Il ignore ignore quel instinct primaire l'a mené là, sur la Dune de sable dont les odeurs d'appartenance sont sans aucun doute celles de la meute Navnik. Ces derniers temps, ses pattes semblent apprécier particulièrement les abords des territoires de cette meute au détriment des autres. Il foule le sol d'un pas tranquille, laisse son odorat le guider sans avoir le moindre doute sur sa destination. Il ne sait pas où il va mais il y va, et les bruits sourds de la vie des Navnik en fond sonore, ne l'effraient pas. Il hume les effluves, en reconnait certaines et ignore l'identité probable de ceux qu'il n'a jamais sentis depuis les rencontres qu'il a faites près de la chapelle. Au fil de la distance qu'il parcourt, une étrange sensation vient chatouiller ses entrailles et perturber son mental. Il ignore ce qui se passe, mais il comprend bientôt qu'il a une sorte de mauvais pressentiment. Dans le doute, il continue sa route sur le même chemin. Il ignore ce qui le pousse à avancer, mais il le fait dans le plus grand silence. C'est une bourrasque froide qui le réveille, et lui apporte une odeur désagréable. Une odeur qui lui ravive des idées étranges, des images floues, des odeurs familières. Une sensation désagréable s'empare de lui et le pousse à courir. Ses pattes frappent le sol avec force, ses griffes laissent glisser le sable entre elles et son museau cherche les particules odorantes qui perturbent son esprit embrumé.

Lorsqu'il les découvre, les trois louvards lui présentent leurs profils. Deux faces brunes comme la sienne, les oreilles tendues en avant et l'allure fière, droite. Des oreilles immaculées plaquées contre le crâne du troisième, qui le mettent en rage sans qu'il n'en comprenne la raison. Son oeil bleu ne l'a pas encore remarqué, mais lui ne peut plus détacher son regard de ce visage au profil princier qui ne le laisse pas indifférent. Elle est belle, cette louve. Vraiment magnifique, même. Le loup n'a pas d'ambition, de convictions ou même, de principes. Le loup a été dressé à exécuter des ordres, et à obéir à son Dieu. Mais aujourd'hui, le loup est guidé par autre chose. Quelque chose de plus grand, de plus fort, et de bien plus profond que ce bourrage de crâne auquel on l'a soumis depuis toujours. Aujourd'hui, c'est un instinct animal, qui sort du fond de ses entrailles, et qui lui dit de s'interposer. Il le fait. L'instinct l'oblige à se poster entre la louve blanche et les deux mâles. L'instinct l'empêche de regarder la femelle, l'oblige à montrer les dents en fixant les deux autres dans les yeux. L'instinct lui dicte de gronder, de hérisser son pelage brun. Et autre chose, un sentiment à la fois habituel et étrangement nouveau, la colère, lui donne l'envie furieuse d'attaquer maintenant, sans attendre que les autres essaient de plaider leur cause. Il ignore pourquoi, mais il sait en tout cas que les voir là, face à cette louve dont l'attitude montre l'agacement, le met en rage. Et il veut leur faire payer cet outrance.

L'arrivée d'une autre femelle. Une femelle que je connais, une louve qui m'a combattu et qui a vu en moi un combattant digne d'intérêt. Une louve que j'apprécierais, si elle n'était pas en face de moi aujourd'hui. Si elle n'était pas dans le camp de mes ennemis. Ma voix est en sourdine, les grondements montent crescendo, et la colère aiguise mes sens. Les oreilles pointées vers les deux mâles, je les fixe du regard l'un après l'autre. Des insultes, des menaces, les critiques de la louve blanche qui vient de se poster à mes côtés. Pourquoi ? Non, je veux qu'elle reste en arrière. Mais je n'esquisse pas le moindre mouvement, je ne tourne vers elle aucun regard. J'ai peur de la regarder. D'autres voix, ma poitrine est oppressée par l'air qui refuse de s'y engouffrer. Je suffoque de l'intérieur, et je bouillonne tout autant. Je continue de gronder, de montrer les dents. Dans un parfait silence. Les discours sont trop longs, seuls certains mots montent à mon cerveau pour nourrir et faire grossis ma rage. Tous ces mots qui la concernent elle. Tous ces mots qui l'insultent, la rabaissent. L'un des mâles finit par se jeter sur la louve blanche, et mes pattes n'attendent pas d'ordre. Mes pattes n'attendent pas le signal du départ. Un grondement furieux mélangé à un aboiement de rage, et mon corps se propulse sur le petit brun qui joue les caïd. Mes crocs se plantent dans son encolure pour le tirer violemment en arrière et enlever sa masse de la louve blanche au nom encore inconnu. Peu importe qui elle est, ils ne la toucheront pas. Mes pattes forcent sur la cage thoracique du petit mâle brun, mes crocs ne relâchent pas leur étreinte et ma salive se mélange à son pelage maintenant sale. Il n'a pas le droit de la toucher. Pas le droit de lui parler. Pas le droit de l'approcher, de vouloir lui nuire. Et si telles sont leurs intentions à tous, alors je les tuerais un par un.

Il bouffe littéralement le petit mâle brun. Il lui arrache des touffes de poils, laboure son corps de ses griffes acérées, plante ses crocs dans la chair tendre et essaie de faire couler le sang. Hors de question que ces petites frappes fassent du mal à la jeune louve blanche. Et peu lui importe son infériorité numérique, ils passeront tous sous ses crocs de tueur. Tout à coup, sa poitrine est soulevée et ses poumons, vidés de leur air vital. Surpris, il relâche aussitôt le petit brun. Mais il n'a pas encore eu le temps d'attraper la gamine entre ses crocs que brusquement, une paire de mâchoires enserre son échine et le fait gronder de douleur. Il se tord, tend la gueule vers son propre dos et je plonge ses crocs puissants dans l'épaule frêle de la gamine. De rage, il la tire violemment d'au-dessus de lui et la plaque au sol, pour enfoncer ses crocs dans sa gorge. Elle ne touchera pas à la louve blanche. L'autre petit être brun se jette à son tour sur lui, mais le loup l'attrape brutalement par la patte au niveau de l'ulna, pour le tirer sur trois pattes et lui faire perdre l'équilibre.

- Arrêtez ! Ca ne sert à rien !

En une fraction de secondes, ses crocs ont relâché leur prise et ses pattes l'ont projeté à bonne distance des deux mômes. Il se tient droit, les griffes plantées dans la terre, fixant ses ennemis sans plus bouger alors que ses oreilles guettent les moindres mots de la louve blanche. Mais ce n'est pas sa voix qui résonne alors, et les yeux du loup se posent sur l'autre petit brun avec une lueur assassine.

- C'est toi qui a amené les hostilités. Voilà où on en est. Fais partir ce solitaire d'ici. Tout ça parce que tu n'a pas eu assez de jugeote pour comprendre notre venue et nous tenir compagnie. Quel comportement ... Tu n'en a pas assez de tout considérer comme bien ou mal ? Tu n'es pas un ange innocent ... juste un pion dans ce monde !

Le loup ne parle pas. Le loup gronde, observe, fixe le petit bavard, l'oeil luisant de colère. Alors que la louve blanche ne bouge pas de sa position, lui s'approche pour s'interposer entre elle et l'approche du mâle. Qu'il tente de la toucher. Qu'il essaie seulement. Peu lui importe de savoir. Il sent qu'elle n'est pas responsable. Que c'est leur faute. Comment pourrait-elle être fautive alors qu'ils sont trois contre elle ? Ses dents brillent de sa salive, il retrousse les babines en toisant l'animal prétentieux qu'est le gamin. Il a envie de lui entailler la gorge pour voir s'il parlera toujours autant lorsqu'il n'aura plus qu'un trou béant à la place des cordes vocales.