L'hiver approchait, menaçant. La guerre avait éclaté, tout aussi menaçante. Les hommes en avait profité, particulièrement menaçants. L'épidémie se propageait, également menaçante.

Et lui dans ce dédale de dangers divers? Il avait entendu parler de la guerre; ou plutôt, il avait senti les traces des nombreux guerriers partis contre les Navnik, il avait vu de loin des ombres mouvantes sur la colline dont il s'était prestement éloigné et l'odeur des chiens et des hommes depuis ses terrains de chasse. Evidemment, ça n'était absolument pas une bonne nouvelle. Rien dans tout ça ne pouvait être qualifié de bonne nouvelle.

Sauf quand, lorsque vous avez vécu des années en solitaire à vous débrouiller dans un monde démoli et constamment invivable, vous avez appris à transformer tout ce qui peut l'être en avantage. C'était ce qu'il allait faire.

Les recherches se font mieux le ventre plein. Le fantôme s'arrêta, jaugeant du regard les lieux alentours pour déterminer quel endroit serai le plus rentable pour des proies. L'endroit avait beau avoir été peu touché par la guerre, ça n'avait pas l'air de foisonner non plus. De toute façon, y avait-il un seul endroit sur ces terres qui foisonnait de proies? Stupidement, en se dirigeant mécaniquement vers ce qui devait être un coin d'herbe, il repassa en revue les lieux qu'il avait visités. Tous pareils. Tous détruits, stériles et vides.

Une demi-douzaine d'ex-coins d'herbe plus loin, le solitaire s'arrêta. Un trou dans le sol, visiblement remué ou du moins emprunté il n'y avait pas si longtemps. L'odeur était forte, musquée. Il huma l'air avant de reprendre son chemin, cette fois-ci misant sur la discrétion pour surprendre le mulot - car c'était cette bête qu'il avait senti à l'instant - et le croquer. Certes, ça n'était pas la plus grosse prise qu'il aurait jamais fait mais c'était la vie de solitaire, point barre.

Il était là. A près de cinq cents mètres de l'entrée du terrier, le mulot grattait insouciemment la terre froide, cherchant sa propre nourriture. Il n'aurait bientôt plus à s'en soucier. Vérifiant vite fait la direction du vent et le cliquetis de ses griffes sur la pierre, le blanc commença lentement à réduire la distance entre prédateur et proie.

Une minute plus tard, le sang du mulot avait à peine le temps de rougir le bitume tant le solitaire dévorait à toute allure tout ce qui pouvait être mangeable du rongeur.

Rien d'autre ne se montra durant l'heure supplémentaire qu'il accorda à sa chasse. Il gronda, frustré, avant de se résoudre à se mettre au boulot et à faire la seconde partie de son plan de la journée; les recherches.

Après tout, combien mettraient les meutes pour savoir où se cachaient leurs chers membres?

S'il eut trouvé une quelconque proie ou carcasse en cherchant les traces des hommes, il aurait été évident qu'il l'aurai traquée ou mangée. Mais il fut vite évident que l'odeur du sang et sa propre odeur avait chassé toute proie du secteur qu'il parcourait, et en soi ce n'était ni un bien ni un mal. Ce n'était pas ça qu'il cherchait.

Au bout d'un certain moment et de quelques entailles aux pattes à force de trotter en tous sens, ce qu'il cherchait apparut. Sous la forme d'un chiffon, plutôt récent et qui le mit immédiatement en alerte.

Les humains étaient proches. Trop proches à son goût; il jouait avec la mort, en faisant ça. Mais jouer avec la mort, n'était-ce pas ce qu'il faisait tous les jours?

[six donc molosse donc pas de texte dans ce post]

Le choc soudain d'une masse brune sortie comme qui dirait de nulle part ne manqua pas de le déstabiliser, et très vite de le faire tomber. Il resta un court temps ébahi, alors qu'en roulant le chien masqua le soleil aux yeux du loup blanc; puis, lorsque quelques cailloux restés coincés dans sa fourrure quittèrent son dos pour ricocher sur le sol, il reprit ses esprits. Un sourd grondement s'échappa de sa gorge comme un serpent qui s'éveille, à peine étouffé par la morsure du chien.

Sale toutou à son maîmaître. Les humains devaient être en cruel manque de distractions pour avoir envie de former une meute de ces machins.

Il rua brutalement, tentant de se redresser à plusieurs reprises, la déchirure et la douleur associées que causaient les crocs du chien et ses mouvements frénétiques pour s'en dégager agissant comme excitant sa rage, le faisant se débattre avec plus d'ardeur encore. Et, à force d'efforts, le fantôme finit par sentir ses mouvements plus libres et la prise du chien moins assurée; dans une contraction qui lui arracha un geignement, le mâle envoya ses propres crocs vers le poitrail du cabot, fermement bien décidé à en faire de la charpie.

Le chien lâcha enfin; sa nuque lui faisait mal, chacun de ses mouvements étaient douloureux, mais il y avait autre chose qui requérait son attention immédiate. Le cabot. Il repartait déjà à l'assaut, bien malgré la longue traînée rouge qui barrait maintenant son poitrail. Le fantôme gronda, campé fermement sur ses quatre pattes malgré la douleur qui lui vrillait le dos et le cou, malgré le fin filet qui gouttait le long de son pelage blanc, prêt à encaisser le choc.

Le choc vint sur son épaule. Il sentit à nouveau les crocs s'enfoncer dans sa propre chair et il sentit à nouveau cette même douleur surgir d'un éclair. Mais cette fois-ci, enivré par le combat comme par l'engourdissement que provoquait sa blessure, il ne comptait pas fuir face à la prise de son adversaire. Il ne referai pas l'erreur; la meilleure des défenses était l'attaque, sa dernière action en était la preuve et c'est dans cette optique qu'il visa cette fois la joue, la gorge ou au moins une oreille exposée à ses crocs par le rapprochement du chien.

Ni l'un ni l'autre n'étaient motivés à se lâcher. Le chien tira de son côté, et Joker Fou en profita pour répliquer de la même façon. Ses crocs étaient ancrés dans le cabot et il ne comptait sûrement pas lâcher. Il secoua sa tête de gauche à droite, tentant par là autant de le décrocher que d'aggraver la blessure. Le corps à corps prolongé avait beau ne pas être son domaine de prédilection, il ne voulait en aucun cas la retraite. Cet assaut serai le dernier, celui où le chien mourrai ou s'enfuirai, au choix.

Son adversaire devait le sentir car il entama une succession de coups de pattes et de griffes dans sa direction. La première se perdit dans la fourrure de son encolore sans trop de dégâts. Pourtant, son museau et sa joue durent subir les frais des suivantes, et la douleur ne fit encore que resserer sa prise. Il y avait une fin à tout; et cette fois, le solitaire lâcha enfin le bas de sa tête pour viser le coup illico, bousculant si possible le chien au passage.

La jugulaire - celle même que le solitaire avait attrapée et percée entre ses crocs - avait beau n'être qu'une veine et non une artère, la quantité de sang qui en jaillissait, juste sans gicler, était tout aussi impressionnante. Le chien puisait dans ses dernières forces pour bondir, envoyer ses pattes à droite et à gauche pour se dégager.
Vainement puisqu'il fut bientôt un corps flasque pendant entre ses machoîres. Il le lâcha, dédaignant le peu que pouvait lui procurer la carcasse, au profit de s'occuper de ses propres blessures. Entreprenant de les lécher et d'arrêter l'écoulement du sang; ce ne fut qu'une fois fait qu'il se remit en route.