Plusieurs jours passèrent sans que Leikn ne ressente le besoin de chasser à nouveau. Les réserves de nourriture étaient nettement satisfaisantes pour une jeune meute de cette taille, et elle avait mieux à faire ailleurs. S'entraîner, par exemple. Par les temps qui couraient, ce n'était pas du luxe, et Leikn avait par ailleurs la nette sensation d'être un peu rouillée. Mais des murmures couraient sur toute la terre, des rumeurs de guerre en marche et des hurlements de haine à faire froid dans le dos.
Loin de se sentir affolée par la perspective des combats à venir, la louve blanche ne ressentait qu'une vague impatience, un agacement devant le temps que prenaient leurs ennemis à se décider, et un léger malaise qui trahissait ses propres doutes. C'est qu'elle n'avait toujours pas décidé clairement ce qu'elle fichait au milieu d'une meute qui peinait déjà à maintenir la cohésion dans ses rangs, et que toutes les autres voulaient exterminer.
L'attrait des causes perdues, peut-être.
Toute à ses pensées, Leikn ne trouva tout d'abord rien dans les sables de la dune. Elle avait pour habitude de surprendre des oiseaux ou des reptiles, en règle générale, lorsqu'elle chassait dans le coin, mais pour l'instant elle restait bredouille. Estimant que la chasse était un bon entraînement, la louve blanche avait quitté le camp pour chercher proies sur la dune. Pour l'instant, rien en vue.

C'est ainsi que la guerrière se décida à aller chercher sa pitance au torrent. Elle n'aimait pas pêcher, n'ayant pas l'habileté naturelle nécessaire à un acte d'une telle précision. Elle n'était pas franchement assez rapide.
Mais on ne peut pas s'améliorer sans pratiquer, cela dit. Elle s'astreignait donc à tirer du poisson de temps à autre, malgré sa répugnance.
Ce jour-là la voyait bien échauffée et très en forme, car après plusieurs minutes passés à contempler la surface miroitante de l'eau qui ressortait joliment sur le jaune du sable alentours, ses muscles se tendirent : un poisson aux écailles argentées remontait vers la surface. Ni une, ni deux, Leikn ne plongea pas la patte dans l'eau, comme elle l'avait un jour vu faire un ours, mais la tête tout entière.
Moins élégant, mais plus efficace quand on a des pattes de loup.
Ses mâchoires se refermèrent net, comme un piège de métal humain, et elle eut le plaisir de sentir les écailles craquer sous ses crocs. Le poisson se débattit quelques fois puis cessa tout mouvement à mesure que la louve lui broyait l'abdomen. C'était fini pour lui.
Satisfaite, Leikn fit volte-face et rentra au camp, laissant ses doutes en suspens sur la rive humide.

Leikn bondit au-dessus d'un tronc renversé, fit un crochet à gauche d'un arbre toujours debout, et dévala une pente rocailleuse aiguë. Au bout de longues minutes de courses à cette allure, la louve blanche ralentit et s'arrêta, haletante. Courir, sauter, s'entraîner à combattre des ennemis invisibles la détendait et lui vidait l'esprit. Evidemment, elle préférait se battre contre un adversaire en chair et en os, de préférence de sa taille ou plus : la sensation physique qu'un tel duel lui procurait était enivrante, à peu près autant que celle du sang dans sa gueule.
Mais Leikn avait récolté des blessures récemment - bêtement d'ailleurs, ce qui ne cessait de l'agacer - et se savait difficilement capable de se battre convenablement. Elle en tirait un sentiment amer, car chaque fois que ses côtes la lançaient douloureusement, elle se rappelait qu'on risquait bien de la reléguer à l'arrière lors des prochains combats pour cette raison. Pour passer ses nerfs, la louve blanche effectuait quelques passes contre des ennemis invisibles, claquant des crocs dans le vide et attrapant rageusement des feuilles qui tombaient des arbres entre ses puissantes mâchoires. Soudain, une odeur alléchante frappa son museau : elle s'arrêta net et se retourna. Une biche la contemplait de ses beaux yeux noirs, immobile à quelques mètres.
Leikn dressa les oreilles : elle se moquait d'elle ou quoi ? Avec un aboiement de défi, elle se lança à la poursuite de l'animal qui disparut en un bond dans les buissons.
La suite de la cavalcade ressembla étrangement à ce qu'elle faisait depuis le début de la matinée : à savoir courir, sauter, virer, éviter mille et uns obstacles que la forêt se plaisait à poser sur son chemin, et caetera. Si Leikn n'avait pas été aussi férue d'exercice physique, elle aurait pu s'en lasser.
D'un autre côté, le fait de pouvoir s'en sortir aussi aisément la rassurait sur l'état de son corps : si on l'attaquait dans les jours à venir, elle pourrait s'arranger pour survivre.
Elle n'était pas du genre à s'avouer ses propres incapacités.
Par exemple, son endurance laissait toujours à désirer : au bout de longues minutes de poursuite, la biche commença à s'éloigner, jusqu'à disparaître entre les rochers. Tout d'abord, la louve tira sur ses muscles en pestant, mais elle finit par se résigner.
Avec un grognement, elle regarda sa proie s'enfuir dans la plaine qu'elles avaient fini par atteindre toutes deux. Cela n'arrangeait pas son humeur.
En désespoir de cause, Leikn repartit en direction des sables de la dune, nez au sol, cherchant une autre proie sur laquelle se faire les dents. Mais cette fois, peine perdue, elle fut incapable de trouver son bonheur. Sale journée.