Tableau de chasse :
• 1 serpent
• 2 truites
• 2 daims
• 1 coyote

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note : ce topic ne sera peut-être pas toujours très actif, mais je le surveillerai toujours alors ne vous embêtez pas à le upper. Si je manque de temps sur une trop longue période ou si je m'en lasse j'irai l'archiver.

Le sable glissait sous ses pattes. Ses coussinets s'y enfonçaient à chaque pas, rendant presque malaisée sa progression. Au départ, elle avait trouvé cette sensation détestable. Puis le contact rêche des grains de sable entre ses griffes était devenu caressant à mesure que le frottement les réduisait en poussière. Elle en était venue à apprécier cette sensation de glissement, et à la mettre à profit.

Tapis dans le sein de la dune comme dans l’œuf dont il était issu, une couverture chaude, moelleuse et mouvante, lui dardait vers la lumière ses iris sans paupière. Ses anneaux coulissaient sur sa chair molle, les grains de sable crissaient délicatement entre les plaques fines de son armure noirâtre. Lentement, paresseusement, ils se mirent à onduler vers elle, la lumière. L'étreinte de la dune glissa sur ses oreilles et son museau rencontra la fraîcheur de l'air. Une fois, deux fois, il en remplit ses poumons, puis son ventre s'extirpa du sable pour l'effleurer par-dessus, ondulant lentement sur son or qui brillait au soleil. Aussi chaud que les entrailles de la dune, le soleil réchauffa ses écailles.
A quelques mètres de là, le lent gargouillement de l'eau pure se faisait entendre. En quête de quoi rassasier son estomac, affamé par l'exercice, il serpenta dans le sable dans cette direction, cherchant la proie facile venue innocemment s'abreuver à la source.
Et elle était là, non loin devant lui, penchée au-dessus de l'eau, inconsciente, sans défense. Il s'immobilisa quelques secondes, dardant la langue dans sa direction contre les grains dorés qui l'entouraient comme un calice protecteur.
Soudain, la louve immobile sursauta. Il vit un éclair argenté jaillir des flots et tournoyer au-dessus de sa tête, avant de finir entre les crocs du canidé. La gueule de la louve se referma sur le poisson avec un bruit sec, et il crut bien qu'elle allait le laisser glisser au dernier moment. Mais il n'en fut rien.
Profitant de cet instant d'inattention, il reprit sa progression silencieuse en direction des pattes blanches qui lui faisaient face. Il n'était pas dans ses habitudes de chasser du gros gibier, non ; il préférait les petites bêtes et les insectes, mais cette femelle avait dérangé son sommeil en glissant sur la dune, et elle foulait son territoire sans vergogne. Il en était agacé. Déterminé à apaiser les lieux, il se glissa près de son jarret et ouvrit la gueule ; ses crocs démesurés étincelèrent...
Un terrible noeud d'ivoire s'enroula alors derrière sa tête et se mit à serrer avec violence. Il convulsa sur un cri que sa trachée ne pouvait pousser ; ses mâchoires s'enrayèrent et se bloquèrent définitivement. Gueule ouverte, crocs saillants, il tressauta et se tordit en tous sens avec la rage terrible de l'agonisant, cherchant à faire lâcher prise l'étau qui se resserrait sur sa nuque, mais peine perdue. Sa langue bifide se tordit bleuit, tous les muscles de son corps reptilien se tendirent... et enfin, se relâchèrent.

Dérapant dans le sable, Leikn laissa tomber le serpent en le fixant d'un oeil circonspect. Mais il semblait bel et bien mort - bon débarras. Les serpents, elle en avait eu sa dose dans sa jeunesse. Avec un souffle dégoûté, la louve ramassa la truite qu'elle venait de pêcher et la joignit au reptile. Enfin, elle emporta l'ensemble hors du sable chaud, en direction de la chapelle.

Aymeric tira une dernière bouffée de sa cigarette avant de la jeter au sol et l’écraser sous le talon de sa botte. Le goût du tabac lui resta en bouche et lui tira une grimace : en réalité, il n’aimait pas fumer, mais fumer occupait les mains. Et lorsqu’on était assigné à la surveillance du matériel, c’était une distraction non négligeable.
C’était le matin. Il faisait froid. Le chasseur se leva pour faire quelques pas et dégourdir ses jambes enfoncées dans un épais pantalon de toile. La doublure de fourrure de sa capuche, pour le moment rabattue sur ses épaules, frotta contre sa nuque rasée tandis que son souffle s’évaporait en petits nuages translucides dans l’air gelé. Il contourna Ankilia, sa chienne bâtarde d’épagneul et de chien de chasse au poil brun moucheté, qui roupillait paisiblement près du camion, et fit plusieurs fois le tour des caisses d’armes pour se réchauffer. Comme aucun coup de feu ne s’était encore fait entendre dans les bois, il supposait que ses camarades n’allaient pas tarder à rentrer bredouille de la chasse ; ils avaient été affectés à un transfert de provisions entre campements, mais toute nourriture supplémentaire restait bonne à prendre et ils n’avaient pas résisté à une occasion de s’arrêter en terre giboyeuse. Ils avaient levé une belette par pure hasard et depuis, Owen, le frère d’Aymeric, n’avait rien voulu savoir. Il reviendrait avec un renard supplémentaire au moins, ou ne reviendrait pas.
Bonne chance à lui, songea Aymeric en s’éloignant vers l’orée du bois, sifflant entre ses dents. Un bâtard noir et blanc surgit des fourrés en remuant la queue et fila glisser la tête sous la main de son maître. L’homme caressa longuement son chien, le regard dans le vague.
Lorsqu’il se retourna, un loup blanc le regardait depuis l’amoncellement de caisses, la belette entre les dents. Les entrailles d’Aymeric se gélifièrent entre ses côtes.

La bête était énorme. Entre ses crocs, la belette ne semblait pas plus épaisse qu’une grosse souris. L’espace d’un instant irréel passé à contempler la dentition de l’animal, Aymeric se demanda comment en réchapperait un bras humain coincé entre ces mâchoires.
Puis l’instant de flottement passa et le jeune homme se retrouva à chercher fébrilement son fusil des yeux en se demandant confusément pourquoi il ne l’avait pas à la main. Sa main était restée posée sur l’échine d’Orpheus, et il sentit la fourrure de l’animal frémir sous ses doigts : le chien l’avait vu. Lentement, Aymeric tendit sa main libre vers l’arme la plus proche, qui gisait au sol dans le bazar que laissaient habituellement ses compagnons peu ordonnés au sol de leur campement. Près des caisses, Ankilia relevait lentement la tête, ainsi que les babines sur ses crocs blancs. La scène tout entière semblait se dérouler au ralenti.
Puis un grondement rauque s’échappa de la gorge d’Orpheus et le loup blanc disparut.
Aymeric bondit sur ses pieds et cria : avec un bel ensemble, ses deux chiens sautèrent en avant et se jetèrent à la poursuite du loup en aboyant comme des fous.
Aymeric se lança derrière eux, abandonnant tout de suite l’idée de monter sur un de leurs deux-roues : la seule moto disponible était encore dans le camion, l’en descendre était hors de question. Heureusement pour lui, il se trouvait dans une cuvette aux flancs relativement escarpés, ce qui ralentissait la progression des canidés et lui donnait la possibilité de les suivre des yeux jusqu’en haut de la crête.
Après, il n’y avait que la forêt, et il les perdrait de vue.
Derrière lui, les bois, devant lui, le sable à perte de vue. Il était au pied de la dune, et seule à sa gauche, cette variation de paysage qu’était la crête rocailleuse qui rejoignait la forêt.

Pestant contre son inattention et l’engourdissement de ses chiens, Aymeric bondit avec agilité sur le camion et escalada les caisses de nourriture pour bénéficier d’une vue dégagée. Ses doigts gantés patinèrent sur le cran de son arme qu’il mit un temps infini à armer ; puis sans prendre le temps de viser correctement, il tira à plusieurs reprises.
La forme blanche fila entre les rochers et des éclats de roc volèrent. Aymeric entendit Ankilia hurler de plus belle et jeta un coup d’œil : dans la pente, les deux chiens se rapprochaient de leur but. Il remarqua que le loup était finalement moins gros qu’il l’avait d’abord cru, sans doute un effet visuel dû à son épaisse fourrure ; et il avait l’air moins rapide que ses chiens, des bêtes dégingandées et sèches, taillées pour la course.
Malheureusement, le trio avait déjà atteint le haut de la crête. Aymeric jura et visa soigneusement, un œil plissé par la concentration. Les tirs crièrent et il vit l’animal bondir de côté. Le chasseur redressa le canon : l’avait-il touché ?
Quelle que soit la réponse, cela n’empêcha pas la bête traquée de disparaître entre les arbres au sommet de la côte, suivie par les deux chiens hurlants.

Aymeric lâcha un affreux juron et sauta du camion. Son fusil trouva sa place en bandoulière entre ses épaules, et il fonça dans la côte, bondissant de rocher en rocher. La vie au grand air avait taillé ses muscles et élargi ses poumons : il parvint au sommet rapidement et sans être essoufflé. C’est alors que des bois lui parvint un hurlement qui lui fit froid dans le dos. Son cœur se serra : ce n’était pas un loup qui hurlait et ce n’était pas un cri victorieux. Dans les modulations de détresse, il reconnut la voix d’Ankilia.
L’angoisse fondit sur le jeune chasseur qui, oubliant cette stupide belette et les velléités de chasseur de ses camarades, fonça dans les sous-bois à la poursuite de ce cri. Au bout de quelques mètres, il dévala une pente et dérapa près du corps frémissant de la chienne brune, étendue sur le flanc contre un rocher. Aymeric tomba à genou et appliqua une main sur la vilaine plaie qui barrait les côtes d’Ankilia ; à ce moment, son seul réflexe fut de sauver ses chiens. La vie était dure et la faim les menaçait sans relâche, certes ; mais pour les hommes lâchés dans ces plaines arides et solitaires, trois bouchées de viandes importaient peu face à la chaleur rassurante d’un chien dans son sac de couchage une nuit d’hiver. La mère d’Ankilia, la précédente chienne d’Aymeric, avait été déchiquetée en sautant sur une mine un an plus tôt. Il avait recueilli Orpheus à quelques mois, errant dans une usine abandonnée. Pressant une main contre la plaie sanglante, le jeune homme lança un sifflement strident à l’adresse de son deuxième chien : que le loup aille où bon lui semblait, il n’en valait pas la peine.
Sous ses doigts, la chienne blessée lâcha un faible gémissement.


Leikn bondit au-dessus d’un tronc renversé. Ses crocs avaient transpercé le corps de la belette à force de serrer, une balle avait tracé un sillon enflammé sur sa patte gauche et elle commençait à fatiguer sérieusement. Mais le corniaud bicolore accroché à ses pattes refusait de la lâcher. Alors qu’elle commençait à envisager un combat franc, maintenant qu’elle s’était débarrassée de la chienne, un sifflement strident fusa entre les ramures des arbres : aussitôt, Leikn sentit le martèlement des pattes du chien à sa suite cesser.
Intriguée, elle s’arrêta à son tour, par réflexe. Dans son dos, le chien de chasse la fixait hargneusement ; elle hésita.
Un deuxième sifflement se fit entendre et le chien fit volte-face avant de disparaître dans les fourrés.
La louve blanche fixa un moment l’endroit où s’était trouvé son poursuivant un instant plus tôt, perplexe. Puis elle décida d’en profiter et reprit sa course.

Leikn dévala les pentes sablonneuses jusqu’à ce que la fermeté rassurante de la roche réceptionne ses coussinets irrités par le frottement.
La louve blanche s’ébroua : elle préférait de loin ces sols plats et durs qu’elle avait connus et parcourus toute sa vie, à l’incertitude des monticules de sable. Plusieurs fois elle avait été surprise par des scorpions ou des serpents. Elle trouvait la dune vicieuse et s’en éloignait désormais autant que possible.
Tranquillement, Leikn entama son repérage au hasard, s’éloignant entre les rocailles et les quelques arbres rabougris qui parsemaient la plaine gris-brun. Le soleil se levait tout juste et ses rayons oranges raclaient sans pitié le sol de roche, créant sur les volumes un contraste saisissant. Les ombres étaient soi immenses, soi minuscules, et le moindre éclat de couleur clair blessait les yeux. La louve blanche plissa les siens, cruellement consciente d'être terriblement visible en raison de la clarté de son pelage, mais n'en continua pas moins ses recherches. Au détour d'un amas de pierres sur lequel poussaient difficilement quelques arbres, elle leva un lapin qui effectuait sa toilette matinale.
D'un bond puissant, la guerrière se jeta sur sa proie, tous crocs en avant.
Mais d'un bond non moins preste, le lagomorphe se projeta en l'air et ses pattes battirent le vide à quelques centimètres de la gueule de son agresseur. Leikn dérapa avec un grondement de rage et fit volte-face, pour constater que sa proie s'enfuyait à toute vitesse parmi les rochers. La louve se jeta à sa poursuite en aboyant férocement et serpenta un moment entre les obstacles que le lapin évitait aisément : mais le passage était étroit et Leikn massive ; elle fut ralentie par la taille des obstacles, dut faire attention où elle mettait les pattes pour ne pas trébucher et, finalement, perdit son gibier de vue.
Pestant, la louve blanche ressortit des caillasses et reprit sa ronde attentive.

Elle eut plus de chance par la suite.
A la lisière de la forêt - enfin, si l'on pouvait décemment nommer "forêt" ce bouquet de bouleaux rachitiques mourant de soif au coin de la dune - la louve tomba nez à nez avec un groupe de daims un peu trop matinaux.
Aussitôt, elle s'immobilisa dans une attente granitique, dardant son regard gris sur le seul mâle. Celui-ci se tenait droit sur ses courtes pattes, tête dressée dans une attentive méfiante. Il l'avait vue, entendue, sentie, mais n'était pas encore certain du danger qui pesait sur sa harde. Lentement, Leikn entreprit des les contourner. Toutes les paires d'yeux la suivirent, et elle vit l'arrière-train des femelles frémir : elles étaient sur le point de s'enfuir. La louve prit sa décision en un quart de seconde : au milieu d'un pas prudent qui l'éloignait du groupe, elle fit un brusque crochet vers la droite. Ses pattes puissantes la projetèrent avec forces vers le mâle qui, saisi, perdit un instant avant de se cabrer pour faire demi-tour. Derrière lui, les femelles s'enfuirent. Mais il avait un temps de retard, et avant qu'il puisse atteindre une vitesse assez conséquente pour lui échapper, Leikn se jeta sur ses jarrets pour les arracher d'une intense pression des mâchoires.
Un cri douloureux lui vrilla les oreilles alors que le daim chutait dans la poussière. La louve exerça une puissante traction sur le membre prisonnier pour rapprocher sa proie d'elle, puis sauta sur son corps frémissant pour lui ouvrir la gorge.
Elle se releva, le sang chaud maculant ses babines blanches et, satisfaite, entreprit de traîner le cadavre en direction de la chapelle.
Cette fois au moins, elle n'aurait pas perdu sa matinée.

Quelques jours plus tard, Leikn était tapie dans les fourrés secs et acides au pied de la dune, ses yeux gris brûlants à force de fixer les petites silhouettes qui gambadaient joyeusement sous son nez, et avec la nette impression de se changer peu à peu en puma stupide. Elle avait mal au reins. Elle préférait largement chasser le gros gibier à coups de sprints meurtriers. A quelques mètres d'elle, les chiens de prairie se jetaient l'un sur l'autre en poussant de petits couinements de bonheur qui commençaient à lui taper sur le système. Elle avait déjà raté deux lapins depuis l'aube, ça commençait à bien faire.
Malheureusement, Leikn n'était pas la créature la plus patiente qui soit. A bout de nerfs, elle surgit de sa cachette en aboyant et fondit sur les deux petites créatures... qui n'eurent rien de plus pressé que de disparaître comme par magie dans les trous les plus proches, que la guerrière n'avait pas vus. Furieuse, la louve blanche bondit sur les entrées de galerie et gratta frénétiquement l'ouverture de ses pattes avant ; mais c'était bien évidemment peine perdue, et elle ne parvint qu'à tacher sa fourrure d'ocre jusqu'aux coudes.
Furibonde, la guerrière arpenta la plaine de long en large en martelant le sol sans précaution. Elle n'avait jamais été patience, c'était assez clair ; en plus, le soleil encore trop chaud pour la saison lui tapait cruellement sur le crâne. A bout de patience, elle bondit sans précaution sur le premier serpent qui lui passa sous le nez.

Evidemment, le reptile se détendit comme un ressort et lui fila entre les pattes. Leikn jeta un aboiement fou de rage qui se répercuta en écho sur la plaine.

Leikn resta un instant dans la position qui l'avait vue rater le serpent, haletante. Puis ses pattes glissèrent et elle se laissa tomber sur le ventre en soufflant d'énervement par la truffe. Elle resta dans cette position quelques longues minutes, à reprendre son souffle et parcourir son environnement des yeux. Petit à petit, son énervement s'apaisa, elle se prit à respirer plus calmement. Etrangement, le poids du soleil sur sa nuque lui faisait moins l'effet d'une claque, et davantage d'un léger voile qui viendrait la réchauffer timidement.
Leikn soupira. Même pour elle, son mauvais caractère n'était pas des plus simples à gérer.
La louve blanche finit par se relever et reprendre ses recherches. A tête reposée, elle fut un peu plus chanceuse : un coyote distrait qui passait par là en fit les frais lorsqu'elle tomba nez-à-nez avec lui au coin du bois. L'animal eut l'air surpris. Tenta de s'enfuir.
Dommage pour lui, elle avait de plus longues pattes, et lui tomba dessus comme un ouragan.

Quelques minutes plus tard, après avoir traîné son butin à l'abri des fourrés, Leikn se remit en chasse et entreprit de contourner le petit bois où elle avait déniché des daims quelques jours plus tôt. Et au détour du chemin... bingo ! Privé de son mâle, le petit groupe n'avait pas quitté son territoire pour autant. Leikn s'approcha à pas feutrés, en prenant soin de se placer sous le vent, pour que les daims ne perçoivent sa présence qu'au tout dernier moment. Lorsqu'elle estima enfin ne pas pouvoir avancer plus, elle s'élança brutalement vers la femelle la plus proche. Celle-ci fit un écart affolé et partit dans un galop frénétique entre les arbres. Leikn se lança à sa poursuite, tirant sur ses muscles à la fois pour ne pas perdre de terrain et pour la rattraper le plus vite possible : elle se savait incapable de tenir la distance avec un cervidé. Heureusement, sa proie elle-même paraissait gênée par le terrain accidentée et à la faveur d'un virage, Leikn lui sauta sur le dos et la crocheta à la nuque. Les deux animaux roulèrent dans la poussière, mais la louve ne desserra pas sa prise jusqu'à ce que sa proie cesse enfin de se débattre, avec un ultime râle d'agonie.

Plusieurs jours passèrent sans que Leikn ne ressente le besoin de chasser à nouveau. Les réserves de nourriture étaient nettement satisfaisantes pour une jeune meute de cette taille, et elle avait mieux à faire ailleurs. S'entraîner, par exemple. Par les temps qui couraient, ce n'était pas du luxe, et Leikn avait par ailleurs la nette sensation d'être un peu rouillée. Mais des murmures couraient sur toute la terre, des rumeurs de guerre en marche et des hurlements de haine à faire froid dans le dos.
Loin de se sentir affolée par la perspective des combats à venir, la louve blanche ne ressentait qu'une vague impatience, un agacement devant le temps que prenaient leurs ennemis à se décider, et un léger malaise qui trahissait ses propres doutes. C'est qu'elle n'avait toujours pas décidé clairement ce qu'elle fichait au milieu d'une meute qui peinait déjà à maintenir la cohésion dans ses rangs, et que toutes les autres voulaient exterminer.
L'attrait des causes perdues, peut-être.
Toute à ses pensées, Leikn ne trouva tout d'abord rien dans les sables de la dune. Elle avait pour habitude de surprendre des oiseaux ou des reptiles, en règle générale, lorsqu'elle chassait dans le coin, mais pour l'instant elle restait bredouille. Estimant que la chasse était un bon entraînement, la louve blanche avait quitté le camp pour chercher proies sur la dune. Pour l'instant, rien en vue.

C'est ainsi que la guerrière se décida à aller chercher sa pitance au torrent. Elle n'aimait pas pêcher, n'ayant pas l'habileté naturelle nécessaire à un acte d'une telle précision. Elle n'était pas franchement assez rapide.
Mais on ne peut pas s'améliorer sans pratiquer, cela dit. Elle s'astreignait donc à tirer du poisson de temps à autre, malgré sa répugnance.
Ce jour-là la voyait bien échauffée et très en forme, car après plusieurs minutes passés à contempler la surface miroitante de l'eau qui ressortait joliment sur le jaune du sable alentours, ses muscles se tendirent : un poisson aux écailles argentées remontait vers la surface. Ni une, ni deux, Leikn ne plongea pas la patte dans l'eau, comme elle l'avait un jour vu faire un ours, mais la tête tout entière.
Moins élégant, mais plus efficace quand on a des pattes de loup.
Ses mâchoires se refermèrent net, comme un piège de métal humain, et elle eut le plaisir de sentir les écailles craquer sous ses crocs. Le poisson se débattit quelques fois puis cessa tout mouvement à mesure que la louve lui broyait l'abdomen. C'était fini pour lui.
Satisfaite, Leikn fit volte-face et rentra au camp, laissant ses doutes en suspens sur la rive humide.