Le vent était d’autant plus difficile à combattre qu’il était totalement imprévisible. Quand Reaven avait quitté le territoire Esobek, un vent fort mais supportable soufflait, qui s’était un instant calmé pour reprendre de plus belle en cet instant, transformé en une véritable tempête qui l’empêchait d’avancer à une bonne vitesse et qui envoyait poussières et débris dans ses yeux. Et cette chaleur ! Quand le vent s’était calmé, Reaven s’était surpris à frissonner, mais maintenant qu’il avait atteint une telle ampleur, le Guérisseur se retrouvait noyé dans la chaleur, et son épais pelage n’était pas là pour l’aider.

Il fallait qu’il trouve un abri, et vite. S’il avait pu prévoir que le vent allait souffler aussi fort, il n’aurait pas quitté le couvert des arbres, et y retourner était purement suicidaire puisque cela signifierait aller à contrevent. Reaven était donc contraint d’avancer dans la même direction que celui-ci, en faisant de son mieux pour ne pas décoller du sol et se faire emporter.

Pas très loin de là où il se trouvait, il pouvait apercevoir des restes de fils barbelés surgissant des tranchées. Il pourrait certainement y trouver refuge. Même si cela signifiait risquer de croiser un humain, il avait au moins plus de chance d’y survivre qu’ici en plein milieu de la tempête.

Sa respiration était difficile. Inhalant la poussière que le vent portait jusqu’à ses narines, la toux s’empara de lui et rendait sa progression d’autant plus difficile. Encore quelques pas …

Arrivé enfin à son objectif, il se précipita à l’intérieur de la tranchée, s’écorchant la patte sur un fil barbelé. Il ignora la douleur, tout ce qui comptait, c’était qu’il était en sécurité.

Reaven toussa encore, crachant de la salive et du mucus souillés par la poussière, ainsi que du sang. Sa gorge lui faisait l’effet de brûler, la poussière en avait irrité l’intérieur. Il se força à respirer lentement et la douleur se calma, sans pour autant disparaître.
De là où il était, bien à l’abri au fond de la tranchée, il pouvait entendre le vent siffler entre les barbelés, mais, par chance, il passait au-dessus de lui sans lui faire d’effet. Il n’était pourtant pas soulagé pour autant, tout son corps brûlait. À la douleur de sa blessure à la patte à et celle de sa trachée s’ajoutait un très désagréable et douloureux picotement dans ses yeux secs. Gardant le contrôle, il ferma les paupières, ce qui adoucit un peu le picotement, et respira à fond.

Il était maintenant coincé ici jusqu’à temps que la tempête s’arrête. Et qui sait si elle s’arrêterait jamais ?

Reaven fut pris d’une nouvelle quinte de toux, moins violente que la première, mais le goût du sang se répandit tout de même dans sa gueule. Au milieu des sifflements du vent, il avait entendu un bruit sourd proche de lui, comme si quelque chose venait de tomber au fond du trou dans lequel il se trouvait. Un autre loup surpris par la tempête, ou un humain perdu ? Il renifla l’air pour avoir une confirmation : c’était bien un loup, un mâle, à l’odeur étrangère. Solitaire ou Sekmet, il n’aurait su le dire, le vent était trop fort et emportait une bonne partie des effluves.

Reaven fut soulagé de cette découverte. Les loups lui étaient connus et prévisibles, contrairement aux humains. Il tenta d’ouvrir les yeux, pour avoir des renseignements sur l’autre loup, mais dû les refermer aussitôt, un élancement de douleur les ayant transpercés. Tout ce qu’il avait pu voir, c’était un gros tas de fourrure parsemé de tâches de sang. L’autre était blessé, peut-être même mort ? L’instinct de Guérisseur de Reaven lui dictait d’aller vérifier s’il était toujours en vie et, si c’était le cas, de le soigner ; mais son corps lui hurlait de ne plus bouger et de ne surtout pas ouvrir les yeux.
Quelques minces paroles lui arrivèrent aux oreilles.

« … Pas mon jour de chance … »

Reaven fut en partie rassuré : au moins maintenant savait-il que l’autre loup était toujours vivant. Mais celui-ci restait blessé, et il était de son devoir de l’aider, même si lui-même n’était pas bien en point.

Le Guérisseur ne prit pas la peine de lui envoyer d’autres paroles, ce qui aurait été douloureux et inutile. A la place, il tenta de recouvrir sa vision en clignant rapidement des yeux. Petit à petit, il recommença à voir, même s’il devait garder les yeux à demie-ouverts  pour ne pas qu’ils lui fassent mal. Il put alors voir plus clairement le loup qui se trouvait à ses côtés : couché sur son flanc et respirant difficilement, des blessures un peu partout sur le corps, surtout au niveau de ses pattes, qu’il avait puissantes. Le pauvre avait dû se prendre dans les barbelés.

Le loup cendré rampa jusqu’à lui, ignorant la douleur qui tiraillait sa patte blessée. Il pouvait voir l’autre loup bien plus nettement à présent : il semblait bien bâti, et arborait un pelage tricolore assez bien fourni. Reaven put également en sentir tout l’odeur : le blessé venait de la Meute Sekmet. Ce n’était pas pour autant qu’il allait refuser de l’aider, il avait fait vœux d’être un Guérisseur pour tous ceux dans le besoin.
Reaven avala difficilement et tenta de lui parler :

« Je suis … Guérisseur … Laissez-moi regarder vos plaies … »

L’autre loup toussa. Il était visiblement aussi mal en point que Reaven, si ce n’était encore plus. Ses plaies étaient nombreuses et certaines étaient dangereusement profondes. Le Guérisseur n’avait peut-être pas de quoi soigner l’autre loup, mais il pouvait quand même lécher ses plaies pour le nettoyer. Le blessé essaya de parler :

« Pen...pense à toi...avant de...penser aux...autres... tu...blessé aussi... »

A ces paroles, Reaven tourna la tête et lança un regard à sa propre blessure. Du sang s’en écoulait peu à peu, tachant son pelage gris et blanc. Même si la blessure n’était pas anodine, le Sekmet était bien plus amoché que le Guérisseur Esobek.

« Non, je … »

Une quinte de toux s’empara de nouveau de lui et il détourna la tête afin de ne pas envoyer sa salive souillée sur le pelage de l’autre loup. La toux lui enserrait la gorge, l’empêchait de respirer. Il se sentait suffoquer, mais il ne pouvait pas arrêter. Un caillot de sang sortit alors de sa gueule et s’écrasa sur le sol. Reaven reprit alors sa respiration, cela lui avait donné la sensation d’être en train de se noyer.

Il se retourna vers l’autre loup, prêt à terminer sa phrase, mais celui-ci semblait être sur le point de perdre conscience et laissa échapper un murmure presque inaudible.

« Eden … »

Reaven se figea. Eden ? D’où est-ce que le Sekmet la connaissait ? Pourquoi dire son nom ? Eden n’était quand même pas … Non. Assez pensé à Eden, il y avait matière plus urgente à régler. Quelqu’un avait besoin de lui dans l’immédiat, ces questions pouvaient attendre.

Sa trachée le faisait toujours souffrir, mais il respirait plus facilement qu’avant et ses yeux ne piquaient presque plus. Il tapota délicatement sur le crâne de l’autre loup pour le maintenir éveillé.

« Restez avec moi ! »

Il regarda alors ses blessures de plus près. Elles étaient remplies de poussières qui empêchaient le sang de coaguler correctement et risquaient de causer une infection. Le Guérisseur entreprit de lécher les plaies, le mieux qu’il pouvait faire pour l’aider.

Le Sekmet reprit connaissance après quelques secondes alors que Reaven continuait de lécher ses plaies. Il s’interrompit alors, voyant que l’autre loup tentait de parler.

« Quel … est … ton nom … ?

Le Guérisseur avala douloureusement sa salive avant de répondre.

« Reaven. »

Parler lui faisait terriblement mal, comme si des griffes se plantaient dans sa gorge à chaque mot. Il se tut alors, puis concentra son attention sur les plaies de l’autre loup. C’était moche. Même après avoir été nettoyées, elles continuaient de saigner. Il n’y avait pas vraiment de risque d’hémorragie, mais le mieux était quand même de stopper le saignement, surtout qu’ils semblaient coincés là pour un bon bout de temps.

Il aurait fallu à Reaven de quoi envelopper les blessures. Des toiles d’araignées, par exemple, feraient bien l’affaire, et l’endroit devait certainement en regorger, pourvu qu’elles n’aient pas été soufflées par le vent. Le Guérisseur se leva. Un élancement de douleur traversa sa patte blessée, mais c’était supportable. Il jeta tout de même un rapide coup d’œil à celle-ci : elle saignait peu, et n’était pas bien profonde, mais beaucoup de poussière s’y était infiltrée et s’il ne faisait pas quelque chose, elle risquait de s’infecter (si ce n’était pas déjà le cas) ; mais son patient, en pire état, passait avant lui.

Le Guérisseur se tourna vers celui-ci :

« Restez ici … Je vais … Chercher de quoi … Vous soigner. »

Il n’attendit pas de réponse de l’autre loup avant de se mettre en chemin dans les tranchées sinueuses, boitant et avançant lentement. Il pouvait sentir le vent courir sur son dos, et il gardait la tête basse afin de la protéger.

Reaven sa retourna en entendant le Sekmet grogner en sa direction. Pourquoi faisait-il une chose pareille ? Reaven voulait le soigner et tous deux étaient mal en point, ce n’était pas le moment d’être agressif.

Mais l’autre loup se calma brusquement, semblant soudain réaliser quelque chose.

« Reaven … occupe-toi donc … »

Il fut coupé en pleine parole par une quinte de toux. Reaven toussota à son tour, pure réaction d’empathie qui ne lui offrit qu’un élancement de douleur dans sa trachée.

« Occupe-toi donc de ta patte … Ça va mieux pour moi. »

Le Guérisseur jeta un regard à sa propre blessure. L’autre avait raison, il aurait au moins fallu qu’il la nettoie, mais après ça ils en seraient de toute façon au même point. Il acquiesça de la tête.

« Vous avez sûrement raison. Mais il est urgent de trouver de quoi recouvrir vos plaies. »

Ce qui aurait été fort difficile à accomplir avec une patte boitante et une infection généralisée, il valait donc mieux pour eux deux que Reaven nettoie sa plaie. Il se résigna alors à s’asseoir et à s’en occuper.

« Au fait...je m'appelle Elendil...mais c'est Len... c'est plus court... »

Elendil, tel était donc son nom.

« Je crois qu'on...est coincés ici....pour un moment... »

Reaven regarda le ciel, ou plutôt l’énorme nuage de poussière qui le recouvrait, en même temps que lui. La tempête semblait refuser de faiblir. Qui sait combien de temps elle durerait ? Elle pourrait ne pas s’arrêter pendant des jours …

« En effet. »

Ayant fini de nettoyer sa blessure, il se releva. Elle lui faisait nettement moins mal désormais, même s’il ressentait toujours de la douleur lorsqu’il bougeait sa patte.

« Si vous vous sentez mieux, nous devrions unir nos forces et chercher de quoi panser nos blessures. »

HRP: