C’était très simple. Nocturne leur avait filé rendez-vous car il les estimait sûrement trop faiblards comparé à sa toute-puissance et à la toute-puissance que se devaient d’avoir les Mercenaires. Il les avait donc conviés – ou forcés ? – à s’entraîner avec lui. Il lui avait dit d’amener Ragnar’k. Pandémonium avait un peu tiqué à cette idée saugrenue, puis il s’était rappelé qu’il devait garder ce jeunot stupide sous son aile : sait-on jamais le nombre de conneries qu’il peut faire, une fois seul… Et puis, s’entraîner avec Nocturne ne lui ferait pas de mal, bien au contraire ; il se battait comme un gamin ! Collé sur son flanc gauche, il sentait la présence d’Adriel, qui semblait rechercher une trace de leur joyeux entraîneur. C’est vrai que Nocturne n’était pas un flagrant exemple de politesse et de gentillesse… Peu importait : il était courageux, et puissant. C’était deux critères qui suffisaient à Pandémonium pour l’apprécier. Ragnar’k était un peu plus loin derrière eux, se maintenant volontairement à l’écart. Certainement que les Mercenaires n’étaient qu’un ramassis de pouilleux, indignes d’un Prince comme lui ? Peu importait, de toute façon.

La seule présence qui dérangeait le jeune Dragon, la seule présence qu’il pouvait flairer avec un certain mépris mêlé d’irritation, c’était celle de ce Remus. Il était juste derrière Adriel, à quelques mètres, le suivant comme une ombre. Ce qu’il pouvait être exaspérant, celui-là ! Il avait certainement cru que ses révélations arracheraient Adriel à l’emprise et à l’affection de Pandémonium. Que nenni ! Remus n’est rien du tout, qu’un pion de plus dans l’échiquier des Dragons. Un pion qui serait utile pour récupérer ce qui leur était dû, mais rien de plus. Il n’était qu’un petit électron sous contrôle, dont la présence irritait Pandémonium au plus haut point. D’ailleurs, il ne savait même pas ce qu’il foutait là. Certainement encore une bonne action de son frère, sa gentillesse ayant triomphé de son mépris… Quel gâchis, d’ailleurs, que tout ce trop-plein de gentillesse !

« Il est là. Tout près. » Pandémonium revint aux côtés de son frère, brutalement ramené à la réalité par ces quelques mots. Il embrassa le périmètre d’un rapide coup d’œil : non, Nocturne n’était pas là. Cependant, Adriel avait dû le sentir. Il était donc caché quelque part, certainement en train de leur tendre un piège pour tester leur réactivité à la surprise. Nocturne était malin, en plus d’être fort : une raison qui faisait qu’il valait mieux s’en méfier doublement.

« Je pense même qu'il est en train de nous tendre un joli petit guet-apens. », murmura-t-il sur un ton plein de mystères, un sourire entendu sur le coin de ses babines.

Il jeta un rapide coup d'oeil à son petit protégé, lui réservant le même sourire un peu flippant : que ce serait drôle, de faire un peu peur à ce Ragnar'k ! Comme au premier jour, quand Helya l'avait sorti du territoire Sekmet par la peau du cou. Ses méthodes avaient bien changées, ceci dit... Son oeil le picota, et il reporta son attention sur Adriel.

L’instinct de Pandémonium ne l’avait pas trompé. Lorsqu’il entendit du bruit derrière lui, il comprit instantanément que le piège que leur avait tendu Nocturne avait fonctionné à merveille. Il eut à peine le temps de se retourner que déjà, Ragnar’k roulait entre ses pattes pour l’entraîner dans sa chute. Pandémonium se fit faucher en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, mais un bienheureux réflexe lui fit esquisser un bond leste, lui permettant de retrouver son équilibre in extremis.
Le jeune loup se redressa et analysa la situation d’un rapide coup d’œil : Remus était sur le sol, et Adriel se trouvait sous les crocs menaçants du loup noir.

« Vous êtes en retard. Louvards faibles. » Un élan d’indignation et de protection poussa Pandémonium en avant, à la rescousse de son frère, mais Nocturne avait déjà délaissé Adriel pour aller se jucher sur un promontoire, plus en hauteur. Le grondement prêt à sortir de sa gorge se tut. Le noir montra les crocs : la présence de Remus semblait l’irriter au plus haut point. Pandémonium se retourna vers le loup blanc pour lui adresser un sourire moqueur.

« J'espère que ce que vous m'avez rapporté est bien de la chair à canon. J'ai signé pour entrainer trois loups, pas pour faire du baby-sitting de quatre mômes, que je ne connais pas tous de surcroit. Alors ceux qui n'ont rien à faire là peuvent partir immédiatement avant que je décide d'en faire mon défouloir. » Les paroles de Miroir des Silences arrachèrent un sourire à Pandémonium. Décidément, il aimait bien cet adulte aux abords revêches ; il semblait avoir tout de même le sens de l’humour, sous ses airs grognons. Et puis, toute personne susceptible de se moquer de Remus était en passe de rentrer dans les bonnes grâces du jeune Dragon.

« Remus est notre frère. Un fils d’Isha. J’aimerais que tu l’entraîne avec nous. » Adriel s’était dressé face à son mentor. Son aplomb fascinait Pandémonium, bien qu’il ne pût contenir un soupir à ces mots. Que Remus soit leur frère était une chose, de là à se le trimballer à droite à gauche comme un boulet, il y avait encore un monde !
Cependant, Pandémonium se tut à ce sujet. Il savait parfaitement que la loyauté d’Adriel pour sa famille était sans failles, et qu’elle n’était ni négociable, ni critiquable. Il s’assit donc calmement, posant son œil valide sur les deux loups qui se faisaient face. Il fut assez étonné de n’entendre aucun bruit, c'est-à-dire qu’il n’entendait pas la voix insupportable de Ragnar’k se mêler de tout et de rien. Étrange, lui qui avait pourtant la langue bien pendue, d’ordinaire !

« Maintenant que le décor est planté, je propose qu'on commence, non ? », lâcha-t-il d'un ton insolent.

Cette prise d'initiatives à la place du loup noir allait certainement l'irriter, mais qu'importe ! Si Pandémonium respectait Nocturne, il n'en avait cependant pas peur et il avait hâte de savoir ce que Remus et Ragnar'k avaient dans le ventre !

« Les Dragons ne sont pas faibles que je sache ? Celui-là n’a rien dans le ventre, ça se voit à sa tête. »
La réflexion acerbe de Nocturne arrache un rire moqueur à Pandémonium. Décidément, le loup noir lui plaît bien. Il a plutôt bien cerné Remus, et s’en moque ouvertement, à la grande joie du jeune Dragon. De plus, l’éloge indirect fait aux membres de sa famille le gonfle de fierté, augmentant son estime pour leur entraîneur du jour.

« J’ai cru comprendre que ce n’était pas l’amour fou pour tout le monde ici. » Sans déconner, Nocturne ? « […] il va falloir vous supporter, mercenaires. » Mollo sur le « mercenaires », quand même : Remus n’est qu’une pièce rapportée.
« Adriel. Tu feras équipe avec le nouveau. Pandémonium, tu te mets avec l’autre. » Cette annonce a pour effet de prendre le jeune loup un peu à rebrousse-poil. Lui qui s’attendait à faire équipe avec son véritable frère, c’était râpé. Ceci étant dit, lorsqu’il jeta un œil par-dessus son épaule, les mines déconfites d’Adriel, de Ragnar’k et surtout de son nouvel acolyte le firent sourire. En fait, c’était plutôt une bonne chose, cette association qu’avait choisie Nocturne. Ca s’annonçait particulièrement drôle et puis, on allait enfin voir ce qu’avait ce Remus dans le bide.

Nocturne distribua les dernières instructions. Petit jeu cache-cache dans les souterrains, voilà qui allait être très excitant ! Les yeux – enfin, l’œil – de Pandémonium brillait d’impatience. Lorsqu’il bondit en avant, suivant les ordres de Miroir des Silences, il jette un regard joueur à son rival : au menu aujourd’hui, steak de Ragnar’k. Il évita de regarder Adriel : il ne pouvait pas le considérer comme son frère, à partir de maintenant. Désormais, il était un ennemi. Pandémonium devrait demeurer dans cette optique pour les prochaines heures. Remus s’élança derrière lui, et parvint rapidement à sa hauteur. D’un coup d’œil, il lui indiqua le chemin qu’il souhaitait prendre, ce qui irrita sensiblement le jeune Dragon. Remus l’obligeait à suivre une direction qu’il n’aurait pas forcément prise de lui-même, alors que d’eux deux, c’était clairement lui le plus faible. Cerise sur le gâteau, il prenait les devants comme s’il avait grandi dans ces souterrains. Mais clairement, Pandémonium était né dans ces boyaux dégueulasses et y avait vécu les six premiers mois de sa vie. Si Remus croyait connaître mieux que lui ces labyrinthes humides, il se fourvoyait totalement.
Mais plutôt que d’attiser le conflit, Pandémonium suivit son « demi-frère » sans broncher. Dans le labyrinthe, il s’arrêta quelques instants pour se rouler rapidement dans la terre humide, de sorte à masquer son odeur. Mieux valait assurer ses arrières, avant de songer à attaquer qui que ce soit. Adriel et Ragnar’k devaient déjà se trouver sur leurs traces.

« Tu devrais faire pareil, j'pense que t'aimerais éviter de tomber sur Nocturne en premier. Surtout qu'il a pas l'air de beaucoup t'aimer. », lance-t-il au loup blanc tandis que ses babines se fendent d'un sourire carnassier.

Il ne peut pas s'empêcher de se moquer, c'est dans sa nature. Dépassant Remus sans vérifier s'il suivait ou non son conseil, il continua sa progression dans la pénombre du tunnel, ralentissant à l'intersection suivante pour la sécuriser et s'assurer que personne ne les surprendrait. Il fit un signe de tête à son acolyte, l'invitant à le suivre : il fallait rapidement faire des tours et des détours dans le boyau pour brouiller les pistes.

Remus ignora superbement la provocation de Pandémonium, mais se roula tout de même dans cette boue, salissant son beau pelage blanc. Au moins, ce n’était pas une princesse qui suivait le jeune Dragon dans ses moindres déplacements. Il venait de gagner un point. Ce qui constituait une maigre récompense, mais une récompense tout de même ! Le sourire mesquin du jeune loup ne quittait plus ses babines et il s’élança droit devant lui, dans le couloir sombre, lorsque Remus vint dans sa direction. Les initiatives, ce serait lui qui les prendrait, dorénavant. Quoi qu’un peu d’opposition de la part de son demi-frère lui aurait beaucoup plu. Mais le loup blanc semblait d’humeur plutôt docile, aujourd’hui, ce qui laissait Pandémonium un peu sur sa faim…
Tant pis, suffisance de conflits internes. Il fallait débusquer les autres, avant de se faire débusquer. Préférant éviter toute mauvaise surprise et pensant qu’Adriel aurait suivi sa piste jusqu’à l’entrée du souterrain – si ce n’est plus loin – il bifurqua rapidement dans un boyau adjacent, bien décidé à revenir sur ses pas par un autre chemin. A une seconde intersection, il hésita brièvement, le temps de s’assurer que Remus suivait toujours. Il ne tarda pas à retomber sur le premier boyau, et les traces de leur roulade commune dans la boue sombre. Il flaira le sol avec suspicion, constatant avec joie qu’il y avait des traces de pattes dans cette même boue : des pattes qui n’étaient, pour sûr, pas les leurs. Il se retourna vers son acolyte, l’œil pétillant de joie et le croc découvert par un sourire fier.

« Ils sont passés par là. A toi de jouer, princesse ! », lui lance-t-il dans un murmure.

On allait bien voir si Remus serait capable de les retrouver. Les chasseurs venaient d'échanger de rôle avec les chassés, et cela s'annonçait trépidant. Pandémonium trépignait d'impatience face à la confrontation qui approchait.