Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
C'est sous une pluie battante que je revins, trempée jusqu'aux os et d'une méchante humeur. La chasse avait été plutôt mauvaise, et je reconnais que sans ma dose quotidienne de massacre animal, je ne suis pas pleinement rassasiée. Les oreilles à moitié couchée par l'eau, le poil plaqué, je scrute les Ruines de mon regard vairon. La plupart des loups sont à l'abris de la grande carcasse de pierre, ou plus enfoncés dans les bosquets, sous des arbres feuillus. Je grimpe la petite colline rendue boueuse, et rejoint les Ruines d'un pas claudiquant. Je croise du regard certains de mes pairs, que je salue brièvement. Je ne me suis pas fait de réels amis, depuis le départ de… Mère. Je préfère de loin la compagnie des bois, des oiseaux, du vent dans les frondaisons, et des rivières murmurantes. Je m'ébroue vivement, arrange négligemment mon pelage blanc, me fichant bien de l'apparence que je peux avoir. Je m'enfonce un peu plus profondément parmi les blocs de pierre, l'esprit ailleurs. Ce mauvais temps me déprime, mais je sais que ces Larmes du Ciel viendront ralimenter les fleuves desséchés et je me garde bien toute râlerie. Tandis que j'attends un recoins particulièrement reculé, j'aperçois une forme à la lueur d'un éclair. Je plisse les yeux, entreprend un pas en avant. La forme se précise, et je reconnais Ragnar'k, à mon plus grand déplaisir. Il semble particulièrement farouche, seul dans son coin. Quelque chose doit clôcher. Pourquoi n'est-il pas en train de fanfaronner ou de crier sur quelqu'un ? J'esquisse un geste de repli, puis m'arrête dans mon élan. Mais enfin Dalioka, qu'est-ce qui te prend ? Je soupire silencieusement, levant les yeux au ciel. Ma compassion me perdra. Je m'approche de quelques pas, prenant soin de garder une distance de quelques mètres. Sait-on jamais. Il s'est montré particulièrement véhément la dernière fois. Vous me direz, s'il me provoque, j'ai de quoi me défendre désormais. Je ne suis plus la même louve que lors de cette altercation.
« Ragnar'k ? »
Ma voix est neutre, posée, étonnée. Malgré le répulsion que me procure ce loup, je ne peux m'empêcher de m'adresser sincèrement, les yeux ouverts par l'étonnement.
La guerre est passé, mère a été blessé, je ne sais pas comment je dois réagir. Être content qu'elle ai reçu la correction qu'elle mérite pour avoir trahit sa meute ou, être inquiet ? Je ne sais pas, mes sentiments sont mitigés et, je vis de plus en plus mal ma vie au sein de cette meute. Je n'arrive pas à m'y faire, je ne veux pas m'y faire. Mes amis me manque, ceux que je considérais comme ma famille. Epsilon et Eesia ne veulent plus que je vienne sur les terres Sekmet, de peur qu'il m'arrive quelque chose. J'en ai marre d'être bridé, marre de ne pas pouvoir vivre comme je l'entend. Pourquoi a-t-il fallut que je naisse d'une union pareil ? Pourquoi a-t-il fallut que mère soit faible au point de fuir la queue entre les jambes soi disant pour nous protéger ? Elle avait peur et était pas foutu de nous protéger car elle est faible et c'est tout ! Je lui en veux, je lui en veux tellement de m'avoir imposé une telle vie, de me retenir prisonnier dans ces ruines froides et humides.
La pluie ne cesse de s'abattre sur ces terres fait de terre et de sable. Je ne peux même pas me promener sur ces pseudos terres qui m'appartiennent, y marcher est désagréable, non pas que je sois du genre précieux mais, à quoi bon sortir pour se prendre la pluie sur la gueule ? Chasser ? Non merci, ce n'est pas mon truc et, de toute manière, je n'ai envie de rien, pas même d'aller voir ce con d'Icestrom pour me défouler sur ce petit soumis de première. Puis, je n'ai pas envie non plus de croiser Inka. Elle va me coller encore et me harceler de question et, j'en ai aucune envie …
Seul je suis, seul je reste, car de toute manière, les loups de cette meute ne sont rien pour mieux … Je n'ai aucun ami, Belphegor semble se plaire à ce titre de Prince, et Althéa, bah … J'en sais rien pour dire vrai mais, je n'ai aucune envie d'aller lui causer pour qu'elle me tape sur le système. Je suis lasse, fatigué … Je reste là, prostré dans mon coin, au fin fond des ruines, là où personne ne viendra m'embêter, là où j'aurais la paix. Qui viendra de toute manière hormis un adulte à la rigueur pour m'emmerder ? Et encore, j'en doute. Couché, je ferme les yeux, mes oreilles s'abaissant légèrement en arrière. Pourquoi la vie est-elle aussi cruel ? Pourquoi ne puis-je pas être juste libre ? Juste moi même ?
Des bruits de pas, qui s'approche ? Trop tard, je n'ai pas le temps de réagir pour me reprendre que déjà elle se trouve non loin de moi …
Je relève la tête, posant mon regard sur toi. Quel est ce regard ? Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Tu viens te moquer de moi ? Tu as pitié de moi ? Je ne veux d'aucune pitié, je ne veux pas de ta pitié …
- Que veux-tu Dalioka ?
Mon ton est lasse, rien à voir avec mon attitude habituel mais, je n'ai même pas la force de te grogner dessus, de te faire dégager de ma vue. Tu es contente ? Tu as vu le côté pitoyable de mon être, profites, tu ne le verras jamais deux fois !
Vu sa position actuelle, il est compréhensible qu'il ne fasse pas le petit malin. D'ailleurs il s'en garde bien; il poste sur moi un regard las. Et pourtant ça ne manque pas de m'étonner. Cette expression de lassitude profonde, qui ne sied guère à un si jeune personnage, et son apparent désarroi ne correspondaient pas au tableau que je m'en faisais. Dans un souffle, il lance:
"Que veux-tu Dalioka ?"
Je ne réponds pas. Je pourrai m'offusquer, lui cracher une remarque et me barrer. Oui, c'est même très tentant. Je pourrais dire que je recherche de la compagnie, en lui offrant mon plus beausourire narquois. Mais quelque chose m'en empêche encore une fois. Qu'est-ce que je fais ici, de toute manière. Ragnar'k n'est pas mon ami. Mais il me semble ne pas être tout à fait en face du même Ragnar'k que la dernière fois. Il me semble plus... réel, vrai, que lors de notre première rencontre. Pourquoi ? Peut-être est-ce du la disparition de ce regard mauvais et de ce sourire en coin. Je reste où je suis, levant légèrement la tête.
"Oh, ne t'en fais, je ne faisais que passer."
Pourtant, je n'esquisse même pas un geste pour partir. Je continue de l'observer, moi debout, lui couché, dans une sorte de silence pesant. Ok, abandonnons nos rôles respectifs. Il abandonne son rôle de merdeux, j'abandonne mon rôle de louve indisposée.
"Je ne veux pas paraître indiscrète, continuais-je, tout à fait consciente de l'être, mais, quelque chose ne va pas ?"
Ma voix est claire, sincère. Je n'en profite pas pour fanfaronner, ni pour me moquer de lui de quelque manière. Et j'espère qu'il est assez intelligent pour le remarquer, et pour ne pas retrouver à nouveau la voie des hostilités.
Tu ne faisais que passer ? Alors passes ! Cesses de me regarder ainsi ! Pourquoi ne bouges-tu pas ? T'es handicapé ? Suis-je une bête de foire pour toi ? Cela t'amuse peut-être de me voir ainsi, impuissant, misérable. Jubiles-tu de l'intérieur de me voir de la sorte ? J'en suis sûr, après tout notre dernière rencontre n'a pas été des plus amical donc, pourquoi aurais-tu une soudaine once de sympathie pour moi ? Je n'aime pas ça, je n'aime pas paraître faible, paraître si … Si minable, si fragile … Pourquoi n'arrivais-je pas à me ressaisir ? Pourquoi je ne peux te grogner dessus comme je le fais pourtant si bien d'habitude ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à être ce Ragnar'k féroce que je suis censé être ! Misérable sentiments qui me font devenir aussi impuissant qu'un louveteau nouveau né ! Que je hais ces émotions qui me plient à leur volonté, qui font de moi leur pantin, qui m'empêchent de pouvoir laisser libre court à ma haine. Pourquoi est-ce le désespoir et la tristesse qui a prit place dans mon cœur aujourd'hui ? Minable, misérable …
Et toi, tu restes toujours là, planté, à me fixer. Je ne te lâches pas du regard pour autant, je refuse de baisser les yeux, pas face à toi, pas face à une femelle de ton genre. Non, je refuse de me montrer encore plus faible que je ne peux l'être à l'heure actuelle. Cette part de moi me hante, me bouffe, je la hais, je te hais, je vous hais tous ! Je ne veux pas être un con de sentimental ! Je ne veux pas paraître faible aux regards des autres !
Ah ! Ça y est ! J'y arrive ! Je lâche un grondement sourd qui fait à peine vibrer ma babine sous tes paroles, lamentable … Je suis lamentable … Où est le grand Ragnar'k ? Où est le véritable moi ! Cette part est-elle vraiment mienne ? Malheureusement et, je n'arrive pas à m'en défaire. Je l'ai pourtant refoulé, étouffé au plus profond de mon être, nourrissant chaque douleur par de la haine, mais non, il a fallut que ça explose ! Ils veulent se jouer de moi, ils ne m'auront pas ! Et merde ! Que puis-je te dire, hein ? Puis pourquoi me poses-tu cette question ? Pourquoi t'inquiètes-tu ? Dans mon regard ambré où se mêle la tristesse et la haine, je t'observe, toi fantôme abandonné des tiens, pourquoi restes-tu planté là face à l'être misérable que tu es censé détesté ?
- Quelle importance ? Ce que je pense n'intéresse personne. Ce que je désire n'intéresse personne. Tous sont égoïstes et hypocrites, ils croient me protéger, il n'en est rien. Je suis qu'un louveteau qu'on emprisonne et force à revêtir une couronne qu'il ne veut pas.
Et pourquoi est-ce que je déballe ça ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je te parle ? Pitié pars ! Je ne veux pas parler, je ne veux pas te déballer ce que j'ai sur le cœur ! Laisses moi, hais moi, mais ne t'approche pas de moi !
Je vais de surprise en surprise. Tout d'abord, je trouve Ragnar'k seul, dans un coin des Ruines. Ensuite, il ne semble pas vouloir se jeter à ma figure. Et enfin, il ne parvient même pas à grogner, ni à monter un réel signe de mépris. Soit je rêve - ce qui, en soit, est peu probable, soit Ragnar'k ne va vraiment pas bien.
« Quelle importance ? Ce que je pense n'intéresse personne. Ce que je désire n'intéresse personne. Tous sont égoïstes et hypocrites, ils croient me protéger, il n'en est rien. Je suis qu'un louveteau qu'on emprisonne et force à revêtir une couronne qu'il ne veut pas. »
Je reste silencieuse. Bouche bée, plutôt. Mais rien ne trahit mon désarroi, ni mon étonnement. Ce côté auto-apitoiement ne lui va pas du tout, il faut le dire. J'en reviens à penser à cette période de ma vie durant laquelle j'ai broyé du noir, moi aussi. Après le départ de Mère, la mort de Père et d'Adriel, tout me semblait dépourvu de sens. Je côtoyais la solitude - je la côtoie toujours, d'ailleurs. Je refusais la compagnie. Sors-t-on réellement indemne de ces changements si brutaux ? Ce sont d'autres problèmes qui accablent le jeune Prince, mais qui lui semblent être d'une égale injustice. Chacun possède ses petits problèmes familiaux, je suis bien placée pour le savoir. Moi qui suis orpheline, chose que l'individu ici présent n'a pas manqué de me rappeler la dernière fois. En cet instant, cependant, le sentiment de vengeance ou de colère est bien loin de moi. J'avais senti, dès le début, une faille dans ce jeune Prince. Sa colère, sa mesquinerie ? Rien qu'un rempart derrière lequel masquer ses émotions.
Je m'approche de quelques pas. La pluie battante créer un boucan assourdissant.
« Tu viens de te rendre compte d'une chose très importante: le monde craint. »
J'accompagne mes paroles d'un léger sourire, sourire plus destiné pour moi-même que pour Ragnar'k. Après tout, il faut bien qu'on passe tous par là un jour ou l'autre non ? Qui sont les loups ici, dont la vie est paisible et douce ? La mort et la famine nous guettent; des loups disparaissent, les Meutes changent.
« Enfin, si tu veux mon avis, ce n'est pas l'auto-apitoiement qui t'aidera à survivre. Tu possède bien plus de richesses que tu ne l'imagine. »
Mon ton n'est plus à la rigolade. Je plante mon oeil bleu et mon oeil brun dans ceux du Prince, tout à fait sérieuse. Je ne parle pas de la richesse que procure le rang de Prince (et encore, quelle richesse!). Regarde-moi, pauvre chose. Regarde celle qui n'a plus ni mère, ni père, ni frère. Regarde au fond de toi, pour voir à quel point tu es entouré. Après tout, lors de notre altercation, sa fratrie a immédiatement rappliqué pour l'aider. Moi, il a fallut que la chance m'envoie un inconnu pour égaliser les choses. Je sens la présence de cette plaie béante sur mon coeur, que je prends tant de soin à panser. Et après tout, je survie, non ?
Arrêtes de me fixer comme ça, arrête de me fixer tout court, tu m'agaces … Je ne suis pas d'humeur à cela, je ne suis pas d'humeur à parler et, pourtant, je parle, je déballe ce que j'ai sur le cœur mais, pourquoi il faut que je déballe tout cela à toi ? Pourquoi ce n'est pas tombé sur Belphegor voir même cette idiote de Althéa ? Parce que je me suis écarté de ma fratrie, parce qu'ils ne me comprendront pas, parce que eux se plaisent dans cette nouvelle vie … De toute manière, eux, ils n'avaient aucun amis chez les Sekmet, c'est pour ça qu'ils s'en fichent, ils ne pensaient qu'à leur petite personne et rien d'autre. Changer de meute, qu'est-ce que ça peut leur faire ? Ils sont encore mieux ici, à se pavaner en tant que Prince et Princesse ! C'est stupide …
Je te décroche un regard noir à tes premières paroles. Tu crois que je ne me suis rendu compte que maintenant à quel point le monde craint ? Je l'ai su dès le moment où on m'a tiré de force, où on m'a avoué que tout ce que en quoi je croyais était faux. Que mon père n'était pas mon père. Que ma mère est une traîtresse. Que mon véritable père est un loup sanguinaire sans la moindre fierté. Cesses donc de sourire, c'est stupide, tu es stupide, il n'y a pas lieu de sourire, pas pour ça …
Au final, je réfléchis mais, toi même n'as-tu pas été trahit par les tiens ? Abandonné par ta mère, laissé à ton triste sort ? D'ailleurs, pourquoi n'es-tu pas partie avec elle ? Pourquoi t'a-t-elle ainsi laissé ? Ne lui en veux-tu pas pour ce choix ? De te laisser entre les pattes d'anciens Sekmet qui te vole ton héritage ? Puis, de quelle richesse parles-tu ? Que sais-tu ? Être Prince ? C'est cela que tu appels une richesse ? Et bien moi, je n'en veux pas !
- De quelle richesse parles-tu ? Je n'en vois aucune.
Je parle, pas d'agressivité, juste un ton lasse, fatigué, un ton qui n'est pas censé être mien, un ton qui m'irrite. Je ne te comprend pas. Comment peux-tu encore garder la tête haute alors que, au final, tu es seule, complètement seule.
- Ta mère est partie, elle t'a laissée, seule, tu n'as plus rien, plus rien de ce que tu connaissais alors, comment peux-tu continuer d'avancer en acceptant une telle réalité ? Comment peux-tu accepter qu'elle t'ai laissé derrière avec rien si ce n'est des imbéciles à la tête de ce qui aurait dû t'appartenir ?
Mon ton est devenu un peu plus dur sur la fin. Les émotions qui parlent ? L'agacement ? L'énervement ? Oui, un peu de tout ça. Comment fais-tu pour ne pas réagir, pour accepter cette situation. Comment fais-tu pour avoir la foie de vivre encore dans cette meute qui n'est plus tienne ?
Ragnar'k me décoche un regard noir, mais je ne lui fair pas le plaisir de détourner les yeux, ni de m'excuser. Je reste la tête relevée, le corps droit et les quatre pattes solidement plantées dans le sol, sans ciller. Ce loup m'intrigue, et je ne me détourne jamais de la source de mes curiosités. Je sens, derrière cette grande carapace d'agressivité, de brutalité, les failles qui lui font défaut. Je vois, dans ces grands yeux bruns vifs, l'intelligence. Mais cette clarté d'esprit, cette lucidité sont entravées par ses émotions et par le soin avec laquelle il les contient. Tout semblait mesuré chez lui, et pourtant le voilà, sa carapace tombant en mille morceaux.
« De quelle richesse parles-tu ? Je n'en vois aucune. »
Je lèverai bien les yeux au ciel. C'est exaspérant: faut-il tout montrer, tout révéler à ce jeune mâle ? Il est tellement buté qu'il refuse de voir ce qui se trouve en face de lui. Il enchaîne, l'air las, emporté dans un élan causé par l'incompréhension.
« Ta mère est partie, elle t'a laissée, seule, tu n'as plus rien, plus rien de ce que tu connaissais alors, comment peux-tu continuer d'avancer en acceptant une telle réalité ? Comment peux-tu accepter qu'elle t'ai laissé derrière avec rien si ce n'est des imbéciles à la tête de ce qui aurait dû t'appartenir ? »
Ah, il a peut-être compris une partie du message. Je le scrute, silencieuse un instant, refusant de répondre à son agacement, ou à sa colère. J'aimerai pouvoir parler au vrai Ragnar'k que je devine sous cette épaisseur de fierté et sentiments refoulés. C'est à mon regard de se faire plus dur, de mes muscles de se tendre. Involontairement, je me tend à l'évocation de mon passé tumultueux. Je n'ai besoin de personne pour commenter mes actions passées. Je ne laisserai personne juger mon comportement, et certaines choses ne regardent que moi. Je finis par m'approcher du loup brun, et, malgré son apparente réticence, je vient poser ma patte au creux de son poitrail, l'effleurant à peine, comme l'aurait fait l'aile d'un oiseau.
« Ta richesse est ici. Et tout autour de toi. »
Malgré le rappel brulant qu'il m'a fait, je lui souris légèrement, plissant les yeux. Je veux qu'il comprenne. Peu importe mon passé, qu'il se contente du sien.
Je suis lasse de ces histoires, lasse de cet état dans lequel je me trouve. Pourquoi faut-il que ça m'arrive ? Pourquoi faut-il que tu en sois témoin ? Pourquoi faut-il que j'ai ta compassion ? J'en ai marre de me poser toutes ces questions. J'en ai marre de t'écouter parler dans ton dialecte qui n'a aucun sens pour moi. Tu vois des richesses là où je n'en vois pas. Tu parles de choses dont j'ignore. Que veux-tu dire ? Ne peux-tu pas seulement être précise ?
Et tu m'ignores, tu refuses de répondre à mes questions, quoique, en soit, je m'en doutais. Pourquoi m'aurais-tu révélé cela ? A moi, Ragnar'k, le louvard qui s'en est prit à toi par pur frustration ! Tu n'étais qu'un défouloir pour moi à ce moment-là, pour nous. Fille de celle qui nous a mit dans une telle situation, tu étais la victime rêvée. La petite princesse abandonnée, déchu. Tu n'avais plus rien ni personne et nous, nous étions trois. Trois jeunes loups dont la vie a radicalement changé du jour au lendemain. Trois pauvres louvards dont le destin a été scellé sans que leur avis ne compte mais, sommes nous réellement à plaindre ? Belphegor a finit par s'y plaire, Althéa également mais moi, moi je suis le vilain petit canard, la tête brûlée de la fratrie, celui qui refuse de se taire, de se soumettre. Celui qui veut vivre sa propre vie, prendre ses décisions. Et au final, me voilà seul, moi aussi …
Ironique, n'est-ce pas ? Au fond, notre histoire est similaire même si éloigné en même temps et pourtant, je ne souhaite pas que cela soit le cas …
Tes griffes tintent soudainement contre la roche, je te regarde enfin, sortie de mes pensées. Pourquoi t'approches-tu ? Je me redresse d'un seul coup lorsque tu es plus qu'à quelques centimètres de moi. Que fais-tu ? Pourquoi m'approches-tu ? Par réflexe, mes babines se retroussent, je tente de me maîtriser. Je ne veux pas qu'on m'approche, je ne veux pas que le moindre de vous m'approchiez. Mais tu lèves la patte pour l'approcher de moi et, la passe sur mon poitrail, dans un effleurement. J'ignore pourquoi mais, je sens mon corps prit d'un étrange frisson. Je lâche un léger son, un grondement aigu mêlé à un couinement, pathétique …
- Tu vois peut-être une richesse mais, moi, je n'en vois plus …
Oui, tu l'as bien entendu, mon ton a changé, il s'est muet en un léger soupir évasif. Ton dialecte est toujours difficile à comprendre même je pense en saisir une partie mais, non … Ma richesse se perd, peu à peu.
- Tu devrais y aller Dalioka … Tu dois avoir mieux à faire …
Mieux à faire que de rester avec un louvard comme moi …
- Et … Au fait … Désolé pour la dernière fois …
Je tourne la tête, serais-je en train de fuir ? Depuis quand est-ce que je fuis ? Je tourne de nouveau la tête pour planter mes yeux ambré sur toi. Oui, je suis désolé de m'en être prit gratuitement à toi mais, je me demande pas de t'en dire plus. Ne cherche pas à savoir pourquoi cette agression, pourquoi ces excuses. Je n'ai plus envie de parler en étant dans cet état ...
- Et si tu pouvais garder tout ça pour toi aussi, ça serait super ...
Je ne veux pas que les autres sachent. Je ne veux pas qu'ils connaissent cette part de moi. Toi maintenant, tu la connais et, c'est déjà trop alors, s'il te plaît, malgré notre passé, garde ça pour toi ...
Ragnar'k me regarde, à moitié perdu, et pousse un long soupir qui laisse percevoir son mal-être. L'envie de l'aider est présente, mais malheureusement que puis-je faire de plus ? Ce n'est ni mon rôle, ni ma priorité. Il me dit de m'en aller, et je sens qu'il est temps également, oui. Je sais ce que c'est, de ressentir des besoins de solitude. Nous avons besoin de les combler, sinon il nous est impossible d'avancer. Et cependant je n'arrête pas de me dire que j'aurais bien voulu, pendant mes dures premiers mois au sein de cette Meute, qu'un loup me tende la patte. Voilà peut-être pourquoi je le fais pour Ragnar'k, en dépit de sa malveillance passée.
« Et … Au fait … Désolé pour la dernière fois … »
Il tourne brusquement la tête, comme pour éviter mon regard. Et d'un côté tant mieux, comme ça il n'aura pas vu mon expression béate. Un sourire amusé étire peu à peu mes lèvres, quelque peu adouci à l'entente de ces paroles d'excuse. Je suis heureuse d'avoir pu obtenir cela de Ragnar'k. Même lui peut changer en bien, s'il le veut. Cela ne tient qu'à lui. Sa tête pivote à nouveau, et ses yeux ambrés s'ancrent dans les miens, bleu et marron. Je sais que je n'obtiendrai pas plus, mais je m'en contenterai largement. Je l'ai déjà poussé dans ses retranchements, c'est une petite victoire. Il ajoute rapidement:
« Et si tu pouvais garder tout ça pour toi aussi, ça serait super … »
Je prends une seconde, puis j'acquiesce lentement. Bien sûr que je garderai tout ça pour moi. A qui irais-je le dire de toute manière ? Et puis, il ne mérite pas d'être trahis. Une trahison de ma part, surtout après ce léger dévoilement, serait certainement fatal pour sa propre confiance. Il n'oserait plus se confier, et je ne veux pas voir revenir le Ragnar'k d'autrefois, alors que cette nouvelle facette de sa personnalité commence à me plaire. Je me retourne lentement, m'apprête à partir. Finalement, je me retourne, je lui lance un regard, affichant un très léger sourire.
« Ragnar'k ? N'hésite pas à venir me voir. »
Je prononce son nom comme si c'était la première fois, et j'en savoure les sonorités. Et puis, sans rien ajouter d'autre, je m'éclipse sous la pluie torrentielle.