Comment se faisait-il qu’il ait chopé un truc pareil ? Cela faisait quelques jours déjà que le jeune Dragon se sentait mal. Hormis le fait qu’il ne voyait plus rien de son œil droit, et qu’il ne parvenait même pas à l’ouvrir grâce à cette psychopathe d’Helya, hormis les blessures de la guerre qui se refermaient plutôt lentement, hormis les nombreuses plaies qu’il se trimballait un peu partout sur la face, il avait fallu en plus de ça qu’il tombe malade ! Oh, et pas n’importe quelle maladie en plus de ça, le genre de maladie bien lourd à supporter, le genre de guigne qui vous arrive quand vous êtes déjà au fond du trou : impossible de dormir alors qu’il était fatigué à en crever, un mâle de crâne à s’en taper la tête contre des arbres, les oreilles qui vrombissent sans cesse, son œil valide qui le pique désagréablement – sans vous parler de celui qui est plutôt en sale état ! – et ponpon sur le croupion du lièvre, une fièvre à s’écrouler par terre ! C’est tout juste s’il tenait encore debout. C’était certainement au moment où il avait commencé à sentir ses membres trembler sous lui qu’il avait prit la résolution d’aller trouver Manîthil. Encore une fois, il lui apportait un paiement : sa trouvaille dans la serre. Il fallait absolument qu’il guérisse de cette maladie qui le rendait complètement raplapla. Quand à son œil… Plutôt crever que de laisser qui que ce soit y toucher !

Il avait lancé un hurlement faiblard, appelant son nouvel acolyte, ce débile de Ragnar’k. Doux Jésus, quand il allait voir ce dont sa propre génitrice était capable… Il aurait mieux fait de le buter, ce crétin, pour se venger de la furie qui lui avait infligé ça. Quoi que, c’était peut-être une meilleure vengeance que de pervertir son fils… Le jeune loup arriva bientôt, il n’avait pas l’air au mieux de sa forme non plus, Pandémonium le savait. Ils se trimballaient la même merde, semblait-il. Qui sait, peut-être que c’était ce chiard qui lui avait refilé ?! Le Dragon prit soin de détourner la tête à l’arrivée de son rival, lui épargnant la vision de la chair déchiqueté et du sang collé aux poils. Cette plaie ne semblait jamais vouloir se refermer, et son œil pleurait constamment. Et puis, il préférait conserver un peu de suspense pour le jeune loup… D’un signe de tête, il l’invita à le suivre. Il se dirigea droit vers la tanière de sa « mère », lançant un jappement autoritaire devant l’entrée. Il déposa son précieux paiement devant ses pieds, et s’assit d’un air nonchalant. Elle allait sûrement encore lui demander où il s’était fourré. Ou pas d’ailleurs, elle n’en aurait sûrement rien à foutre.
Elle arriva enfin, forme blanche glissant sur le sol sans bruit, une silhouette féline et presque gracieuse.. La fièvre fait parfois délirer, Pandémonium...

« Je sais que j'ai une sale gueule, j'suis pas là pour ça. Je suis malade comme un chien, j'ai besoin de m'faire soigner. », la devança-t-il d'une voix rauque. « Je t'ai ramené un petit nouveau, il a l'air dans le pâté lui aussi. », acheva-t-il en désignant Ragnar'k d'un signe de tête.

« Laissez moi deviner… Fatigue, insomnie, fièvre, migraine ? Ma foi, vu le nombre de Mercenaires qui ont été touchés, ça ne m’étonne pas. »

Elle avait ouvert grand les yeux en le voyant, puis elle avait prit ce ton badin qui lui avait fait lever les yeux – l’œil, pardon – au ciel d’un air exaspéré. Une cruelle douleur l’avait saisit au niveau de son orbite droit, et il avait immédiatement cessé de tenter tout mouvement de ce genre. Elle disposa plusieurs plantes devant eux, et Pandémonium la regarda d’un air suspicieux. Mieux valait l’être, avec elle. Quoi que sa dernière intervention lui avait été plutôt bénéfique… Mais prudence est mère de sureté !

« Mangez ça. Et quel est le nom de ce petit nouveau ? » Le jeune Dragon s’exécuta, mâchonnant avec une moue dégoûtée les herbes. Que ça devait être fade, d’être un mouton ! Entre deux bouchées, le jeune loup répond d’un ton nonchalant, à la place de Ragnar’k.

« Ragnar'k, digne fils de cette douce Helya. »

Voilà pour les présentations. La louve ivoire s’en satisferait, il n’était pas d’humeur à converser davantage. Il la sentit se lever, et s’approcher de lui : autre désagrément de sa nouvelle blessure, il ne pouvait pas la voir arriver sur son flanc droit, seulement la sentir et l’entendre. Etais-ce ainsi qu’Helya vivait chaque jour ? Triste existence. Au moins, il lui restait l’autre œil et, une fois que celui-ci cesserait de pleurer, peut-être retrouverait-il la vue ?

Elle s’approcha donc de lui, il pouvait sentir son haleine chaude sur sa plaie encore frémissante. Un frisson le parcouru et il se retourna brutalement vers elle, les crocs découverts sur un grondement menaçant. « T’es salement amoché, qui t’as fait ça ? » Il la regardait d’un œil mauvais, les babines frémissantes, malgré que son grondement se soit tu. Mais il demeurait braqué sur une posture défensive, malgré tout.

« T'occupes. Je suis pas là pour ça. J'ai pas de quoi te payer, et je veux surtout pas que t'y touches. », lâche-t-il d'un ton sec.

Pandémonium voit bien le regard stupéfait de Ragnar’k qui fixe sa face balafrée. Ses yeux sont ronds comme des soucoupes, et le jeune Dragon lui jette un regard assassin. Y’a rien à voir ! Le jeune loup se sentirait presque humilié par cette attention trop soutenue sur lui. D’autant plus que c’est la propre mère de cet abruti qui lui a infligé ça ! Mais il finirait bien par le savoir, tôt ou tard. Le plus tard serait le mieux, ceci dit. Il n’était pas d’humeur à supporter les moqueries de Ragnar’k.
Manîthil, quant à elle, ne bronche pas : le grondement de son fils ne lui fait ni chaud ni froid. Elle conserve un regard glacé, figé dans les yeux similaires aux siens de Pandémonium. Il ne lui réserve pas un meilleur air, lui lançant un regard aussi noir qu’à l’ancien Sekmet.

« Soit, soit, cher fils, reste donc avec cette écœurante balafre qui risque de s’infecter plus qu’autre chose. Ah ! Quel dommage que tu te sois ainsi fait défigurer ! Tu avais de si beaux yeux ! »
Les muscles du jeune loup demeurent crispés, attendant avec une certaine impatience que la louve cesse de jouer à son petit jeu insupportable. Il n’était pas en état de supporter ses piques et ses allusions pernicieuses. Sa queue fouettait nerveusement l’air, signe de son irritation grandissante. Elle se détourna de lui pour leur faire face, à tous les deux.
« Bien, si vous n’avez rien d’autre à faire, vous pouvez disposer, que je reprenne mes propres petites activités. »
Un rire mauvais échappe à Pandémonium. Comme si elle avait des choses à faire au cours de sa triste journée ! Mais il ne demanda pas son reste : il l’avait suffisamment vue pour aujourd’hui. Il hocha imperceptiblement la tête, puis jeta un coup d’œil rapide à Ragnar’k, avant de faire demi-tour pour s'éclipser rapidement.
Mais alors qu'il avait seulement posé les quatre pattes hors de la tanière de Manîthil, une odeur plus que familière l'arrêta net. Que faisait-il ici ?

Que fait-il là ? Il le voit galoper vers lui, l’air guilleret, trop heureux de le revoir, la queue battante et l’œil pétillant. La queue de Pandémonium, elle, ne s’agite pas. Il reste parfaitement statique. Il sait ce qui va se produire dans les secondes qui suivent. Il sait que son frère va voir la plaie encore béante, le sang collé et les poils arrachés, la cicatrice qui lui barre le visage est bien trop imposante pour ne pas être remarquée. Il aurait du faire demi-tour, s’en aller, s’enfuir à toutes pattes, loin du regard de son frère. Loin de la honte, loin de la colère de son propre sang. Mais au lieu de fuir, que fait-il ? Il détourne la tête, comme si ce simple geste suffirait à masquer la laideur de ses traits. Son cœur tambourine dans son crâne, son crâne encore si douloureux. Quelque chose tombe sur le sol. Adriel s’est arrêté. Il s’approche, à présent. Non, il est resté à un mètre, le contemplant avec cet air que Pandémonium ne veut pas voir. Il sait ce qu’il va lire sur le visage de son frère : le dégoût. Puis, il y verra de la colère, et il voudra le venger. Mais Pandémonium ne veut pas qu’on le venge. Pandémonium veut savourer la chair tendre d’Helya entre ses propres mâchoires, quand le temps serait venu. Nul ne pourrait lui offrir plus belle vengeance que la mort de cette garce, et cette sanction, il était le seul à pouvoir l’administrer.

« Qui ? »

Inutile de développer davantage. Pandémonium avait parfaitement compris, à la voix vibrante du Dragon, ce qu’il voulait savoir, et pourquoi il voulait le savoir. A présent, il voudrait tuer. Et Pandémonium voulait absolument éviter toute confrontation entre Helya et Adriel, et ce pour trois bonnes raisons. La première, c’était qu’Adriel n’avait pas à subir le même sort que lui. La seconde, c’était qu’il tenait à se venger lui-même. Et la troisième, la plus importante de toutes, était que Pandémonium avait peur que la louve aveugle ne découvre la véritable identité de son frère. Et cela, il fallait absolument l’éviter, à tout prix.

« Je vais bien. », s'entendit-il répondre dans un souffle, la tête toujours détournée, les yeux fixés sur le sol.