Il prenait presque plaisir à « zoner » sur ses anciennes terres, maintenant. C’était un peu comme mettre au défi les Navniks, les provoquer en laissant son odeur un peu partout, bien qu’il ait quitté la meute. Que quelqu’un ose l’arrêter ! Il était assis dans le sable froid, écoutant distraitement les bruits de la nuit. Il songea un instant à la réunion, quand Atom les avait lâchement abandonnés, leur tournant le dos pour les livrer en pâture à une bande de Sekmets mégalomanes. Il revit les visages fermés des membres de la meute, il revit Ebène s’avancer pour émettre un semblant de protestation qui n’en était pas vraiment une. Belle brochette de traîtres – ou de lâches ? Pandémonium hésitait encore. Il se sentait encore comme chez lui sur ces terres, bien qu’il n’ait plus jamais appartenu à cette meute, dès l’instant où son père avait disparu. Il lève un instant le nez vers les étoiles, comme si une réponse à cette disparition pouvait lui tomber du ciel, ici et maintenant. Le sort semblait s’acharner sur lui, en le privant tout d’abord d’une mère, et à présent d’un père. Mais Pandémonium ne ressentait aucun manque, aucun vide. Il était juste en colère. En colère contre tous ceux qui venaient de ternir la mémoire du Dragon – s’il était réellement mort. A croire que la seule parole d’Atom suffisait à faire sauter d’une falaise une bande de moutons débiles. Jusqu’où ce genre d’asservissement pouvait-il bien mener ? Jusqu’au suicide ? Et si elle leur avait dit qu’elle dissolvait la meute, comment auraient-ils réagi ? Ils n’auraient pas bronché, probablement.

Un sourire narquois s’étend sur les babines du jeune loup. Tous des imbéciles, voilà ce qu’ils étaient. Il avait été le plus intelligent, parmi tous ces idiots, parmi tous ces moutons. Il s’était élevé comme la bête noire, le petit rebelle immature et insoumis, et tous l’avaient rejeté. Il n’avait pas besoin de se venger : il savait qu’il avait raison, et que tous les autres avaient tort. Cette pensée lui suffisait amplement. Il savait au fond de lui, désormais, qu’il avait fait le bon choix.

HRP:

Le crissement du sable sous ses griffes avait trahi la présence de l’espionne au pelage d’ivoire. Pandémonium pouvait sentir sa présence derrière lui, et un sourire étira lentement ses babines. Tiens donc, lui faisait-elle l’honneur de lui adresser la parole ?

« Pandémonium ? Que fais-tu ici ? »

Il ne se retourna pas. Si elle avait envie de l’attaquer en fourbe, qu’elle le fasse, il y était préparé. Il n’avait pas peur. Il n’avait plus jamais eu peur d’ailleurs, depuis qu’il avait affronté la pénombre des boyaux. Depuis qu’il avait retrouvé le Dragon. Il visualisait la louve blanche dans son esprit. Il se souvenait parfaitement de sa petite gueule d’ange, de ses grands yeux et de son museau effilé. Le portrait craché de sa charmante et douce mère. Quoique qu’il la préférât à Atom – elle paraissait moins acariâtre – il n’avait jamais réellement prit la peine de s’intéresser à elle. Elle n’était rien pour lui, et qu’elle soit la fille de son ancienne alpha ne changeait rien à cela. Il aurait pu la considérer comme une membre de sa famille, mais il ne s’était jamais senti face à Atom comme un fils devant sa mère. Il était intimement persuadé qu’elle l’avait toujours détesté. Il suffisait de voir comment elle l’avait traité devant les Navniks pour le comprendre, pas besoin d’être devin.
Alors si la mère ne l’aimait pas, pourquoi en serait-il autrement pour la fille ? Nul doute que la jeune louve blanche avait du bien aimer Isha, ce qui aurait pu la rapprocher de Pandémonium. Mais le jeune Dragon requérait l’exclusivité. Isha était son père, et pas celui d’Anya. Isha était celui qui l’avait mis au monde, bien plus que sa propre mère. Isha était celui qui avait su lui insuffler le courage nécessaire à tracer sa route, indépendamment des autres. Enfin, Isha était ce pour quoi le jeune loup se battait, ce pour quoi il avait décidé de partir. Et en cela, il ne pouvait rien trouver de positif chez Anya puisqu’elle persistait à accepter un gouvernement fait de Sekmets, faisant l’outrage de salir la mémoire de son seul et unique alpha.

« Je compte les grains de sable. », répond-t-il d'un ton provocateur.

Que comptait-elle faire ? Le contraindre à s'en aller ? Les Navniks devaient certainement prendre son départ comme une "trahison", sans s'apercevoir que c'était en fait eux-mêmes qui le mettaient à la porte, avec leur silence obstiné face à l'injustice. Pandémonium restait stoïque, le dos droit et bien assis, contemplant le ciel noir qui semblait absorber le paysage à perte de vue.

Elle ne l’attaqua pas. Du moins, pas tout de suite semblait-il.

« Tu n’as pas besoin d’être comme ça… Pas avec moi… »

Les paroles de la jeune louve le laissèrent perplexes. Qu’essayait-elle de faire ? Voulait-elle l’attendrir pour mieux le surprendre ? Tentait-elle de l’apitoyer, de le mettre de son côté ? Il consentit enfin à lui faire face, se retournant lentement pour planter ses prunelles nacrées dans celles de sa… sœur ? Ennemie ? Lui-même n’aurait su qualifier leur relation. Elle était la princesse légitime, il était le prince déchu, le petit rebelle à qui on montre les crocs et auquel on tourne le dos. Elle n’avait pas besoin d’être hypocrite, il savait parfaitement quelle était la tendance Navnik à son sujet : on se fichait royalement de son opinion et de ses actes alors pourquoi elle, digne fille d’Atom, se soucierait de lui plaire ? Qu’était-il ? Rien du tout. Un électron libre, renié par la majeure partie de cette bande de traîtres.
Il ne lui répondit rien. Une certaine vague d’empathie l’empêcha de se moquer. Autant écouter ce qu’elle avait à dire, puisqu’elle avait l’air si touchée…

« Pourquoi tu nous as abandonnés ? On avait besoin de toi. »

Un rire narquois lui échappa. Il ne savait pas exactement ce qui était le plus ironique : le pourquoi ou le soi-disant « besoin » de lui. Lorsque ses babines retombèrent, son regard se durcit soudain. C’était maintenant que les pots étaient cassés qu’on venait tenter de les recoller ? Mais l’avait-elle retenu, lorsqu’il partait ? S’était-elle manifestée, avait-elle élevé la voix ? Non, elle était restée sagement dans son coin, en espérant peut-être qu’il ne s’en irait pas pour de bon. Et à présent, espérait-elle le faire revenir ? Croyait-elle qu’il serait assez stupide pour céder à ses beaux yeux – qu’elle avait jolis d’ailleurs – et rentrer la queue entre les jambes ? Non, un peu de fierté en ce bas monde, que diable !

« Pourquoi ? Peut-être parce que nous... du moins à présent vous êtes gouvernés par une bande de traîtres mégalomanes, et Sekmets qui plus est ! », lâche-t-il d'un ton méprisant.
« Et "vous" n'avez pas besoin de moi. Vous me l'avez assez bien montré, et ta mère la première, d'ailleurs. J'ai trouvé ceux qui ont réellement besoin de moi, et la différence est plutôt... flagrante. », achève-t-il dans un sourire.

Il la détaille quelques secondes. Non, il n'a pas vraiment la haine contre elle en particulier. Même, il n'est pas en colère du tout. Il serait presque à la limite de remercier les Navniks de s'être montré aussi stupides car sans cela, peut-être n'aurait-il jamais été rencontrer Koschei, peut-être n'aurait-il jamais ouvert ses horizons, peut-être serait-il rester à végéter dans sa paresse et son imbécilité.

C’est à son tour de rire, à présent. Elle rit sous son nez, se moquant sûrement de ses propos. Pourtant, rien de drôle là-dedans… Rien de drôle dans le fait que la meute de son propre père ait été dissoute, menée à mal par et pour de parfaits inconnus et ennemis. Mais après tout, est-il autre chose qu’un être méprisable pour elle ? Son avis importe peu, et si elle trouve ça drôle, tant mieux.
Il se rassoit, la fixant calmement de ses yeux gris, un sourire en coin redressant ses babines, attendant qu’elle daigne enfin cesser de rire, et qu’elle quitte son air supérieur. Oh, ce n’est pas une Princesse pour rien celle-ci. Elle a tout d’une Princesse digne de ce nom : la force mentale, l’élégance et peut-être même la beauté, ainsi qu’une forte dose de fierté et de supériorité.

« Tu penses qu’ils t’aiment plus que nous… que moi ? » Ces mots, qui sonnent comme une plainte, font sourire le jeune loup. Ah tiens ? S’est-elle découvert un subit amour passionnel pour lui, dernièrement ? Evidemment que les Mercenaires ne l’aiment pas, et il ne les aime pas non plus. Il n’est même pas soudé à eux. C’est simplement un groupe à part entière, dans lequel il est enfin libre.

« Pour eux tu n’es qu’un de leurs soldats Pandémonium. Tu vas leur servir pour la bataille, après tu ne leur servira plus à rien… » Les yeux de Pandémonium se plissent légèrement. Que cherches-tu à faire Anya ? Que cherches-tu à me faire rentrer dans le crâne ? Tenterait-elle de le désarçonner, d’ébranler ses convictions ? Croit-elle qu’il cherche dans le groupe de Koschei une sorte de refuge affectif, une nouvelle famille ? C’est bien mal le connaître, que de croire pouvoir lui faire peur avec la perspective d’être abandonné… Il hausse les épaules d’un air désinvolte. Qu’importe, qu’ils se servent de lui : il n’a aucune réticence à se laisser faire.

« Ils vont te soutirer des informations et ils te jetteront ensuite. » Nous y voilà. En réalité, la jeune louve avait tout simplement peur qu’il ne parle un peu trop au sujet de la meute Navnik. Pandémonium hoche la tête d’un air ironiquement compatissant. Il prend une expression attristée qui lui donne cet air un peu stupide et particulièrement irritant, qui donnerait simplement envie de lui mettre une bonne raclée.

« Ô tristesse et désillusion ! Moi qui croyait avoir trouvé une seconde famille aimante et attachée à moi, que d'espoirs détruits par ta bouche ! Où vais-je aller ? Que vais-je devenir !? », se moque-t-il sur un ton dramatique.

Ses yeux rieurs restent fixés dans les siens. Il ne se départit plus de son petit sourire narquois qui lui va si bien, et tout en lui traduit une seule et unique pensée : je m'amuse follement. Cependant, tout n'est pas parfait. Anya semble réticente à vouloir entrer dans son jeu. Pourtant diable ce qu'ils pourraient s'amuser tous les deux !

« Ô tristesse … Vous ne pouvez bien sûr plus rentrez chez votre famille. Vous avez trahi la meute que feu votre père avait créé, alors qu'allez vous faire désormais ? Vous êtes seul dans ce monde qui n'attend que de vous dévorer ! »

Le sourire qui régnait déjà sur les babines sur les babines du jeune loup ne s’élargit que davantage aux paroles de la louve d’ivoire. Ah, voilà enfin qu’elle semblait se décoincer un peu, et elle avait l’air de consentir à rentrer dans son jeu. Ce n’était pas trop tôt ! Il avait bien cru qu’elle ne finirait jamais par se sortir les coussinets du croupion ! On allait enfin voir ce que valait réellement le sang d’Atom sur le terrain qu’était la moquerie, car la reine mère n’avait jamais eu beaucoup d’humour au goût du jeune Dragon.
Les paroles de son interlocutrice auraient pu le blesser, ou même l’irriter. Se faire traiter de traître n’est jamais très plaisant, mais il était tellement persuadé d’avoir fait le bon choix, que les mots passèrent rapidement à travers ses oreilles, sans réellement l’affecter. Son avis ne lui importait guère, et il savait, lui, qu’il n’avait trahi personne, bien au contraire, et certainement pas les idéaux de son père. Il avait tenté de les ramener à la raison, et on l’avait rabroué de tous les côtés, on l’avait humilié, rabaissé, alors qu’il était un Prince, tout de même ! Un Prince bâtard, mais un Prince quand même. Tous ces traîtres, et Ebène le premier – cet ancien Sekmet qui s’était découvert une passion pour les Navniks, allez comprendre… – qu’il croyait être un appui solide, s’était retourné contre lui. Alors, il avait compris. Il avait compris qu’en plus d’êtres des êtres lâches et dépourvus de morale, ils étaient stupides. Et il n’avait rien à faire avec des âmes stériles. Il valait bien mieux que ça.
Et tandis qu’elle osait seulement lui dire qu’il avait trahi, et que sa soi-disant « famille » ne le recueillerait plus jamais, une expression affligée traversa ses traits, d’une vraisemblance effrayante : on aurait réellement pu croire qu’il était sur le point de se repentir, de supplier la jeune louve de l’accepter à nouveau au sein de la meute. Mais une fois de plus, son ton enjoué le trahit.

« Je n'ai pas de famille, ma douce, sinon moi-même... », répliqua-t-il d'un ton mielleux.

Il s'approcha d'elle d'un pas félin, avec cette lueur qui brûlait dans ses yeux comme autant de braises encore ardentes, ses yeux emplis de malice et de la certitude d'une chose : il détenait la vérité, et elle se trompait complètement. Et, tout contre son oreille, dans un murmure dont l'air fit frémir le pelage ivoire, il le lui fit savoir.

« Quant à ma "traîtrise", ne t'en fais pas : je n'éprouve aucun problème de conscience. Cherches donc les traîtres là où ils sont, Anya... »
Il s'interrompit brutalement, s'écartant d'un bond leste, la dardant cette fois d'un œil enjôleur.
« Quel dommage, ma douce, tu aurais pu me suivre dans ce monde trépidant qui me tend les bras ! Que d'aventures nous aurions pu vivre... ensemble. » Sourire pervers.

Et puis soudain, elle se ferme brutalement, comme une huître qu’on aurait agressée. Un voile d’incompréhension passe rapidement sur le visage de Pandémonium, mais il reprend bien vite son air stupide d’adolescent impertinent.
« A quoi joues-tu Pandémonium ? » Quoi ? On ne joue plus, douce Anya ? Elle s’était subitement rétractée, comme s’il l’avait définitivement blessée, alors que quelques minutes plus tôt elle avait encore l’œil rieur de celle qui daignait enfin rentrer dans son jeu. Ces femelles, toutes dotées d’une personnalité si bipolaire… Quelle tristesse. Elle n’avait décidément aucun humour, pour tout prendre au sérieux comme ça. Quoiqu’elle en avait déjà plus que sa mère, ce qui laissait supposer que les générations à venir seraient probablement moins acariâtres. Il demeurait un espoir pour la descendance des « Oubliés ».
Il s’assit face à elle, fronçant les sourcils de cet air faussement sérieux, qui n’était pas crédible une seule seconde à cause de son sourire narquois. Il la méprisait, à présent. Voilà le seul sentiment qui semblait émaner de lui à cet instant précis. Beaucoup trop accrochée à ses principes et engoncée dans une espèce de dignité qu’elle croyait noble, pensait-elle sincèrement qu’elle valait mieux que lui ? Qui était-elle pour prendre cet air indigné et froid qu’elle abordait soudain, visage inexpressif et dénué de considération ? Quoi, on ne jouait déjà plus au jeu du frère et de la sœur brisés par une séparation involontaire ? Décidément, les règles d’Anya laissaient le jeune Dragon quelque peu sur sa faim. Ce qui ne l’empêche évidemment pas de répliquer avec cette assurance insupportable qui donne parfois des envies de meurtre à ses interlocuteurs.

« Et toi, à quoi joues-tu ? »

Retourner la situation à son avantage, la déstabiliser. Il fallait lui faire perdre pied, qu'elle se rende compte qu'elle baignait dans un marais de traîtrise et de corruption, lui faire comprendre qu'elle se plantait totalement, depuis le début. Il ne l'avait encore jamais connue hésitante, il ne l'avait jamais vue douter. Il était temps que cela change.

« Crois-tu avoir le beau rôle, en demeurant là sans rien faire ? Ta mère t'a abandonnée, tout comme la mienne l'a fait bien avant. Et tu te crois redevable envers cette espèce de famille ? Que dis-je, ce ramassis d'hypocrites ? Tu mérites mieux que ça, tu ne crois pas ? » Achève-t-il avec une expression sincère.

Allez, cèdes donc jeune louve d'ivoire. "Tu mérites mieux que ça", qu'est-ce qu'il fallait pas sortir comme conneries pour renverser les gens de votre côté..!