Je suis parmi ces êtres que l'on ne distingue que peu. Je suis parmi ces loups qui passent inaperçu et qu'un jour, rendu fous par l'oubli et l'ignorance, deviennent des monstres sanguinaires. Mais, je ne suis pas encore à ce stade de folie furieuse, et j'ai l'espoir de retrouver mon frère avant de tomber dans les abîmes de mon propre esprit. Je me suis entraîné dur, et longtemps. J'ai chassé des jours entiers, des nuits sans fin, et je me suis acharné dans le seul et unique but d'être prêt. Prêt pour les batailles à venir, prêt pour la guerre qui approche. Malgré tout, je ne suis resté qu'un pauvre chasseur. Un chasseur dont on oublie le nom, l'odeur, jusqu'au visage. Je suis passé comme un membre de la meute, pas comme Natan. Je ne suis qu'un chasseur parmi les autres et pire, je suis le seul chasseur sans que personne ne me connaisse. Je gronde doucement, m'enfonce dans les boyaux de la terre. Ici, les miens ont longtemps été enfermés. Sous d'autres noms, derrière d'autres idéaux. Mais ils étaient tous là, pendant bien trop longtemps, avant de voir le jour et de devenir des Navniks. Là, dans l'obscurité apaisante des sous-terrains, j'entends les échos de la vie. La vie brutale, la vie dans toute sa sauvagerie. Mu par la curiosité, et poussé par mon assurance, je m'enfonce dans le noir à la découverte de l'origine de ces sons. Je découvre, à bonne distance de là, une louve au pelage immaculé qui semble quelque peu éprouvée. Un combat ? Une chasse ? Un entraînement ?

- Bonjour ?

J'ai peut-être oublié de me racler la gorge, mais trop tard. Je m'avance de quelques pas, le regard franc et l'allure droite, mais aucunement accompagnant ma démarche d'une attitude hostile. Je crois reconnaître l'odeur des miens. Et si elle me fait penser à s'y méprendre à la louve guérisseuse de la forêt aux pendus, elle n'a pas la même odeur.

Le louve blanche me répond par un grondement hostile, et je comprends rapidement que ce n'est pas l'amabilité qui l'étouffe. Mais je n'ai pas le temps de lâcher un quelconque commentaire sarcastique sur la politesse et ses bienfaits, parce que déjà ses crocs dévoilés me font face, et les muscles de ses pattes se tendent. A peine aie-je le temps de l'identifier comme l'une des miens, elle fonds sur moi comme pour m'attaquer. Je retiens un grondement surpris, la réceptionne de justesse et plonge mes crocs dans son encolure pour dévier de sa trajectoire au dernier moment avant de lui flanquer mes antérieures dans les côtes, la faisant basculer sur le côté. Là encore, pas le temps de discuter. Elle n'est visiblement pas là pour bavarder, et si il n'est pas dans mes objectifs de latter les membres de ma meute, je suppose que la fiche à terre une ou deux fois ne pourra que lui faire du bien au vu des obstacles qui nous attendent encore. Je laisse entre nous une distance de sécurité et je la toise, en silence, le regard droit et franc, la fixant et cherchant dans ses yeux gris une réponse. Qui est-elle ? Pourquoi m'attaquer si rapidement, sans que j'aie cherché de quelconques ennuis ? Et puis, je comprends. Ou elle ne m'aime pas personnellement, ou elle est l'une de ces loups un peu tordue qui n'a pas été socialisée et qui attaque tous ses semblables avant de dire bonjour. C'est que l'asociabilité est étrangement répandue dans le monde ... Alors je bande mes muscles, et j'attends le prochain assaut. Parce qu'elle est prête, elle.

J'anticipe for bien ce qu'elle a l'intention de faire, et je me campe sur mes postérieures pour pouvoir relever mes antérieures et ainsi échapper à la chute qu'elle compte provoquer en fonçant ainsi brutalement dans ma direction. Mon cerveau est prêt, il attend l'assaut, et mes muscles sont tendus dans une position parfait pour la parer et la flanquer à nouveau à terre. Mais la louve se relève avant que j'aie pu comprendre, et la voilà qui plante rudement ses crocs dans la peau de ma nuque, m'arrachant un grondement surpris et douloureux. Je jappe en me retournant pour tenter de la mordre, en vain. J'ai du mal à comprendre si elle veut me faire du mal ou si c'est là sa façon à elle de s'entrainer, mais il est hors de question que je me laisse faire. Malgré la douleur je me jette en avant pour la déstabiliser et alors qu'elle suit le mouvement de mon encolure, je me redresse brutalement pour la percuter d'un coup de crâne violent. Je m'abaisse à nouveau et recule en tirant sur la chair, sentant la douleur irradier ma nuque sans pour autant ralentir, et je parviens à plonger mes crocs dans son poitrail que je lacère à coups de griffes bien sentis, des grondements retenus s'échappant de ma gorge en même temps que mes griffes arrachent les touffes de poil sous sa gorge. J'attends l'occasion de tirer sèchement sur ma nuque pour lui faire enfin lâcher prise, et déjà je prépare l'offensive suivant pour la coucher sur le flanc et lui asséner des coups de pattes assassins avec le peu de retenue sur son attitude sauvageonne m'inspire maintenant.

Quelques pas dans la neige, quelques regards échangés, et les attitudes qui changent, se montrent moins menaçantes. N'est-elle finalement pas décidée à décimer les rangs de sa propre meute ? C'est toujours bon à savoir à ce stade du combat. Je lui lance un coup d'oeil empli d'une lueur de défi, l'invitant à se jeter la première dans la mêlée. Mais, sans attendre réellement, je bondis en avant dans un claquement de mâchoires nerveux, et je fonds sur elle tous crocs dehors. Mes oreilles plaquées sur mon crâne et mes queue relevée au-dessus de ma croupe sont autant d'indices quand à mon état d'esprit : je n'ai pas peur d'elle et ne me soumettrais pas plus que je l'épargnerais. J'esquive à la dernière seconde au lieu de la percuter, me laisse glisser sur la gauche en abaissant ma tête sous le niveau de mes épaules, et je pousse violemment sur mes quatre membres pour lui rentrer dedans par le flanc en vue de la faire basculer sur le côté. Je change de côté le poids de mon corps pour reprendre mon équilibre et je la survole d'un bonds svelte avant d'atterrir sur elle, les griffes en avant les crocs à découvert.

Je ne suis pas encore trop stupide, je pense. Je sais comprendre lorsqu'une situation déplait à certains ou aux autres. Et si, sous moi, la louve a demandé cet entraînement, je sens bien dans le fond qu'elle se donne bien trop à fond pour être réellement à l'aise à se battre contre moi. Alors, j'ignore si elle n'est qu'une de ces vieilles louves acharnées au travail qui passent leur frustration sexuelle dans leurs entraînements quotidiens ou si elle est simplement une louve accroc à l'adrénaline, mais je suis parfaitement capable de comprendre que quelque chose cloche dans son attitude. Elle réagit trop brutalement pour une louve qui s'entraîne, et elle est bien trop nerveuse pour être seulement une femelle pleine d'énergie et de volonté. Alors, lorsque je me retrouve sur son dos et que ses muscles se tendent comme des filets, je comprends qu'elle est loin d'être satisfaite. J'attends de voir, observe ses comportements quoi que difficilement analysables pour la plupart. Et je réalise qu'elle ne veut pas simplement s'entraîner. C'est comme si elle avait quelque chose à prouver, à se prouver à elle, particulièrement. Un trouble d'anxiété ? Un complexe d'infériorité ? Je l'ignore, mais je ne doute pas que quoi qu'il se passe, ça a un rapport direct avec la gente masculine. Brutalement, je me redresse et m'écarte d'elle avant qu'elle ait pu me porter un coup violent. Elle aura voulu me faire chuter, je l'en aurais empêché. Je prends une distance de sécurité, m'immobilise plutôt que de lui tourner autour et risquer de la narguer, et je la fixe dans les yeux tout en reprenant mon souffle.

- Ecoutes, je crois que j'ai mon compte. On va s'arrêter là, je déclare forfait.

Puisque madame ne veut pas perdre, soit, qu'elle gagne. Peu m'importe en fait, j'ai déjà ce que je voulais.