Le fantôme a déjà vu de sacrés hivers. Des hivers à vous en geler le sang dans les veines. Mais un comme ça? Sûrement pas. C'est le vide, le désespoir qui s'offre à lui quand il fixe la plaine recouverte de glace.

Mais tant pis, le Joker persévérera. Ce n'est que ceux-là qui réussissent après tout, dit-on souvent.

Cette théorie ne se montre pas tellement fausse, au final. Il cherche, il creuse, il fouine tous les alentours du lac, stériles et mornes avec l'énergie du désespoir. Son haleine se condensait à la sortie de sa gueule, formant un panache blanc qui s'éleve lentement comme pétrifié lui aussi par le froid de l'hiver.

Une odeur. Lointaine, irréelle presque, mais une odeur. Une odeur de sang. Il accéléra, remontant la source du fumet si attirant qu'il traquait depuis des heures.

Il ne venait pas de nulle part. Il venait même de quelque chose de fort intéressant. Quelque chose d'inespéré si on voyait le lieu où il l'avait trouvée. Une biche. Une patte à demi-arrachée qu'elle traînait sur la neige en laissant le sang qu'il avait senti.

Elle ne pouvait même pas se défendre. Il la fixa avec envie, savourant la peur qu'il apercevait dans les yeux de la proie en voyant ce prédateur qu'elle ne pouvait pas repousser. Il la tua. Sans ménagement. Il manqua se prendre un coup de sa patte valide, mais elle ne pouvait pas combattre davantage. Il établit sa tanière non loin de la carcasse de sa proie; le joker prit d'ailleurs soin de la recouvrir de sorte à masquer son odeur. Cette biche lui fournirai de quoi manger pour un bon bout de temps. L'hiver n'avait pas si mal commencé, au final.

La journée d'hier avait été fructueuse, pour un début d'hiver aussi rude. Pour l'une des rares fois, il réussit à s'endormir le ventre plein ou presque, et c'était bien moins désespéré qu'il entama de nouvelles recherches.

Des excréments. Secs, froids et durs comme la glace - faute au brouillard - mais frais. Ils n'étaient pas là depuis bien longtemps.


Il ne trouva rien d'autre que les excréments, malgré ses tentatives à en remonter la piste. Contrarié, il retourna à la dépouille du cervidé, avant que la nuit ne tombe et que le blizzard ne se lève.

Il retourna dès le lever du jour, au lendemain, vers les excréments. C'était une piste non négligeable qu'il comptait bien suivre jusqu'à en trouver la source.
Mais au lieu d'une proie, ce fut autre chose qu'il sentit à un demi-kilomètre de sa dernière trouvaille; un objet humain, noir, caoutchouteux. Un pneu.
Comme si ça allait lui servir à grand chose.

Rien d'autre ne se présenta. Il grogna de dépit en constatant l'heure avancée et ses réserves qui s'amenuisaient.
Peut-être aurait-il plus de chance chez les hommes...

Il retourna encore une fois sur le lieu du pneu et entreprit de continuer sa traque. Il avait intérêt à être gros, l'animal, pour autant d'efforts.
Il fut gros, mais moyennement intéressant; un cerf mort dont il ne restait au grand mot que la moitié environ. La déception se mêla à sa faim, et il ne tarda pas à en découper grossièrement ce qui était encore mangeable. Il ne servirai à rien de ramener la dépouille entière.

Ses recherches suivantes furent moyennement aussi fructueuses; en désespoir de cause, il revint sur le lieu de la carcasse. Elle n'avait pas bougé d'un poil et commençait à devenir dure comme du bois, ensevelie sous la neige. Rien de plus.
Il laissai ses pattes le conduire, sans trop faire attention à l'endroit où il allait. Il buta sur quelque chose. Un os. Puisque c'était la seule chose que la journée daignait lui offrir, il le saisit et le ramena près de son trou.

Le lendemain fut un autre jour creux. Rien ne se présenta, rien ne se hasarda à portée de ses sens déployés, et ce fut vainement qu'il retourna terre et ciel dans sa traque.
Il retourna la gueule vide à son campement provisoire, frustré.

Le jour qui suivait encore ne fut pas meilleur. Il eut beau revenir sur ses traces, sur les lieux de ses précédentes découvertes, des excréments par exemple, le vide. Rien, rien sinon le blizzard, la neige, qui avaient tout avalé. Tout avait disparu, toutes ses solutions de secours étaient introuvables.

Il ne pouvait pas ne rien trouver indéfiniment, avec l'énergie qu'il mettait dans ses recherches. Revenant sur la piste qu'il traçait à cause de ses aller-retours chez les hommes, une poule morte s'offrit à son regard; sans réfléchir, spontanément il l'attrapa entre ses crocs et la ramena.
Seul autre événement à troubler son chemin; une gourde vide qu'il emmena aussi, au cas où. Paraît-il, ça aidera un guérisseur.

Il avait eu son heure de gloire. Après la poule, plus rien ne vint.