C'est la première fois depuis des jours que je peux à nouveau fouler le sol plus ou moins vert et plus ou moins tendre de mon enclos, entouré de mes congénères. Je cours comme une furie dans mon petit enclos, cela fait tellement longtemps que je n'en ai pas eu l'occasion ! C'est si bon de pouvoir à nouveau se dégourdir les pattes, de pouvoir courir à en perdre haleine, de se défouler ... Tout ça sans craindre une attaque de loups. Nous ne sommes sortis que depuis quelques minutes, ils n'ont pas encore pu nous sentir !
Faux. J'en vois déjà un, au loin. Sur la colline, il nous observe. C'est une femelle au dense pelage blanc. Elle est de taille moyenne et ne semble pas très musclée. Mais c'est peut être une ruse, son long pelage me cache son corps. Je suis pétrifié. Je ne m'étais pas préparé à cette éventualité là. Que faire ? Va-t-elle me tuer, moi ? Dois-je courir ? Ou attendre patiemment qu'elle choisisse sa proie en priant pour que ce ne soit pas moi ? Plus le temps de réfléchir, le loup fond déjà sur moi, tous crocs dehors. Elle fond vers le troupeau. Non, elle ne fond pas vers le troupeau. Elle fonce vers moi ! D'un bond souple et fluide, elle saute par dessus la clôture électrifiée des humains. Je suis pétrifié. Je n'ose pas bouger. Mes congénères m'ont déjà abandonné. Ils savent que je vais mourir, je sais que je vais mourir, mais j'ai envie de me battre. Au fond de moi, tout au fond de moi, mon instinct me crie de courir. Et je l'écoute, enfin. Je prend mes jambes à mon cou et je cours en direction du troupeau. C'est lâche de ma part, mais avec un peu de chance la louve choisira une autre proie. Le troupeau se disperse, la louve va sûrement me perdre de vue ... Non, elle ne me perd pas de vue. Elle me fonce toujours dessus, hargneuse. Je me retourne quelque secondes pour jauger la distance qui nous sépare, quelques mètres à peine, et ça diminue. Mais je n'aurai pas du me retourner. Je me prend les pattes dans une racine d'arbre qui sortait du sol et trébuche, tête la première. Je n'ai pas le temps de me relever et de repartir. Il est trop tard, la louve est déjà sur moi.
Sa gueule dégouline de bave, ses yeux marrons n'inspirent que la haine, ses oreilles sont en arrière, elle est prête à me trancher la gorge à tout instant. Mais elle ne le fait pas. Elle prend du plaisir à me voir ainsi effrayé, elle ne fait que retarder une chose inévitable: ma mort. J'essaye de reculer pour me dégager de son emprise, elle ne fait que se rapprocher encore plus de moi. Sa gueule s'ouvre, c'est la dernière chose que je verrai dans ce bas monde. Je ferme les yeux, une ultime fois. Je ne sens qu'une légère pression sur ma gorge, la louve ne m'a pas fait souffrir. Je rejoins alors les miens, déjà tombés. Je serais heureux, là haut.