Il fallait croire que Zirconium avait une légère obsession pour les tunnels sous le long chemin de bitume.

Il y était retourné quelques jours après avoir fait la rencontre de la femelle blanche aux yeux bleus, autant en quête de rats que de découverte. Sa dernière exploration des lieux lui avait affirmé qu'ils étaient tout particulièrement peu fréquentés et qu'il n'avait aucune chance, ou presque, d'y rencontrer le moindre loup susceptible de le mettre sur une piste sérieuse de Shiro ou Kuro. Il aurait plutôt dû, pour ça, chercher sur un territoire de meute ou au moins à un endroit avec du monde, solitaires ou pas. Sous l'autoroute n'était pas un lieu entrant dans une de ces deux catégories, même pas à moitié. Mais tant pis, après tout pour éviter un nouveau drame d'humains autant en savoir un peu plus sur eux.

Ses pattes enjambaient les débris au sol tandis qu'il tentait avec plus ou moins de succès de mémoriser son chemin. Les quelques petites orbes de lumière encore en activité vacillaient au bout de leur cable, le peu de luminosité qu'elles apportaient allant de même avec leurs mouvements. Lugubre. Il observait d'un air détaché les murs effrités et le sol poussiéreux, oreilles dressées pour prévenir tout danger. Il lui semblait que n'importe quoi pouvait à tout moment sortir d'un tournant, d'un trou dans la roche, de n'importe quelle cachette du dédale.

Au bout d'un moment, à demi-sûr d'avoir entendu des bruits de pattes, il se retourna. Puis reprit son chemin. Puis se retourna à nouveau. Soit il rêvait, soit il était suivi, soit il avait tout simplement croisé un autre de ses semblables.

Il y avait bel et bien un loup derrière lui. Un gros loup visiblement. Un gros loup noir aux yeux vairons et aux longs crocs - qu'il n'hésitai pas à exhiber. Visiblement, le jeune avait manqué de chance. A vrai dire, il lui semblait quelques fois qu'il y avait singulièrement beaucoup de zinzins agressifs par ici.

« Tu n'as rien à foutre ici, solitaire. »

Donc c'était un zinzin agressif qui savait parler. Ça lui laissai déjà une chance. Pas celle de discuter, il n'y croyait pas trop. Mais peut-être qu'en parlant assez, il ira assez vite pour le semer. Zirconium doutait sérieusement de ne pas devoir en arriver à se carapater vite fait.

« Si. J'cherche des gens. »

Voilà une réponse qui méritait un prix d'insolence. L'autre sous entendait clairement qu'il voulait le voir décamper de l'endroit mais il préférait jouer la carte du premier degré. Imperturbable, un rien moqueur, il détaillai dans l'obscurité de qu'il pouvait voir du loup noir. Peut-être même qu'il arrivera à se camoufler suffisamment avec son propre poil foncé pour le duper et gagner de l'avance.

Ouais, et les poules ont des dents.

« Il n'y a personne ici. Va-t-en. »

Sauf qu'il n'avait aucune envie de s'en aller. Pourquoi quitter l'endroit parce qu'un loup de mauvais poil arrivait et vous disait de dégager sans raison valable? Zirconium n'aimait pas spécialement les ordres, à part quand ils venaient de supérieurs ou de sa fratrie par exemple. Et encore. D'un loup étranger, aussi impressionnnant était-il, il pouvait grogner comme il voulait il en fallait plus pour le faire décamper.

Le problème, c'était que plus risquait de prendre une tournure légèrement néfaste pour lui.

« Je serais bien tenté de te dire qu'il y a au moins moi et toi, mais à part ça je veux bien te croire. »

Et ce plus risquait d'arriver très, très vite, s'il commençait à le provoquer. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Les ordres et les grands méchants loups noirs, ça lui donnait envie de répliquer. Il n'était pas du genre à retenir ce qu'il pensait et ce qu'il avait envie de faire.

« Seulement tu vois, là tout de suite j'ai aucune idée de comment sortir. »

Il n'était même pas réellement perdu. C'était rien que du bluff, pour s'amuser un peu plus longtemps à faire chier cet autre loup.

Voilà le fruit de ses railleries qui venait de lui tomber dessus. Peut-être un peu trop mur, le fruit. D'habitude, il avait un peu plus de temps quand même, même s'il ne comptait pas là dessus pour stopper le flot de ses remarques irritantes. Maintenant, il se retrouvait avec un gros loup noir, visiblement plutôt agacé - pas qu'un peu - et une rangée de quelques crocs dont ça n'était pas la première victime sur sa gorge.
Il continua de sourire, narquois. Il aimait ce sourire. Ce sourire qui vous donnait très envie de lui arracher la tête. Comme ce que le noir voulait faire, par exemple.

« Tu es de ceux qui répliquent par les crocs aux mots? Dommage, je te pensais moins terre à terre. Quoique... »

Il fit mine de réfléchir un instant, une lueur moqueuse dansant cepandant toujours au fond de ses yeux gris.

« Non en fait c'était très franchement prévisible. Ca te gêne pas d'être aussi spontané et bestial? J'imagine que non. Z'êtes tous comme ça, les grands méchants sanguinaires. »

Et blabla, et blabla. Il venait peut-être d'ailleurs de signer un arrêt de mort très précoce, en manquant cruellement de respect de la sorte. Mais il s'en foutait, jouer avec la mort c'était bien plus drôle que tout autre jeu. Emmerder les gens avec, évidemment, c'était encore mieux.

Jouer avec la mort comptait aussi pour une tendance masochiste? Peut-être. Dans ce cas, il était plutôt allègrement servi. Mais vu ce qu'il débitait à la minute, il n'avait pas vraiment matière à se plaindre. Bobo, quand même, les dents dans son cou. Et visiblement, l'autre loup était resté sur son idée de le faire dégager de l'endroit puisqu'il entreprit - encore plus bobo - de le traîner vers la sortie.

« Non, visiblement, ça te gêne pas. Remarque, si c'était le contraire, t'aurais déjà arrêté de l'être. Ça m'aurai arrangé, en fait. Mais j'imagine que tu t'en fous très cordialement, et que là tout de suite tu as juste envie de me couper en petits morceaux. Ça se comprend, en même temps.

Non, il ne ressentait aucune gêne à dire de façon crue et directe ce qu'il pensait à la seconde.
Il aurai pu s'excuser, chercher à attirer un minuscule éclat de pitié en le loup qui était à l'instant en train d'à demi l'étrangler - et il lui finissait le boulot en blablatant sans relâche - pour faire cesser sa douleur, mais non, tout ce qu'il trouvait à faire, c'était continuer à parler. Continuer à l'agacer.
Très conscient, Zirconium, aucun problème.

Le choc contre le rocher fut aussi, d'une certaine manière, celui qui le sauva d'un nouvel orifice quelque part par les crocs du mercenaire de mauvais poil. Le temps qu'il reprenne ses esprits, il s'était déjà barré. Heureusement pour lui-même parce qu'il n'aurait pas hésité à balancer une dernière remarque piquante.
Il repartit en trottinant. Aujourd'hui n'était visiblement pas un bon jour pour visiter les souterrains. Tant mieux quand même qu'il ne s'était pas assez éloigné pour laisser au noireaud le temps de penser les bénéfices à serrer les crocs pendant qu'il le traînait.