J'ai senti son odeur depuis les frontières, et je l'ai suivi jusque là sans aucune hésitation. Je ne suis qu'un chasseur, mais il est hors de question que je laisse les terres de ma meute être investies par des inconnus, et encore moins des solitaires qui pourraient bien être les envoyés de nos ennemis dans le but de nous nuire. En ces temps de guerre, rien n'est trop pour la protection des miens, et je serais le chasseur de ma propre espèce si cela s'avère nécessaire. Je n'hésiterais pas à mettre fin à la vie de mes semblables si ces derniers menacent la survie de ma meute, et pour cela je m'en vais m'enquérir de l'identité de l'intrus pour m'assurer qu'il n'est pas un danger pour ma meute. Je l'observe de longues minutes, tapi dans les sous-bois, sans qu'il ne m'aperçoive. Il semble s'entraîner, se préparer. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Prépare-t-il le terrain pour une guerre supplémentaire ? Je grogne doucement, discrètement, sans le lâcher des yeux. Il ne semble pas bien vieux, je pourrais même presque croire qu'il n'est qu'un jeune louvard de l'année ou l'un des derniers nés de l'année précédente. Mais, toujours dans ce silence de mort, je suis l'observateur invisible qui guette une proie potentielle. Pour l'heure en tout cas, il n'est pas de ceux dont je désire la mort. Il n'est qu'un illustre inconnu au sein de mes terres, et je n'attends pas plus pour le rejoindre et tenter d'élucider le mystère qui l'entoure.

- Eh ! Qui es-tu, petit ? Et pour quelle raison t'entraînes-tu ici ?

Je parle tout en le rejoignant à bonne allure, trottinant dans sa direction sans le lâcher des yeux. Je l'observe, le détaille, l'analyse. Pour son jeune âge, il a les muscles saillants, et je pense qu'il doit être bien sûr de lui vue sa manière de se tenir alors qu'il n'est pas en position de discutailler. Je hausse un sourcil, prêt à écouter ce qu'il a à dire mais aussi, au cas où, à riposter d'une quelconque attaque surprise. Les sens en alerte, je suis aussi à l'écoute du monde qui m'entoure. Sait-on jamais si ses petits copains solitaires ne sont pas planqués dans le coin pour me tendre une embuscade ...

Il se présente comme le fils de Isha. Isha, l'ancien Leader de ma meute. L'alpha légitime, celui qui a fondé notre meute par la seule force de sa volonté et uniquement grâce à l'amour qu'il porte aux siens. Isha aurait eut un autre fils, et ce fils serait devant moi en ce moment-même. Bien sûr, pourquoi pas ? Après tout, le petit blanc qui me fixe de son oeil vif semble connaître la famille du Dragon sans hésiter sur les noms de ses membres. Je le dévisage quelques secondes en silence. Est-ce qu'il est aussi le fils de Atom ? Je ne connais pas bien les membres qui régissent le clan du Dragon, mais j'ai cru entendre qu'ils étaient pas mal nombreux et surtout, particulièrement soudés. Alors ce gamin-là est probablement aussi le fils d'Atom, par définition. Je réfléchis encore un moment, et je me dis qu'après tout, si je me mets à entraîner l'un des fils de mes anciens Leaders, je devrais me faire bien voir, non ?

- Désolé de t'apprendre ça, petit, mais Isha et Adriel sont morts. Atom en a informé la meute il y a plusieurs mois, déjà.

Oui, je m'en suis rappelé à l'instant. Oui, cela manque cruellement de tact et je pourrais lui faire du mal en le lui annonçant ainsi. Mais après tout, pourquoi tourner autour du pot alors que ce gosse court visiblement après des fantômes ? Avant qu'il ne déballe toutes ses peines, je décide d'essayer de détourner son attention pour qu'il ne s'accable pas de la perte de sa famille.

- est-ce que tu veux que je t'aide à t'entraîner ? On pourrait se battre sans se faire de mal ?

Oui, un entraînement lui changera les idées et il n'aura pas le temps de se plaindre ou de pleurer la mort de son père et de son frère.

Je ne réagis pas aux insinuations et autres accusations que le jeune mâle profère concernant mon ancienne Alpha. Même si elle n'aura jamais mon respect pour avoir abandonné les siens, elle n'en reste pas moins la Leader légitime au même titre que Isha, et je peux comprendre qu'elle ne se soit pas senti la force de mener les siens avec autant de force que son défunt compagnon. Quand à savoir si le môme disjoncte ou s'il a des informations dont j'ai été privé, allez savoir. Pour l'heure, je ne vois qu'un gamin ambitieux qui croit en ses rêves et qui veut donner son âme et son corps pour les atteindre. Et je ne peux que louer et encourager la détermination farouche qui brûle dans son regard noisette. Alors j'écoute le gamin me donner ses bases, me dire de quelle manière il a appris ce qu'il sait déjà. Je me demande pourquoi il n'a pas appris plus que cela avec son père et son frère, pourquoi il dit qu'il a appris seul, alors que visiblement il était à leurs côtés. Et alors il parle de sa mère. Bon, alors je comprends davantage la situation. Il est comme le fils jeté de la meute, dont j'ai oublié le nom. Il n'est pas le fils d'Atom. Et je crois que je décèle même une certaine colère pour cette dernière, qui semblerait-il, à pris à ses yeux la place de sa propre mère. Je bande mes muscles, inspire profondément, et prends la décision de ne pas m'attarder sur ce sujet fâcheux. Autant ne pas chercher les ennuis, n'est-ce pas ? Je me mets en position d'attaquer et je fixe le jeune mâle, visiblement prêt aussi, de son côté.

- Attaques-moi, montres-moi ce que tu as appris.

Et j'attends son assaut de pattes fermes, bien décidé à le contrer et à lui apprendre ce que je pourrais lui transmettre. Sait-on jamais, c'est toujours bien d'avoir dans ses bonnes grâces un Prince illégitime.

Le jeune mâle se met immédiatement en position d'attaquer, les membres campés et les muscles bandés. Il extériorise ses dents, je plaque mes oreilles contre mon crâne et ancre mes pattes puissamment dans le sol. En tout cas, je ne me laisserais pas déstabiliser facilement. A son âge, ce gamin ne doit pas connaître grand chose du combat. Pour preuve,le voilà qui frappe de front alors qu'il aurait peut-être dû analyser d'abord mes potentielles faiblesses. Les muscles de mon corps se tendent sous ma peau, et le jeune mâle se précipite vers moi. Je me prépare mentalement au choc de face, me penchant légèrement en avant pour amortir sa masse. Mais alors que je m'attendais à retenir son poids grâce au mien, il dévie de sa trajectoire et fonce de côté dans un mouvement vif, me prenant au dépourvu.

Je n'ai pas le temps d'esquiver, ses crocs se plantent dans ma cuisse avec force et je grogne de douleur en me pliant en deux pour atteindre son encolure. Je serre mes mâchoires autour de son cou, faisant prisonniers à la fois son pelage et sa peau en dessous. Je serre jusqu'à lui faire lâcher prise sur le muscle de ma cuisse et alors je me dégage brutalement en le tirant au sol. Le roulant dans la terre, je m'écarte vivement pour éviter des représailles et je l'observe qui se relève. Je cherche dans ses mouvements, ses attitudes, quelque chose qui me permette de prendre l'avantage sur lui. Quelque chose que je pourrais l'aider à améliorer pour devenir meilleur. Une faiblesse que moi je n'ai pas, pour la retourner contre lui et en faire ma propre force. Je ne vois d'abord pas grand chose, et le jeune mâle est déjà prêt à repasser à l'attaque, alors je me campe sur mes quatre pattes et je guette le moindre de ses mouvements.

Il fond de nouveau sur moi avec cette détermination farouche dans le regard, et même si je n'ai pas longtemps connu Isha, je reconnais dans les yeux du jeune mâle la flamme incandescente qui illuminait le regard de son père. Comme la première fois, il dérape à la dernière seconde pour m'attaquer de côté, mais je ne me laisse pas avoir. Je m'attends à son subterfuge et je l'esquive au dernier moment dans un bon maîtrisé pour lui faire à nouveau face et lui tomber dessus violemment, frappant son échine de mes puissantes antérieures. Je l'écrase au sol dans un grognement concentré, et je plonge mes crocs dans son encolure pour le traîner et le rouler sur le flanc. Le voilà qui se débat, mais mes griffes acérées s'abattent sur lui avec force et je ne lâche pas ma prise sur son encolure, que je tiens fermement entre mes crocs meurtriers.

Son corps s'agite entre mes crocs, mais je ne le lâche pas tout de suite et, en fait, je prends un malin plaisir à l'humilier. Rien de tel que la honte pour ressortir d'un loup ses plus bas instincts. C'est lorsqu'il aura été roulé plus bas que terre que le gamin pourra me montrer ce dont il est réellement capable. Et justement, voilà ses crocs qui me brûlent l'antérieur. Je lâche ma prise sans broncher et lui mords le museau brutalement pour qu'il desserre ses mâchoires de ma patte, avant de reculer vivement. Je le toise quelques secondes, puis j'attaque le premier. Il est temps qu'il voit de quoi est capable un véritable loup. Je fais mine de le charger, mais je marque une hésitation au dernier moment pour le faire douter. Et à l'instant où il baisse sa garde, je le percute de tout mon poids pour le faire basculer. Je me contorsionne et relève mon arrière-train, balançant mes postérieures dans ses côtes pour lui couper le souffle.

Le souffle coupé, il peine à reprendre sa respiration. Je le regarde, inspire et expire calmement. Je m'efforce de le fixer, de ne pas le quitter des yeux. Il fatigue, je le vois. Pourtant, je ne lui laisse pas le temps de se remettre. Je fonce sur lui, le percute à nouveau et je lui mords l'encolure pour le tirer au sol et le traîner dans la terre meuble. Je tourne sur moi-même en grognant, forçant sur mes mâchoires pour le tirer par la seule force de mes crocs. Je fais en sorte de ne pas le blesser, tout de même, mais je tire assez fort pour lui faire mal et le pousser à se donner davantage dans notre combat. Mes antérieures atterrissent sur son épaule pour appuyer, mes griffes lui dessinent un beau bleu sur le muscle et je relâche enfin la pression, pour m'éloigner de lui et lui tourner autour comme je le ferais autour d'une proie. Je montre les crocs, claque des mâchoires, bondis dans sa direction pour le menacer sans le mordre, et je le harcèle ainsi plusieurs minutes, essayant de le faire craquer.

Le jeune mâle s'essouffle mais refuse d'abandonner. Il continue de se débattre sauvagement, comme le loup assoiffé qu'il est. Je le laisse se pousser à bout, je l'encourage même à dépasser ses limites et à en atteindre de bien plus hautes. Mais, bientôt, son corps s'affaisse entre mes crocs et il semble trop faible pour continuer encore. Je le relâche enfin, recule de quelques pas et l'observe en silence. Est-il en train de perdre connaissance ? Va-t-il me lâcher ainsi, et simplement mourir ?

- ..J-Je n'en peux plus.. J'abandonne...

Je m'approche. Il est vraiment épuisé. Il ne peux plus faire quoi que ce soit de plus. Je m'apprête à l'aider, il n'a visiblement pas la force de se relever seul. Puis, c'est un flash qui me prend. La respiration coupée par une douleur violente dans mon estomac, je fini en arrière, le dos dans la neige. Je n'ai pas le temps de me remettre de ma surprise, me voilà déjà sous le corps frêle d'un jeune mâle déterminé à transformer son incompétence en fureur sourde. Il me coupe le souffle une seconde fois, maintient sa prise et semble prêt à m'arracher la tête en tirant seulement sur mon oreille. Je souris en serrant les dents, puis je me débats violemment. D'un coup de mes antérieures contre sa cage thoracique, je me libère de sa masse et me relève pour lui faire face. Je souris plus sincèrement et, gardant une certaine distance de sécurité, je le félicite du regard en reprenant mon souffle.

- Tu as bien combattu. Si tu l'accepte, nous nous retrouverons pour d'autres échanges. Pour l'heure, je me dois de te laisser continuer seul.

Il est temps que je rentre, et je crois bien que ce môme sait très bien que ses limites demandent à être rechargées, même s'il refuse d'abandonner le premier. Je ressens une certaine fierté. Ma loyauté pour Esprit du Dragon n'était donc pas vaine, il a laissé en ce monde des rejetons tout aussi prometteurs qu'il a été puissant.