Djall sursaute. Elle regarde à droite, puis à gauche. Son regard cyan cherche ce qui a pu éveiller son ouïe. Un fin linceul de sueur recouvre son corps et fait briller sa fourrure grise. Elle a encore fait un cauchemar. Peut-être le dernier ? Sûrement pas le premier du moins. Ces temps-ci, son sommeil est agité et ponctué de rêves qui pourraient être prémonitoires. En effet, elle rêve régulièrement de loups qui s'entretuent tout autour de la dune de sable. Des corps ensanglantés qui se déchiquètent pêle-mêle. Ses réveils se ressemblent tous : brutaux, bouleversants. Elle s'arrache à son nids creusé dans les dalles de pierre qui sont les vestiges de la chapelle. La mousse et les brindilles qui le recouvrent sont en désordre et certaines particules se sont emmêlées aux poils revêches de la guerrière. Aujourd'hui, la femelle va se livrer au rituelle auquel elle ne peut échapper depuis son retour au sein de sa meute. Après une courte toilette qui lui donne à nouveau figure lupine, Djall s'éloigne des ruines de granit et des briques colorées qui constituent le point principal de rassemblement de la meute Navnik. Aux alentours du camp, les oiseaux pépient en virevoltant entre les branchages bourgeonnants et les effluves de gibier et de forêt enveloppe la louve alors qu'elle pénètre dans un bois. Elle marche tranquillement, car son cœur est encore indécis. La louve se demande si elle doit chasser pour nourrir sa meute, ou céder à son appétit destructeur ? Malgré la menace que les Esobeks font planer sur la meute Navnik, ceux-ci prospèrent et Djall sait bien que l'urgence n'est pas à la chasse. Alors elle s'élance, sans plus réfléchir. Elle court, presque désespérément. Ses grandes pattes puissantes foulent l'humus humide et meuble des sous-bois qu'elle parcourt à vive allure. Son but ? Suer, s'éprouver un maximum. Elle galope si rapidement que le paysage autour d'elle se floute est devient difficilement distinguable. Comme un sixième sens lui permet de s'orienter et elle ne peut éviter les obstacles qu'à la dernière minute. Sa réactivité est mise à l'épreuve. Alors qu'elle suivait de son mieux un étroit sentier entre les troncs nus et les buissons épineux, un arbre couché sur sa route l'oblige à effectuer un magistral bond dans les airs pour ne pas se fracasser sur le bois mort. Elle court ainsi un long moment. En réalité, elle court ainsi jusqu'à ce que son cœur ne le lui permette plus. Jusqu'à ce qu'il cogne si fort contre sa poitrine dans un bruit sourd que ses oreilles poilues ne puissent plus rien capter d'autre. Alors elle finit par décélérer et s'immobiliser au pieds d'un gros chêne dont la cime disparaît presque dans un malheureux nuage isolé. Là, elle reprend son souffle à grandes inspirations saccadées, la tête et la queue basse.

Djall finit par se ressaisir après une pause succincte. Elle n'a pas terminé son entraînement quotidien, elle en a parfaitement conscience. Alors à la suite de quelques coups de langue rose bien placée sur sa fourrure en bataille, elle s'éloigne du chêne à petites foulées régulières. Elle a besoin de se sentir puissante, elle a envie d'éprouver sa force. Elle veut sentir son sang battre ses tempes et ses muscles trembler de douleur. Soudain, elle se stoppe net dans sa lancée et fait volte-face. Une idée farfelue vient de germer dans son esprit. Elle retourne sur ses pas et dépasse même le grand chêne qui a vu son repos. Après presque un kilomètre, elle tombe enfin sur le tronc au-dessus duquel elle est passée de longues minutes plus tôt. « A toi de jouer Djall », se murmure-t-elle comme un encouragement. Puis elle se lance vers l'avant et prend de l'élan avant de s'écraser violemment contre le tronc enfoncé dans le sol vert à l'horizontale. Au moment du heurt, la guerrière balance son épaule la première et s'arcboute en plantant de toutes ses forces ses quatre pattes noueuses dans la terre. Au début, rien ne se passe. Juste un loup collé à un tronc couché. Puis, au bout de nombreuses tentatives veines, le tronc perd quelques centimètres de terrain. La Navnik arrête son manège. Son corps entier tremble à vue d'oeil. Elle ne se sent plus apte à produire quelque effort que se soit. Elle décide donc d'arrêter sa séance pour ce jour, et repart en direction des ruines de pierre. « Advienne que pourra », élude-t-elle à voix haute.