Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Ton estomac gargouille, et tu ouvres les yeux, surprise. Tu es couchée sur le sol froid de ta tanière, comme lorsque tu t'es couchée hier soir, et comme la veille, tu as faim. La faim est normale chez les loups, notamment chez les solitaires comme toi, qui doivent chasser seuls pour survivre, et cela t'agace profondément. Pas de rester seule, ça tu adores, mais le fait d'avoir faim, c'est cela qui t'agace. Tu dois donc te forcer à te lever et à sortir pour aller chasser. Dégoter une proie ferait du bien à ton petit estomac, et aussi à ta cervelle, et à tes pattes. Courir pour rester en bonne santé. Voilà au moins une leçon que tu as appris avec ce mâle, Sköll, le solitaire avec qui tu t'es entraînée il y a quelques jours, près de l'épave d'avion de la Forêt aux Pendus. Aujourd'hui c'est une belle occasion pour te remettre d'aplomb, et le rester.
Sans trop décider de ta destination à l'avance, tu te diriges sans le vouloir vers la prairie des grenats. Cet endroit ne te dit rien, car tu n'aimes pas trop son atmosphère trop "mignonne". Tu préfères le sang, la mort, les ténèbres... Tout ça, ça te dit quelque chose. Mais cette prairie t'inspire plutôt la joie de vivre, ce qui t'agace davantage. Mais tu te dis que les proies, elles, aimeront peut-être un endroit comme celui-ci ? Et même si tu as totalement l'impression d'être une grosse tâche noire dans ce paysage, tu espères profondément dénicher quelque chose... Et l'attraper. Coup de chance, à peine arrivée, tu t'aperçois qu'une nuée de corbeaux s'est posée sur la prairie. Les oiseaux noirs, comme toi, picorent tranquillement le sol, et tu sens qu'il faut te dépêcher avant que l'un d'eux ne donne l'alarme. Si un cri retentit, ils s'envoleront tous. Sans prendre la peine de bien te positionner ou de réfléchir, tu cours et bondis dans le tas, les griffes déployés et les crocs prêts à mordre. Un vacarme assourdissant et un tourbillon de plumes t'aveuglent, mais tu sens que ta patte avant a touché quelque chose. Et effectivement, l'odeur du sang fait vite son apparition, suivie d'un croassement plaintif. Tu as touché l'aile d'un corbeau, qui saigne désormais sur l'herbe verte. Aussitôt, tes crocs vont craquer le cou de la pauvre bête, et tu te redresses, satisfaite, tandis que les autres oiseaux disparaissent déjà à l'horizon. A peine arrivée, et une proie attrapée. La chance continuera t-elle à te sourire ?
Malheureusement pour toi, la chance ne te sourit pas deux fois. A la recherche d'une autre proie, tu déposes ton corbeau sur le côté, et pars à l'affût, tous les sens déployés. Tu aimerais bien trouver un campagnol, une proie que tu adores particulièrement, mais alors que tu t'es avancée jusqu'au milieu de la prairie, un aboiement furieux te vrille les tympans. Le pelage hérissé, tu contractes tes muscles pour voir d'où vient le danger, mais le pire est encore à venir. Comme dans les marais griffes vertes, tu aperçois un bipède, muni d'une arme à feu, qui s'avance en courant dans ta direction, précédé d'un molosse qui bave comme un fou furieux. Effrayée, et surtout désireuse de ne pas te faire déchiqueter, tu fais aussitôt demi-tour, sans prendre le temps de récupérer ton corbeau. Qu'elle poisse ! Tu aurais mieux fait de rentrer immédiatement chez toi après avoir attrapé l'oiseau noir. La chance n'arrive jamais seule. Les aboiements te poursuivent toujours, mais grâce à ton récent entraînement avec Sköll, ta vitesse s'est améliorée, et tu parviens à semer le chien et son maître au détour d'un buisson, sur le chemin de ta tanière. Il est bien trop tard désormais pour récupérer ta proie, et ce serait du suicide, alors tu te contentes de rentrer chez toi, tête basse, la queue traînant au sol. Décidément, la chance ne te sourira jamais. Mais un jour, tu te le promets, tu attraperas un de ces maudits chiens et tu lui briseras les os, une bonne fois pour toute.