Pandémonium et Ragnar’k avaient fait vite. La nuit était tombée sur les deux loups en chemin vers Koschei. Le jeune mercenaire savait exactement où trouver son leader, et il s’était dirigé droit vers le cimetière, là où la réunion réunissant tous les mercenaires avait eu lieu. Il frétillait d’impatience à l’idée que le petit loup noir puisse le féliciter pour cette nouvelle recrue qu’il lui apportait sur un plateau d’argent. Il espérait de tout cœur que Koschei serait fier de lui. Il n’espérait même pas la moindre récompense, la seule reconnaissance de son leader lui aurait amplement suffit.

Ragnar’k le suivait de près. Pandémonium espérait juste qu’il ne poserait pas trop de questions et qu’il ne se montrerait pas trop stupide. C’était la seule chose qu’il demandait. L’ancien Sekmet se devrait d’avoir une conduite respectueuse et irréprochable, il était parfaitement hors de question qu’il joue au gamin idiot et capricieux qu’il avait trop souvent été en la présence de Pandémonium. Il était presque adulte, désormais. Il devait être capable de discernement, tout de même !

Enfin, la silhouette du leader apparu au loin, juchée sur une tombe – presque comme à son habitude. Koschei avait ce besoin (semblait-il) de dominer le monde non seulement par son autorité, mais également par sa posture, à chaque instant qui s’écoulait en public. Pandémonium l’avait remarqué dès leur première entrevue, d’ailleurs. Il ralentit la cadence, jusqu’à arriver devant le loup noir en trottinant fièrement, le port de tête altier et le regard brillant de satisfaction.
Il s’arrêta non loin de Koschei, le saluant d’un signe de tête respectueux, mais trop peu soumis tant sa fierté était grande. Voilà sa première contribution en tant que mercenaire !

« Voilà, Koschei, celui dont je t'ai parlé. », annonça-t-il d'un ton solennel où perçait toutefois une pointe d'excitation.

« Qui t’es et que me veux-tu ? », lança Ragnar’k avec son tact habituel. S’il avait eu des mains, Pandémonium se serait certainement frappé le front avec l’une d’elles. Quel abruti ! Est-ce réellement comme ça qu’on parle à un supérieur, chez les Sekmets ? Même lui, qui avait grandi seul, savait que ce genre de manières ne passait pas trop bien, en règle générale. Il attendit la réaction de Koschei, avec un sourire en coin, curieux de voir ce qu’allait rétorquer le loup noir. Allait-il le mépriser ? Le remballer ? Non, certainement pas. Pandémonium était assez intelligent pour savoir que c’aurait été une erreur stratégique monumentale. Ragnar’k était si malléable…

Pandémonium écouta attentivement les sages paroles de Koschei. Bon, peut-être qu’il abusait un peu. Il l’avait en quelque sorte aidé à aller ailleurs que chez les Navniks, mais de là à être l’entier responsable de sa liberté… N’abusons rien. Mais c’était les atouts nécessaires qu’il fallait sûrement mettre en jeu pour convaincre Ragnar’k, même si la quasi-totalité du boulot était déjà fait. Mais la scène était si plaisante à regarder, que Pandémonium préféra ne pas intervenir. Il s’assit, comme devant un spectacle, les yeux brillants d’intérêt, sans se départir de son sourire satisfait. Lorsque Koschei était lancé, il était impossible de l’arrêter. Il se dégageait de lui une aura exceptionnelle, qui vous donnait envie de le suivre, partout où il vous dirait d’aller. Il avait ce charisme propre aux bons orateurs, et il ne ferait qu’une bouchée de l’âme si fragile du jeune Ragnar’k. Si Pandémonium y était parvenu, il n’y avait aucune raison que le leader n’y arrive pas. C’était évident.

Et, lorsque le loup noir se tut, le jeune Dragon tourna son regard vers sa nouvelle recrue. Ragnar’k semblait un peu perdu, mais Pandémonium savait que ce serait un bon élément. Il poserait beaucoup de questions, au début, mais peut-être finirait-il par prendre goût à cette vie libre et sans contraintes que lui offraient les Mercenaires ? Peut-être abandonnerait-il cette idée stupide de rejoindre les Sekmets un jour ou l’autre ?

« Tu veux réaliser mes souhaits ? Bien, fait en sorte que mon « père » disparaisse à jamais de ces terres et là je croirais en tes capacités. Et aussi, si tu veux espérer de la loyauté de ma part, ne fait plus jamais allusion au fait que je sois le gosse de Tybalt. »
Pause ! Temps mort. Attendez, il y a quelque chose qu’on avait oublié de lui préciser, là. Ragnar’k est le fils de Tybalt !? Mais en quel honneur ? Quel genre d’aléa de la vie avait fait commettre à Helya cette imprudente erreur ? Non contente de trahir les Sekmets et de prendre la place d’Isha à la tête des Navniks, voilà qu’elle avait forniqué avec l’ennemi bien avant sa trahison ! Cette constatation arracha un sourire au jeune loup brun. Voilà qui était bigrement intéressant… Il masqua sa surprise du premier abord par ce sourire mauvais, le sourire du je-prépare-un-mauvais-coup. Mais il demeura parfaitement statique, attendant la suite du débat.

« Ce monstre n'est rien et je refuse qu'on me compare à lui. Fais cela et je te suivrais jusqu'à mes treize mois pour pouvoir enfin ne plus être enchaîné à ma génitrice et pouvoir décider de ma propre voie. »
Ce n’était peut-être pas la meilleure stratégie pour encourager Koschei à le recruter, que de lui balancer qu’il comptait partir plus tard. Pandémonium songea un instant qu’ils pourraient toujours tuer Ragnar’k, juste pour titiller un peu Tybalt et, à titre plus personnel, Helya. Mais Ragnar’k, aussi stupide soit-il, allait certainement prendre goût à ce vent de liberté qui soufflait déjà sous sa truffe. Devoir assumer de nouveau ses responsabilités en retournant piailler chez les Sekmets, ce ne serait peut-être plus au goût du jour d’ici quelques mois. Voire même quelques semaines…
Et puis, il gronda. A cet instant, un rire bref mais franc échappa à Pandémonium. Qui croyait-il impressionner, au juste ?

« Accordé. Crois-moi, personne ne veut voir Tybalt disparaître plus que moi. Il a trahi les Mercenaires, et cela il le paiera cher. » Pandémonium reconnaissait bien là la hargne de son leader à punir le traître Mange-Lumière. Il sourit au même moment que lui lorsque ce dernier acheva sa phrase, celle qui scellait l’avenir de son rival pour les prochains mois.
Il hocha lentement de la tête, puis se leva prestement.

« Fort bien ! Je suis heureux de constater que ta joie est sans limites, Ragnar'k ! », lança-t-il ironiquement à son "butin".
« Je pense n'être d'aucune utilité à présent, je m'en vais. », acheva-t-il d'un ton plus sérieux, à l'intention de son leader.