Djall se réveille tôt aujourd'hui. A première vue, elle se dit que le soleil vient à peine de montrer sa tête en demi-cercle orange. Celle-ci apparaît au niveau de la cime des arbres qui forment depuis quelque temps l'épaisse forêt entourant les ruines. La louve est roulée en boule dans un nid douillet creusé en forme d'alcôve dans les dalles de la pièce principale et la seule encore à peu près conservée des ruines. Ce trou aux bords doux a été dessiné par les nombreux loups qui ont dormi là. Ce jour-là, Djall sent l'air frais du matin s'insinuer entre elle et sa couche couverte de mousse tendre et tiède pour la déloger de son demi-sommeil reposant. A priori, elle se dit que l’atmosphère paraît moins lourd qu'habituellement depuis de nombreux jours. La femelle sent un sourire pointer sur sa truffe à cette seule pensée. « Qui dit températures moins élevées, dit entraînement assuré », se dit-elle en s'extirpant de sa somnolence paisible. Elle secoue sa fourrure grise au sortir du nid qui a accumulé des brindilles et des morceaux de mousse verte. La guerrière effectue une rapide toilette en se délectant de la brise légère qui balaye sa fatigue et rafraîchie son corps. Soudain revigorée par cette excitation nouvelle, elle se met en route assez vite. A peine quitte-t-elle l'abris des plus ou moins hauts murs des vestiges de la construction humaine que les rayons frappants de l'astre levant la cueillent et ralentissent sa course. Au début, Djall avait quitté le camp des Navniks sans idée précise du lieu où son entraînement se déroulerait. A présent, l'image d'un endroit qu'elle connaît bien se profile à l'horizon dans le même temps qu'il se dessine dans son esprit. A ce jour, les loups l'appellent communément « la plage blanche ». C'est un lieu où mer déchaînée et sable blanc se rencontrent dans un puissant fracas. Cette plage a aussi connu la guerre et ses abords son couverts de barbelés argentés menaçants. Djall a conscience que c'est un peu dangereux de s'entraîner à la façon dont elle va faire, mais sans plus réfléchir, elle s'élance alors qu'elle vient juste de débarquer sur le sable bouillant. La femelle prend tout de même une minute pour considérer le terrain après réflexion. Les multiples pelotes de fil gris tendent leurs pointes acérées et rouillées vers elle. Ces boules de barbelées sont placés sur la plage de manière à former une sorte de parcours du combattant. La grande louve grise commence l'entraînement pour de bond. Sur le sable sec et volatile, le martèlement de ses coussinets n'émet qu'un son sourd et étouffé. En galopant, elle se met à bondir au-dessus des diverses pelotes de barbelées. Parfois, elle se met à ramper sur plusieurs mètres en traînant son corps noueux dans la poussière. Alors qu'elle s'apprête à franchir une des pelotes métalliques, elle aperçoit un fil isolé dénué de piques. Interrompant brusquement sa course effrénée, elle se jette sur ce fil et se fait les dents dessus avec une vivacité tirée de la haine qu'elle conserve dans son cœur. Assez vite, le fil cède sous ses crocs pointus dans un « clic » sonore qui résonne faiblement alors que la louve a déjà recommencé à s'entraîner. Vers la fin de la matinée, alors que le soleil est à son zénith et pèse indéniablement sur les épaules de Djall, celle-ci décide de s'entraîner à la nage lorsqu'elle voit que les vagues sont douces et les flots calmes. Elle commence par s’acclimater à l'eau salée qui sans être froide reste moins chaude que l'air ambiant et longe la plage blanche sur quelques kilomètres l'eau jusqu'à la moitié des pattes et s'en allant toujours plus profondément. Peu à peu, elle ne frôle le sable gorgé d'eau que du bout des pattes alors que les vaguelettes la supportent. Elle se met donc à nager. C'est un art qu'elle pratique assez rarement, car la route jusqu'à la plage blanche est tout de même dangereuse. Elle commence donc à s'agiter, coup de patte puissant après coup de patte puissant elle maintient sa tête au-dessus de la surface de l'eau. Après de longues minutes passées dans le liquide opaque, elle sent des frissons courir le long de sa colonne vertébrale et décide de revenir sur la terre ferme. Là, arrivée sur le sable sec et friable, elle s'ébroue et passe sa langue râpeuse sur sa fourrure efflanquée. « C'est assez d'exercice pour aujourd'hui », pense-t-elle avant d'emprunter le chemin du retour.