu'avaient formé des remparts de neige autour de la fête foraine silencieuse, la louve entendit des cris de détresse et de douleur qui dressèrent ses oreilles sur son crâne blanc. Là en bas, spectacle improbable, une biche couleur de noisette était coincée sous une massive barre de métal qui s'était effondrée sur elle. La pauvre bête poussait des râles rauques et déchirants, et il ne fallut pas plus d'un coup d'oeil à Leikn pour savoir qu'elle n'avait aucune chance d'y survivre. Un bref instant, la louve espéra que sa proie n'avait pas, quelque part, un petit égaré seul sans sa mère.
Ce n'était certainement pas le cas, sans quoi il se serait trouvé ici, auprès d'elle.
Leikn acheva rapidement la biche, puis fit demi-tour avec rapidité : il lui fallait ramener avec elle au plus vite d'autres membres de sa meute. En effet, elle n'avait aucune chance de dégager et ramener la carcasse à elle toute seule, et traîner ne ferait que laisser aux charognards le temps de s'agglutiner. Il fallait faire vite.

Malgré la satisfaction tirée de sa découverte de la veille - aidée par plusieurs camarades, ils avaient été capables de dégager la biche et la ramener au camp - Leikn revint à la fête foraine par acquis de conscience. Elle s'aventura distraitement derrière les baraquements écroulés, qu'elle ne visitait que peu. Soudain, une odeur répugnante de mort et de maladie lui sauta au museau : écœurée, la guerrière recula en cessant de respirer pour ne plus sentir l'arôme acide et froid qui se dégageait de la fosse face à elle. Apparemment, les hommes avaient jeté nombre de leurs morts à cet endroit. Mais l'odeur n'était pas uniquement celle de la décomposition, et Leikn sentit son échine se hérisser : cela ne présageait rien de bon. En tout cas, elle n'allait pas traîner dans le coin. Peut-être même devrait-elle tout bonnement changer de terrain de chasse. La louve blanche tourna les talons et s'éloigna sans demander son reste.