C'était bien beau de se brinqueballer sur toute la région en demandant à tout le monde s'ils connaissaient un loup noir et une louve blanche avec des noms pour le moins parlants, mais c'était une tout autre chose de survivre seul à sept mois, admettant qu'il lui fallait tout de même des forces pour continuer ses recherches. La faim le taraudait sans relâche, à peine tarie par les rongeurs qu'il réussissait à attraper, depuis maintenant deux longues semaines. Deux semaines sans aucune nouvelle de Kuro ou Shiro. Mais Zirconium refusait de croire que les humains avaient pu en faire leur cible avec succès, capturés ou tués. Non, ils étaient encore en vie quelque part, et il les trouverai!

Fidélité du Destin n'avait pas choisi sciemment l'autoroute éventrée comme lieu de chasse; pour raconter tout son parcours depuis son trou à rat de la ville en ruines, il avait fait un large tour en contournant celle-ci, avant d'atteindre cet endroit, qui grouillant autrefois d'activité, laissant chaque jour des dizaines et des dizaines de voitures rutilantes y passer en rugissant. Mais ça, le jeune loup l'ignorait et de toute façon s'en fichait très cordialement.

Ce n'est que là que sa truffe indiqua à ses pattes fatiguées la direction vers le repas qu'il traquait depuis un bon bout de temps maintenant. Zirconium força son souffle à redevenir régulier, moins bruyant, et à ses pattes de se poser maintenant sans bruit sur le bas côté boueux, guettant de ses deux oreilles crasseuses le moindre des sons à les atteindre. Grattements. Frémissements. Il se tint immobile, aux aguets.

Un rat. Un gros rat, étonnament dodu pour l'hiver qui s'annonçait et le peu de nourriture pourtant disponible. Zirconium saliva. Mais pas de hâte. Pas de précipitations. Il avait tout son temps. Le rat, lui, pointait son museau hors d'une faille, le vent masquant l'odeur du jeune canidé et à quelques mètres de lui. Il ne se doutait absolument pas de ce qui le menaçait.

Le prédateur de son côté savait plus ou moins bien ce qu'il faisait, et après un instant de lutte où le rongeur tenta en vain de faire lâcher prise aux longs crocs, il pendouillait dans sa gueule, inerte.

Que ce soit l'odeur du sang qui avait envahi l'air ambiant ou juste trop peu de chances, rien d'autre ne sortit de son trou après le rat. Ce n'était pas des plus goûteux ni des plus suffisants pour un jeune loup en pleine croissance, mais il n'avait pas trop le choix.

La faim le tourmentait toujours autant ce nouveau jour-là. Il avait quelque peu de mal à faire des repas conséquents, ou à en faire tout court; mais il fallait continuer, continuer à traquer et tuer pour rester en vie.

Sans doute dans l'espoir de trouver d'autres rats, Zirconium revint à l'autoroute, cette fois sans détour; il n'y avait rien d'autre alentours de la ville. Les endroits où il pouvait espérer trouver des proies étaient les endroits où il y avait des cachettes pour ces proies. Ce lieu-là en foisonnait, avec la large déchirure qui la barrait comme une longue cicatrice qui témoignait des batailles.

Mais en arrivant, il pesta en voyant un fin mulot se réfugier précipitemment dans son terrier. Raté. Il aurait dû se montrer bien plus discret.

Il avait encore beaucoup à apprendre.

Beaucoup à apprendre ne signifiait heureusement pour lui pas forcément échec permanent. Il se blottit derrière un débri assez gros pour l'abriter, sentant la terre humide coller à ses poils noirs et bruns. Zirconium ravala son dégoût, et attendit.

Longtemps, pour lui. Pas tant que ça pour un observateur plus aguerri avec plus d'expérience.

Jusqu'à ce qu'un oiseau imprudent se risque près de lui. Il se figea, encore plus autant que cela était possible, retenant sa respiration. Puis bondit, à la manière d'un félin. Les plumes de queue de la grive se coincèrent sous ses griffes, et tournant la tête pour l'attraper au cou le solitaire l'acheva.

Il avait l'impression d'être un chat, à manger des rats et des piafs. Mais les proies plus consistantes s'attrapaient en meute, pas en solitaire et encore moins à sept mois.