Tout doucement nous venons à toi. Ô belle louve, qu'attends-tu pour te jeter dans nos bras ? Nous sommes là, prêts à recevoir ton corps, ta tête et ton âme. Viens donc nous faire don de ton être et de ta raison. Ne vois-tu pas que tu es seule maintenant ? Sens-tu dans tes veines nos promesses de mort ? Nous ne voulons rien d'autre que toi tout entière. Et bientôt tu sombreras dans les méandres de nos folies.

Des mâchoires claquent dans le vide, le bruit des pas retentit comblant le silence assourdissant des lieux. La louve noire marchait, sans but comme à son habitude. Et pourtant aujourd'hui était un jour nouveau. Tristesse ? Désespoir ? Il fallait se relever ! Il fallait combattre le Mal, et comment le combattre ? Par le Mal !
- Venez me chercher ! Venez et je vous rosserez ! Je planterais mes crocs dans votre tendre chair, je briserai vos os, je ferai couler votre sang noir de ténèbres ! Plus rien ne sera comme avant ! Mais vous ne m'aurez pas vous m'entendez ? Je ne vous laisserai plus faire !
S'armant de courage et de détermination, Lyssa poussa un grondement sourd, hérissant le poil, s'arquant sur ses pattes. Le regard animé d'une lueur de folie, le jour était venu où elle se défendrait contre ses démons.

Tu veux jouer vieille folle ? Tu veux nous détruire ? L'impossible te barrera la route, nous ne sommes pas vivant au sens biologique du terme, nous ne vivons que parce que TU vis ! Pourtant cet affront nous déplaît, pauvre carcasse ! Goûte donc aux délices de notre courroux !

La scène se produisant entre les arbres tortueux était des plus comique. Une louve se déchaînant à coups de griffes et de crocs contre l'invisible. Elle claquai des mâchoires dans le vide, se battant contre un ennemi imaginaire. Le spectacle devait plaire à quiconque s'y intéressait un tant soi peu. Mais personne n'était là, personne ne voyait.

Les démons frappèrent à la tête, déversant leur poison dans le cerveau de la belle qui couina de douleur. Elle répliqua, bien qu'un peu sonnée par un mouvement aussi courageux, que bête. Elle frappa son crâne contre un arbre. Les démons ne furent déstabilisés, au contraire ils s'ancrèrent un peu plus dans sa cervelle. La douleur physique du choc fit frissonner Lyssa. Un choc électrique parcourut sa moelle épinière, hérissant son poil sombre. Rien était joué rien était fini.
- Laissez moi ! hurla t-elle comme une démente.
Elle n'avait même pas remarqué qu'elle n'était plus seule ...

Le temps de la revanche

Laisse-nous t'emmener, laisse toi sombrer pauvre créature ! Tu es née pour servir le Mal, laisse-nous te guider. Ne te défends pas contre ce que tu ne peux battre. Laisse toi tomber et nous te relèverons. Laisse nous te montrer la voie du Seigneur. Notre Seigneur. Bientôt il sera tien. Nous te faisons la promesse de ne jamais te laisser tranquille, alors capitule, viens avec nous. Une vie de providence t'attends dans son royaume. Il t'accueillera avec plaisir et t'élèveras au plus haut rang. Tu auras de l'importance, tu pourras faire tout ce que tu désires.

Affrontant encore et encore ses démons, Lyssa se livrait à une bataille perdue d'avance. Se débattant encore et encore contre des forces invisibles. Grognant, grondant, hurlant, couinant de douleur lorsqu'ils parvenaient à la toucher. L'effet d'une masse dans l'estomac, ils avaient frappé encore une fois. La douleur tordit ses entrailles, lui coupa le souffle. Réflexe naturel elle déglutit avant de vomir de les restes de son dernier repas. L'odeur âcre monta dans l'atmosphère. Et la lutte repris de plus belle, elle se jeta à terre, roulant, ruant en grognant furieusement. Dans sa "danse" elle percuta l'autre louve de plein fouet. Réflexe, elle se releva rapidement, laissant sa bataille de côté pour plonger son regard améthyste dans celui de l'autre. Silence. Alors que les forces ténébreuses s’immisçaient de nouveau dans son crâne, dans son corps, elle lâcha comme si de rien était :
- Bonjour.
Que fais-tu Lyssa ? L'intruse est là, tu devrais lui planter les crocs dans sa chair tendre et goûteuse ! Ecoute-nous, son sang roulera dans ta gorge, abreuvera ton estomac, son goût exquis te fera le plus grand bien.

Dans ses yeux dansait une lueur folle. Ses poils se hérissèrent, elle montra les crocs. Pas spécialement contre la louve, ils recommençaient ...

Le temps de la revanche

Le temps semblait infiniment long. Et pourtant il s'écoulait tellement vite. Les secondes s’égrainaient sans relâche, faisant avancer l'histoire. Il parût long pour la vieille louve. Aussi long que les dernières semaines de sa vie. Et soudain la douleur fusa sur ses babines. La violence du coup lui fit tourner la tête. Avec lenteur elle planta de nouveau son regard dans celui de l'autre louve.

Elle t'a frappé Lyssa. Réveille-toi vieille bourrique ! C'est le moment de répondre à cet affront, de sentir sa chair et son sang ! Laisse-toi tenter, ce sera addictif. Une fois que tu y auras goûté tu pourras recommencer. Qu'attends-tu? Saute sur elle, abreuve toi de ses maux !

Elle fit un vif mouvement de tête, comme pour chasser ces voix. Et laissa le silence séparer les deux mondes.
- T'es réveillée ? Ou je dois faire couler ton sang pour être consciente ? Pauvre folle ! Évite de me grogner au nez surtout après ce spectacle. "
Silence, à nouveau. La brise s'engouffra dans son pelage, faisant voler les touffes de poils morts dans les courants aériens. Lyssa ne savait quoi répondre. Risquer de se prendre un coup de crocs ? Ou pire ? Après tout la Mort n'allait pas tarder.
- Fais ce qu'il te plaît.
Sa voix n'avait pas été douce, ni agressive. Inqualifiable, c'est ce qu'elle était. La vieille louve savait qu'il ne lui restait pas longtemps à vivre. Alors pourquoi se priverait-elle de quelques réactions inattendues de sa part ?

Que fais-tu ? Crache lui à la gue*le, défends toi avec des actes et pas avec des mots stupide cadavre ! Tu n'éprouve donc pas la Haine ? Cette douce folie, cette douce mère qui coule dans toutes les veines. Aller laisse-toi porter par elle ...

Le temps de la revanche

Deuxième gifle. Deuxième affront. De nouveau ce geste lui fit tourner la tête. Et pourtant elle n'en fit rien.

Tu n'es qu'une faible ma pauvre Lyssa. Tu tiens à peine debout et tu arrives à énerver plus fort que toi. La redoutable louve plus noire que la nuit n'est pas digne de vie. Tu pourras lui croquer le museau, tu pourrais goûter à son sang, qu'est-ce qui te retiens ? Que veux-tu faire d'autre que lui faire payer son affront ? C'est ce que ça fait quand tu es courbé et brisé. C'est ce que ça fait quand ta dignité est volée. Quand tout ce que tu aimes s'envole. Tu t'accroches à ce en quoi tu crois. Sauf quand tu ne crois à rien. Tu n'as rien à perdre alors essaye !

Les voix, encore et encore. Dans ma tête, le chaos total, j'avais été agressée mais rien ne m'obligeai à répliquer. De toute manière la louve était en meilleur état que moi.

Rebelle-toi grosse con*e ! Réplique !

La solitaire se jeta sur moi, je me retrouvai sur le dos, l'autre sur moi. Elle approcha sa gueule près de la mienne et lâcha sans vergogne:
" Si ta vie n'a aucune importance pour toi, confie la moi ! Si tu veux mourir je te tuerais si tel est ton souhait. Mais une marionnette a mes ordres n'est pas de refus. Quelle est ta réponse ? Je fais ce que je veux ? Si oui je t'emporte avec moi ... "
Elle n'avait pas saisi qu'avec mon âge avancé, je n'avais plus rien à perdre. Sans ciller, sans aucune once d'agressivité, avec le même ton, la même voix, je répondis :
- Fais ce que tu veux.
Mon regard améthyste plongea plus intensément dans le sien. J'arrivai à distinguer ses pupilles, écarquillées par la colère. Qu'importe ...

Le temps de la revanche

Qu'attends-tu Lyssa pour te rebeller. Elle est sur tes terres ma vieille, elle à l'intention de te faire du mal. Elle veut ta mort.

La louve remarqua un bref changement d'attitude dans l'air. Les vibrations de colère n'émanait plus de la solitaire. La cécité naissante avait poussé ses autres sens à grandir. Elle percevait des choses que d'autres ne ressentaient pas. Une chose était sûr, la louve blanche avait une idée derrière la tête. Aussi fourbe soit-elle.
" Soit ! à partir de ce jour tu m'appartiens, tu es ma marionnette, mon jouet, ou mon bouclier. Tu n'as aucun objectif ni envie de vivre, même si tu ne te bats pas je m'en moque. Tu seras ma monnaie d'échange ! "
Une pensée traversa mon esprit brisé. Monnaie d'échange ? Si je ne te suis pas, je ne pourrais t'être d'aucune utilité. Elle attrapa mon épaule, sans violence, et me poussa. Soit.
" Quel est ton nom ? si tu veux que je t’appelle ... à moins que le surnom de folle te va. Quoi que ... même si je connaissais ton nom je te surnommerais quand même la folle ... m'enfin si tu es capable de parler tu es capable de répondre à mes questions. "
Stupide louveteau. Le respect ne t'a jamais été inculqué ?

S'en est trop Lyssa, tu n'es pas sa chose, tu es la nôtre et nous te contrôlons, laisse-nosu te montrer.

Un coup d'une violence inouïe frappa mon cerveau. Je me mis à trembler de tout mon corps, mes mâchoires claquèrent dans le vide. La louve derrière moi pensait avoir gagné. Ils ne me laisseraient pas le choix, au fond de moi je le savais.

Lyssa, si elle t'emmène tu ne pourras jamais être là quand Thanatos rentrera.

Les tremblements de douleur se muèrent et tressaillements de rage, cette pensée pure et simple qu'Il pouvait revenir déclencha une charge d'adrénaline. D'une rapidité insoupçonné, je virevoltai et plantai mes crocs acérés dans le chanfrein de l'intruse. Un vif mouvement de tête lui causerait quelques douleurs. Jamais Ô grand jamais je ne t'abandonnerai Thanatos. Mon regard violacé avait changé, une lueur folle s'y était allumée ...

Le temps de la revanche

Le sang emplit ma gueule, abreuvant ma langue et mes crocs puis roula au fond de ma gorge. La saveur métallique du liquide me rappela la douceur de mes repas. C'était bon finalement. L'autre louve se débattit un peu et parvint à se dégager après m'avoir asséné un coup de griffe sur la truffe. Cet acte violent réveilla en moi un sentiment enfoui de haine. Cela faisait bien longtemps que je ne l'avais pas sentie, cette rage tortueuse et vicieuse profondément cachée.
- "Trop tard pour changer d'avis ma vielle ! Tu m'a dis deux fois fais ce que tu veux, et bien je fais ce que je veux, et tu vas m’accompagner, de force s'il le faut "
Ni une, ni deux elle m'attrapa l'antérieur droit et me traîna avec elle.

Elle veut jouer cette petite garce ? Eh Lyssa, tu as goûté à son sang une fois, que dirais-tu de recommencer ? Tu sais quel bien ça te fera de sentir la chaire se déchirer au contact de tes crocs, alors agis ! Thanatos n'est peut-être pas très loin.

Avec violence je mordis son flanc et bloquai mes mâchoires, certes mon cou était exposé, mais rien n'y ferait, le sang que j'avais goûté était trop délicieux pour m'en passer. Je le sentais, encore chaud sur mes papilles avides, c'était bien trop bon de se rebeller. Ce fût la première fois depuis longtemps que je me sentis vivante, et ça, ça n'avait pas de prix.

Le temps de la revanche