LE MONDE A L'ENVERS

Les petits yeux brillants du jeune rongeur brillaient dans le clair-obscur de l’aube naissante. Qu’il était doux, de pouvoir enfin s’aventurer seul dehors, hors du nid chaud et trop protecteur de sa mère ! Il humait les différentes senteurs qui exhalaient leurs doux parfums, envahissant sa truffe frémissante avec délices. Le sol encore humide mouillait ses pattes délicates, et les couleurs rosées du ciel ne laissaient augurer qu’une magnifique journée. Cependant, pas question de rester là à rêvasser ! Quand on est un jeune lapin, on se doit de trouver de la nourriture et ce, avant que la nuit ne tombe ! Sinon, gare aux prédateurs affamés qui peuvent vous tomber dessus…
Le cœur battant rapidement – de ce rythme effréné propre à ceux de son espèce – le rongeur se mit donc en quête de nourriture, et plus particulièrement de trèfles : les lapins raffolent de trèfles à peine éclos. Il sautille çà et là, ses moustaches frémissantes cherchant l’odeur alléchante des végétaux recherchés. La nourriture n’est pas si rare que ça, ici, mais elle sait se faire désirer… Enfin, il parvient à trouver les feuilles caractéristiques et s’en approche avec un air de délectation : il va pouvoir goûter à ce doux nectar de sève et de chlorophylle qu’il affectionne tant ! Il tend ses lèvres délicates, ses dents aiguisées, et mâchonne le végétal avec un air béat. Il demeure quand même sur ses gardes : il est un lapin, et chaque lapin se doit d’être d’une prudence extrême.
Mais sans doute s’est-il trop laissé aller aux plaisirs suaves de la nourriture abondante ? Un léger craquement le fait brusquement sursauter ; pas exactement un craquement, mais plutôt une sorte de bruit d’herbe froissée, par quelque chose d’infiniment léger. Il se retourne violement en direction du bruit, les oreilles dressées, le cœur battant la chamade, en proie à de violentes pulsations cardiaques. Qu’est-ce qui cherche à lui nuire ? Il a cessé de mâcher les feuilles du tant désiré trèfle, tant il est concentré sur l’objet de sa crainte.
Et en effet, il a eu raison d’avoir peur : il n’a pas le temps de reculer d’un pas que surgit de derrière un énorme rocher un loup monstrueux, aux canines découvertes et effrayantes, la gueule pleine de bave et des yeux si clairs qu’ils paraissent surnaturels. Le lapin fait brusquement demi-tour : il faut fuir, vite ! Il faut se tirer d’ici avant de se faire éventrer de la façon la plus terrible qui soit, la façon d’un loup ! Il n’avait vu que trop de congénères se faire attraper pour y passer lui aussi ! Mais il a à peine esquissé un bond qu’il croyait salutaire, qu’il se sent projeté dans les airs, volant vers le ciel comme jamais il n’avait bondit. L’attraction terrestre le rappelle bientôt à l’ordre, et il chute vers le sol, battant des pattes comme si ce mouvement aurait pu amortir la réception. Mais déjà, sous ses coussinets duveteux se tenait le monstre de poils et de cruauté, qui attendait tranquillement, la gueule grande ouverte, qu’il vienne y tomber.
Et le rongeur ne pouvait plus rien faire pour y échapper.
Alors, il ferma les yeux, comme si ce simple geste aurait pu diminuer la douleur, battant l'air de ses pattes encore plus furieusement, sans que cela ne l'aide à sauver sa peau. Le choc fut rude, âpre. Les crocs s'enfoncèrent dans sa chair molle, et il eut envie de pousser un cri que ses cordes vocales ne lui permirent pas d'expier : il devrait mourir muet.

ÂME DE POÈTE & CHASSEUR CHASSE

La jeunesse perdant peu à peu sa candeur,
Laisse place à la farouche impétuosité des premiers combats,
Lui faisant commettre souvent les pires des erreurs,
Où ces elles-mêmes mènent évidemment au trépas.

Mais la chance peut parfois sourire à ce fou tourbillon,
Épargnant à l'occasion jeunesse et folie au détriment de sagesse et réflexion,
Laissant les vieilles fleurs fanées croupir et se flétrir,
Au profit de celles qui, nouvellement nées, sont la clé de l'avenir.

Jeff l’a parfaitement vu, ce matin-là. Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Souvent, des loups s’aventurent dans l’espoir de lui piquer le fruit de ses chasses. Et la plupart du temps, ce sont des jeunes loups comme celui qui s’enfuit entre les buissons là-bas, et que Jeff manque de quelques centimètres à peine, fusil à l’épaule. Une détonation brise le calme de l’aube, puis une autre, et encore une autre. Non, décidément, il faudrait faire réparer ce fusil… et surtout la lunette, qui semble être d’une imprécision redoutable… Les deux chiens enchaînés devant la petite maison délabrée sont comme fous : ils se tordent sur le sol, leurs yeux sont révulsés, ils aboient et grognent comme deux diables déchaînés.
Jeff hésite. Va-t-il se lancer dans une course-poursuite effrénée, à six heures du matin, alors qu’il n’aspire qu’à se recoucher bien au chaud ? Oh, et puis merde. Que ça serve d’exemple. Qu’on en bute un pour tous les autres qui sont venus lui voler sa nourriture ! Il détache Sangka et a à peine le temps de l’encourager d’une tape fervente sur la croupe qu’elle est déjà partie en trombe, sur la piste du loup. Pyrrhus devient hystérique et, après lui avoir passé une laisse, Jeff le détache à son tour. Le molosse le tracte brutalement vers l’avant, sur les traces de sa camarade et de cette saleté de loup. La piste est fraîche, et les trois acolytes n’ont aucun mal à la remonter. Les vitesses sont équivalentes, et Sangka est en train de rattraper ce louvard. Qu’elle le mette en pièces, peu importait, tant que cela lui serve de leçon !
Il fallut quelques minutes supplémentaires de traque pour que des geignements et des grondements féroces parviennent aux oreilles de Jeff et de son chien. Pyrrhus grondait, comme un dragon énervé. Le chien emmena son maître jusqu’au lieu de l’affrontement où Sangka livrait bataille contre le voleur. Ce dernier n’était pas très massif, il était même assez maigre. Mais il semblait se battre férocement, avec force de coups de griffes et de crocs. Les mâchoires claquaient, les grondements amplifiaient. Jeff mit le jeune loup en joue, attendant patiemment qu’il fasse un faux mouvement qui aurait pu l’écarter de la chienne, pour lui permettre de tirer. Mais – fruit du hasard ou incroyable intelligence de sa part ? – le jeune loup restait collé au corps à corps avec la chienne, évitant que l’homme ne tire. Jeff, agacé par l’attente, finit par lâcher Pyrrhus, qui s’élança tous crocs dehors jusqu’à leur ennemi commun. Ce dernier se coula lestement sous la masse fauve qui se jetait sur lui : les deux chiens manquèrent de s’attaquer mutuellement, emportés par leurs élans respectifs. Le temps qu’ils se retournent, le jeune loup avait déjà filé, dans un concert de coups de feu lancés par Jeff.
L’homme lâcha un juron. Il aurait mieux fait de rester couché, décidément.

CHASSE NO. 1

Le mois de Novembre commençait juste à répandre son froid hivernal sur les terres chaotiques de son monde, et le poil du jeune Dragon se faisait de plus en plus dense. Cependant, malgré les mois qui passaient, il ne se voyait pas plus grand, ni plus fort. Il se sentait toujours comme un jeune loup – plus malin que la moyenne certes – plein d’inexpérience et de doutes. Ce matin-là, le monde s’offrait à lui avec une peau neuve, mais Pandémonium n’avait pas le temps de se laisser l’admirer. Il avait faim, et il ne pouvait plus compter sur ses gentils camarades de meute pour le nourrir. Il devait survivre par lui-même, ce qui ne lui avait jamais posé problème jusqu’à présent. Hormis peut-être un petit souci de fainéantise…

[CHASSE 1] Le jeune loup s’attela rapidement à la tâche. Il n’avait pas de temps à perdre, et il ne voulait pas non plus passer sa journée à trimer pour se remplir l’estomac. La chance semblait être avec lui ce matin-là, puisqu’une piste toute fraîche tomba presque par hasard sous ses narines aguerries. Trottinant en silence, il la suivit d’un pas guilleret. Il n'était pas encore parvenu à identifier cette odeur, mais elle le mena droit vers un terrier. Les abords du trou étaient creusés grossièrement, par un animal sûrement muni de griffes suffisamment puissantes pour retourner la terre aussi violemment. Pandémonium risqua un museau prudent dans l'antre de cet animal inconnu, reniflant avec suspicion les lieux.
L'occupant lui fit rapidement regretter son geste : quelque chose lacéra sa truffe avec force, et le jeune loup recula brutalement dans un gémissement de douleur. Sortant alors de son trou, un énorme blaireau fit son apparition, l'oeil brillant de colère, prêt à défendre son bien qu'il croyait peut-être se faire usurper ? Le jeune Dragon se mit en posture défensive, les crocs découverts sur un grondement menaçant. Approches, si tu l'oses ! L'animal semblait douter de l'attaque : pourtant, c'était lui qui avait lancé l'offensive ! Peut-être s'attendait-il à un autre intrus.. Peu importait, la seule idée qu'avait désormais Pandémonium en tête, c'était de le tuer et d'en faire son repas. Il commença à décrire de grands cercles autour du carnivore, qui le fixait d'un oeil mauvais. Au bout de quelques tours, il lança l'attaque brutalement, sans crier gare, se jetant sur le blaireau de toute sa force, l'obligeant à reculer sous la pression de son impact. L'animal se débattit, grondant avec véhémence, lançant coups de griffes sur coups de griffes dans le museau du jeune loup qui parvint à attraper entre ses crocs un morceau du poitrail de son ennemi. Les deux opposants tombèrent à terre, et roulèrent sur quelques mètres dans un concert de grondements. Le blaireau était fort, et puissant. Chacun de ses coups de pattes manquaient d'assommer le jeune loup, le faisant vaciller quelques instants. Mais il était plus lent que Pandémonium. Et ce dernier parvint à esquiver les coups après quelques minutes de combat. Cependant, le blaireau retourna la situation à son avantage en le retournant sur le dos, ses crocs baveux s'approchant dangereusement de sa gorge : le louvard était plaqué par le poids de l'animal contre le sol, et il pouvait sentir son haleine fétide caresser sa joue. Les crocs s'approchaient, s'approchaient, et le mercenaire demeurait crispé, tentant de repousser son agresseur par tous les moyens. Il poussait de toutes ses forces et eut enfin la présence d'esprit de mettre ses pattes postérieures au travail : poussant encore davantage, les dents serrées, il força sur ses muscles pour finalement rejeter le blaireau à côté de lui. Pas le temps de respirer, il fallait prendre l'avantage ! Il se retourna, bondissant sur son ennemi avec une rapidité stupéfiante, et planta fermement ses crocs dans sa gorge dans un grondement victorieux, sans qu'il ait eu le temps de le repousser. Le blaireau s'agita, balayant l'air de ses griffes et labourant les flancs du jeune loup qui n'esquivait même plus les coups, attendant que l'énergie du blaireau s'amenuise, et serrant à chaque minute encore plus fort. Le sang coulait dans sa gorge, sur sa langue et son palais, et lorsque le blaireau expira, il regretta presque que ce moment n'ai pas duré plus longtemps.

[CHASSE 2] Le museau rougi par le sang du blaireau, Pandémonium lui arracha quelques touffes de poils pour sélectionner un morceau de chair à mâchonner pour tromper la faim. Il traîna avec quelques difficultés le blaireau dans son terrier pour l'y camoufler : cet animal était énormément lourd, et d'autant plus une fois mort ! Puis, il se lança à la poursuite d'une autre proie. La ville en ruine devait certainement regorger de rongeurs tels que des lapins, lièvres, souris, rats, musaraignes et autres campagnols... Truffe contre le sol, le jeune Dragon trottinait à la recherche d'une piste, lorsqu'un mouvement suspect l'arrêta net, attirant vivement son attention : entre deux pierres, là-bas, quelque chose bougeait. Pandémonium tendit le cou, les oreilles frémissantes. Non, il ne se trompait pas : il y avait quelque chose qui bougeait, et c'était sûrement comestible. S'avançant jusqu'aux pierres sans bruit, il ne tarda pas à bondir par-dessus pour retomber... à quelques centimètres d'un animal. Prédateur et proie se regardèrent, l'air abruti, avant que le lapin ne fasse demi-tour rapidement, s'enfuyant à toutes pattes. Pandémonium s'élança aussitôt à sa poursuite : le rongeur galopait rapidement, bondissant par-dessus les éboulis et les rochers avec souplesse, zigzaguant entre les roches trop imposantes pour être sautées. Pandémonium le suivait tant bien que mal, galopant à en perdre haleine, les poumons en feu et la langue desséchée : ce genre d'animal ne s'épuisait donc jamais !? Les fréquents zigzags du lapin l'épuisaient encore davantage et il commençait à perdre du terrain ; la fatigue allait avoir raison de lui. Mais il avisa soudain son ultime chance, droit devant lui : un rocher énorme leur faisait face. Le lapin allait le contourner, c'était certain. Et en effet, le rongeur fit un crochet sur la droite à la vitesse de l'éclair. Rassemblant ses dernières forces, Pandémonium bondit sur le rocher, s'agrippant tant bien que mal aux aspérités, se hissa rapidement et retomba de l'autre côté avec l'effet escompté : pile sur le fuyard. Quelque chose craqua lorsque le poids du loup entra en contact avec celui du lapin, et Pandémonium attrapa sa victime par la nuque, la tordant immédiatement vers l'arrière, la faisant craquer d'un bruit délicieux.

CHASSE NO. 2

[CHASSE 1] Le jeune Dragon furetait encore aux alentours des décombres de la ville humaine, truffe au vent, à l’affut du moindre signe de vie qui serait susceptible de finir entre ses crocs. Oh, il n’était pas délicat : n’importe quel animal aurait fait l’affaire ! Une odeur putride attira son attention : la suivant, il ne tarda pas à tomber sur une carcasse de corbeau qui empestait la viande faisandée. Le jeune loup n’était pas du genre à faire la fine bouche, mais l’état de la chair était bien trop avancé pour qu’il se permette ne serais-ce que de la flairer d’un peu trop près. L’odeur était si pestilentielle qu’il failli passer à côté de celle d’un renard, dont les empreintes de pattes avaient marqué le sol un peu partout autour de la carcasse. Le petit prédateur avait peut-être sa tanière dans les parages… Le jeune loup suivit les empreintes, jusqu’à dénicher un trou creusé entre deux énormes stèles de pierre. L’odeur du renard y était si forte qu’on ne pouvait pas s’y tromper : le carnivore avait trouvé refuge dans cet antre. Il s’agissait à présent de l’en faire sortir, pour peu qu’il soit à l’intérieur. Le jeune loup sauta sur une des pierres, se plaçant stratégiquement juste au-dessus du trou. Il s’allongea, les yeux rivés sur l’entrée, et attendit.
Les minutes, les heures passèrent, sans que rien ne bouge. Enfin, alors que le jeune loup commençait à perdre patience, un museau frémissant sortit prudemment de la tanière. Les muscles du Dragon se bandèrent immédiatement, et son œil intéressé demeura fixé obstinément sur la fourrure rousse qui sortait avec une lenteur infinie du couvert de son abri. Jugeant le moment opportun, Pandémonium se laissa choir sur sa victime, les crocs découverts : il tenta de s’emparer de la nuque de l’animal mais ce dernier, mu par un réflexe salvateur, avait fait demi-tour entre ses pattes et s’était frayé un chemin d’un coup de croc jusqu’à sa tanière bienfaitrice. Le jeune loup se retourna vivement, bien décidé à ne pas se laisser duper aussi facilement, et ses mâchoires se refermèrent sur la queue du carnivore, qui poussa un piaillement de douleur. Mais, loin de se retourner pour contre-attaquer, le renard plongea dans son antre, entraînant Pandémonium à sa suite. Le museau du loup était totalement entré dans le trou, mais il ne lâchait pas sa prise. Prenant appui sur ses deux pattes antérieures, il commença à pousser de toutes ses forces sur ses articulations pour extraire le renard de son abri. Ce dernier tirait également de toutes ses forces, à l’intérieur, et il était doté d’une puissance assez imprévue. Pandémonium gagnait du terrain, centimètre par centimètre, le renard allait être extrait au prix de laborieux efforts. La mâchoire crispée du jeune loup le faisait souffrir, et son dos arc-bouté commençait à geindre. Soudain, quelque chose lâcha et le jeune loup tomba à la renverse, emporté par sa propre pression : le renard s’éclipsa au fond du trou, et Pandémonium demeura les quatre fers en l’air, une énorme touffe de poils roux coincée entre les dents.

[CHASSE 2] Se redressant vivement, bien décidé à attraper ce mauvais larron, le jeune loup se mit à creuser frénétiquement l’entrée du terrier. Rien n’y faisait, le trou ne s’élargissait pas malgré les puissants coups de griffes ; au contraire, l’entrée se bouchait de plus en plus. Une idée lui vint alors : il se mit à creuser à nouveau mais cette fois dans l’autre sens, bouchant l’orifice d’une masse de terre suffisamment importante. Il s’arc-bouta ensuite contre un rocher et le fit rouler aux prix de nombreux coups d’épaules jusque devant l’entrée du terrier. Le renard devait sûrement avoir prévu une autre sortie, il suffisait d’être patient. Le jeune loup remonta sur son promontoire, bénéficiant ainsi d’une vue d’ensemble sur tout le périmètre, et il s’assit en attendant que le renard émerge de sous terre, Dieu seul sait où.
Et contrairement à précédemment, le petit prédateur ne se fit pas attendre : il sortit en trombe d’entre deux rochers, galopant à vive allure entre les décombres, lançant ainsi la chasse que Pandémonium attendait. Dans un grognement joyeux, le jeune loup bondit de son piédestal pour s’élancer à la poursuite de sa proie. Galopant à vive allure, il était moins agile que son cousin rouquin, mais plus rapide : ses foulées plus grandes lui faisaient gagner du terrain sur le renard qui zigzaguait à présent comme un lièvre entre les rochers. Pandémonium éprouvait quelque peine à le suivre dans chacun de ses virages trop serrés. Mais l’inévitable se produisit : Pandémonium rattrapa sa proie et d’un coup de patte habile, il la fit trébucher. Le renard tenta de conserver son équilibre, mais il roulait déjà sur le sol, impuissant face au jeune loup qui se jetait déjà sur lui. Le roux couinait, semblait implorer grâce, mais Pandémonium lui sectionna la gorge, sans aucune pitié, dans un jappement joyeux. Il le libéra, prenant un malin plaisir à voir le renard tenter de se relever, se vidant de son sang à chaque pas traînant qu’il faisait, ce qui laissait le temps à Pandémonium de reprendre son souffle après cette course effrénée. Il fit quelques mètres pour finalement s’écrouler et demeurer sans vie.

CHASSE NO. 3

[CHASSE 1] Le jeune Dragon, tous les sens aux aguets, guettait depuis un petit moment déjà le couple de perdrix qui picoraient le sol à quelques mètres de lui. Sous le vent, caché derrière un amas de gravas, le jeune loup se demandait encore comment il allait s’y prendre pour attraper les deux oiseaux, sachant qu’il lui fallait parcourir une cinquantaine de mètres à découvert, tout cela sans se faire ni voir, ni entendre, ni même sentir. En gros, être assez rapide pour que les volatiles ne prennent pas leur envol avant qu’il n’ait refermé ses mâchoires sur eux. Il contourna ses cibles par un crochet sur la droite, toujours dissimulés derrière des tas de rochers. Il réduisit la distance d’une dizaine de mètres, mais il ne pouvait pas faire mieux : il fallait qu’il se jette à l’eau. Il bondit alors hors de sa cachette, les crocs découverts malgré son manque de conviction quant au succès de son entreprise. Les perdrix, elles, semblèrent très convaincues puisque dans un piaillement paniqué, elles commencèrent à battre des ailes pour s’envoler. La femelle, plus rapide, décolla rapidement mais le mâle galopa sur quelques mètres avant de parvenir à prendre son essor : le temps suffisant qu’il avait fallu à Pandémonium pour le rattraper au grand galop. Malheureusement, seules quelques des plumes du croupion de sa proie lui restèrent entre les dents, et il regarda l’oiseau s’enfuir à tire-d’aile.

[CHASSE 2] Peu affecté de cet échec plutôt attendu, le jeune loup cracha les quelques plumes qui avaient élu domicile entre ses mâchoires : contact plutôt désagréable. Pandémonium se remit rapidement à la recherche de nourriture. Il furetait ça et là sans grand succès, lorsque quelque chose détala subitement sous sa truffe ! Il bondit à la poursuite du petit rongeur, mais celui-ci disparu immédiatement sous un rocher. Le jeune loup, bien décidé à se mettre quelque chose sous la dent, s’arc-bouta contre le caillou, poussant de toute sa force contre la montagne qui ne semblait pas vouloir bouger. Les postérieurs du louvard glissaient sur la terre molle, mais il continuait de pousser avec entêtement : la pierre finit par bouger, lentement. Mais sûrement. Guettant en même temps l’endroit où le rat avait disparu, il continuait de pousser, jusqu’à découvrir entièrement une galerie de plusieurs mètres de long. En creusant un peu, il ne tarda pas à tomber sur le rat en question, terré dans un coin de ses galeries mises à nu. En un jappement joyeux plus tard, Pandémonium l’avait englouti presque tout d’un coup.

[CHASSE 3] Mais cette maigre pitance n'ayant pas suffit à le rassasier - bien au contraire ! - Pandémonium se mit en quête d'autre chose de vivant. L'ancien camp des Bipèdes regorgeait de nourriture, en temps normal, mais cette fois-ci Pandémonium peina plus longtemps que d'habitude avant de trouver enfin quelque chose à manger.
Perché sur un muret, un merle chantonnait une mélodie connue de lui seul. D'ordinaire, le jeune loup avait plutôt tendance à ignorer les oiseaux, qui étaient un met assez peu ragoûtant. Mais il avait faim, et peu envie de continuer à chercher une pitance peut-être inexistante dans les décombres. Il contourna le muret en toute discrétion : l'avantage des oiseaux, c'est que lorsqu'ils sont inquiets, ils se taisent. Or, le merle continuait de chanter allègrement. Pandémonium arriva juste sous son croupion, de l'autre côté du muret, au bout de quelques secondes. Il eut à peine le temps d'esquiver la fiente qui manqua de lui tomber dessus. Il s'écarta vivement, froissant l'herbe sous ses pattes postérieures. Immédiatement, le merle cessa de chanter et, se retournant vivement, aperçut le loup qui le guettait. Le jeune Dragon ne lui laissa pas le temps de s'envoler : il bondit à sa gorge par-dessus le muret, se laissant tomber de l'autre côté sans aucune légèreté. Ses flancs heurtèrent le sol dans un bruit sourd, mais les os du merle avaient déjà craqué entre ses crocs.

CHASSE NO. 4 [1]

Cela faisait plusieurs minutes déjà que le jeune loup regardait cette forme à la fourrure épaisse s'agiter derrière ces murs délabrés. Il était parvenu au bout d'un certain temps à identifier une marmotte, puis une deuxième. Une troisième s'était ajoutée au binôme, se perchant sur un rocher, certainement en guise de sentinelle. Le jeune loup, mal dissimulé derrière un rocher pas assez gros pour le camoufler entièrement, ne bougeait pas d'un centimètre, de peur d'alerter le guetteur, qui se tenait droit comme un piquet, guettant l'horizon de ses petits yeux stupides. Il tournait assez régulièrement la tête dans diverses directions, et le seul avantage dont bénéficiait Pandémonium, c'était que le vent était avec lui : la proie ne pouvait pas le sentir. Alors, à chaque fois que la sentinelle tournait la tête à l'opposé de sa position, le jeune loup s'avançait de quelques mètres, le ventre au ras du sol, se camouflant derrière un second rocher, puis un troisième. Un bidon rouillé lui servit d'ultime cachette, avant qu'il ne se retrouve au pied du promontoire sur lequel la marmotte se tenait.
Au moment où elle baissa les yeux vers lui, Pandémonium avança promptement ses pattes antérieures sur le promontoire, saisissant la malheureuse entre ses crocs sans qu'elle n'ait pu proférer le moindre cri d'alerte, la contraignant à descendre de son piédestal. Le rongeur se débattit en silence, le museau entouré des crocs du jeune Dragon, qui peinait à atteindre sa gorge. Il décida donc de l'étouffer, malgré les coups de griffes que lui assenait la marmotte au désespoir sur le museau. Elle finit par ne plus se débattre, et Pandémonium laissa tomber son petit corps mou sur le sol.

CHASSE NO. 4 [2]

Bien décidé à faire d'une pierre deux coups, il demeura parfaitement silencieux pour tenter d'aller attraper les acolytes de la sentinelle : serpentant comme une ombre entre les décombres, il parvint sans mal à quelques mètres d'elles. Il ne pourrait pas attraper les deux, il le savait. Il fallait donc jeter son dévolu sur la plus proche des deux. Le jeune loup bondit de derrière son caillou dans un grondement agressif, fonçant droit sur le rongeur qui eut un instant de surprise, avant de détaler droit vers un des terriers. Le jeune loup entendit vaguement un cri d'alerte, donné par la seconde marmotte, mais il n'en avait que faire : il galopait à toute allure derrière le rongeur qui filait bon train. Le terrier et le salut de la proie se rapprochaient, et Pandémonium força l'allure, contraignant ses muscles à un effort plus intense. La marmotte commença à zigzaguer devant lui, pour lui faire perdre du terrain, mais le jeune Dragon commençait à être rodé à ce genre de pratique qui ne le déstabilisait plus : il suivait chaque mouvement de la marmotte, et gagnait du terrain plus qu'il n'en perdait.
Au dernier moment, alors que le terrier n'était plus qu'à quelques mètres, le Dragon bondit. Il atterrit in extremis sur la marmotte qui allait se jeter dans son antre. Quelque chose craqua, et la marmotte ne bougea plus, immédiatement. Le jeune loup se redressa, contemplant son œuvre : le rongeur ne bougeait plus du tout. Il était mort. Fier de lui, le loup se rassit pour reprendre son souffle. Grave erreur ! La marmotte - qui faisait la morte - se releva promptement pour plonger dans son terrier. Le louvard n'eut que le temps de se relever pour la voir disparaître, lâchant un jappement désemparé.

CHASSE NO. 4 [3]

Irrité par la duperie dont il avait été victime, Pandémonium retourna sur ses pas, et décida de manger la marmotte qu'il avait tuée précédemment. La chair fraîche le réconforta quelque peu, mais il ne tarda pas à se remettre en chasse, bien décidé à ne pas rester sur un échec aussi cuisant.
Les traces aisément reconnaissables d'une belette le conduisirent droit à une sorte de garde-manger où étaient empilés une multitude d'ossements de petits rongeurs et d'oiseaux. Il inspecta les environs avec intérêt, à la recherche de la propriétaire de ces lieux. Elle ferait un en-cas parfait pour un loup comme lui. C'est derrière un muret que le loup et la belette tombèrent nez à nez : elle revenait à son garde-manger, un oiseau fraîchement tué entre les crocs. De surprise, elle laissa tomber le volatile pour faire demi-tour et fuir. Le jeune loup se jeta à sa poursuite. Mais le petit carnivore était malin : plutôt que de courir en zigzaguant comme un lapin, elle se faufilait entre les rochers, aussi vive qu'une anguille, pour ensuite les escalader, obligeant le loup à la suivre dans chacune de ses péripéties : Pandémonium bondissait par-dessus les talus, galopait dans les descentes, grimpait les rochers. Mais la fatigue se faisait sentir : les deux animaux avaient ralenti leur course. C'était à celui qui lâcherait en premier.
Ils continuèrent la course-poursuite de longues minutes encore, le jeune loup avait les poumons brûlants et la langue pendante. La belette n'était guère en meilleur état, et la fatigue finit par la faire trébucher. Pandémonium ne pouvait pas manquer cette aubaine ! Dans un ultime effort, il poussa sur ses postérieurs et se laissa tomber plus qu'il ne bondit sur sa proie, refermant ses crocs sur sa nuque avec une violence peu commune : cette fois, pas question de se laisser feinter !

CHASSE NO. 4 [4]

Le jeune loup se remit en marche, après avoir camouflé la belette comme il se doit. Il songea à son frère, et se dit qu'il pourrait éventuellement lui donner cette proie-là. Après tout, la marmotte lui suffisait déjà.
La piste encore fraîche d'un renard attira soudain vivement son attention ; il la suivit, à la recherche de la fourrure rousse caractéristique qui attisait son intérêt. La piste s'arrêtait à l'entrée d'un terrier, qui semblait profond. Le renard devait être à l'intérieur, et Pandémonium commença à creuser frénétiquement, de toute la force de ses pattes antérieures, l'orée du terrier.
Alors qu'il creusait depuis quelques minutes, le renard surgit brutalement du terrier, bondissant à son museau avec un cri rageur. Le jeune loup tomba à la renverse de surprise ; depuis quand les renards attaquaient-ils les loups ?! Le rouquin - qui était en fait une rouquine - s'acharnait sur son visage à coups de griffes furieux, rouvrant les plaies pas totalement cicatrisées qu'Helya avait laissées.
Dans un grondement sauvage, Pandémonium se redressa, plaquant le petit carnivore au sol, sur le dos. Ses pattes antérieures étaient coincées sous les coussinets du Dragon, sa gorge lui était offerte. Il plongea les crocs dans la chair, quand quelque chose se planta au même moment dans sa nuque. Il relâcha la renarde dans un couinement plaintif, et s'aperçut qu'un deuxième renard, un mâle cette fois, l'attaquait par-derrière ! Pandémonium parvint à se retourner pour l'attraper et l'envoyer valser mais la rouquine revenait à la charge, bondissant à son museau. Ses griffes effleurèrent l'oeil crevé du jeune loup qui glapit et préféra battre en retraite.

CHASSE NO. 5 [1]

Et tandis que ses griffes crissaient sur le gel, la perdrix releva sa tête surmontée de ses gros globes oculaires, inquiète. Pandémonium était plutôt mal caché, derrière ce bidon rouillé, et sa queue dépassait, parfaitement visible. Cependant, il pouvait espérer attraper sa proie si cette dernière ne détectait aucun mouvement. L’oiseau semblait peu rassuré, et il s’éloigna d’un pas vif, allant grappiller plus loin quelques graines qui auraient pu le nourrir. Plus sa proie s’éloignait, plus la distance qu’il faudrait parcourir à découvert serait élevée, et plus les chances du louvard seraient maigres d’attraper ce volatile. Il attendit donc de longues minutes, jusqu’à ce que la perdrix ait complètement oublié ses premières inquiétudes, pour bondir silencieusement par-dessus son bidon.

Il trotta rapidement jusqu’à elle, qui avait le dos tourné, le ventre rasant le sol. Elle l’entendit, mais il était trop tard. Elle tenta de s’envoler d’un bond agile, mais Pandémonium fut plus rapide que l’oiseau, et la terrassa d’un coup de patte bien appuyé, entre ses deux ailes. L’oiseau se débattit violemment, poussant de grands cris perçants, tandis que Pandémonium tentait de l’achever pour la faire taire. Elle esquivait ses crocs avec une dextérité irritante, et les plumes volaient tandis que les mâchoires claquaient un peu partout sur le corps de la proie. Enfin, le jeune loup parvint à attraper la tête de sa victime et il la broya sur-le-champ, la réduisant enfin au silence.