Les ombres glissent sur mon pelage blanc, et moi qui me surnomme désormais La Blanche, je vais chasser. Pas pour ma Meute, pas pour ces nouveaux Alphas, mais bien pour moi. Les tensions sont fortes, au sein des Navniks. Chagrin, colère, abattement, on est tous accaparés par de lourds sentiments. Mais je mets ça de côté désormais, car la chasse réclame toute l'attention nécessaire. Pourquoi changer d'endroit alors qu'on sait les bénéfices qu'il apporte ? Ce Marais puant, pour une raison que je n'explique toujours pas, connait les passages fréquents des troupeaux migratoires et de centaines de bestioles appétissantes. Maintenant que mon entraînement a commencé, il faut que je continue les efforts. Allons-y.

Je commence à m'y connaitre, désormais. La plupart de mes chasses ont été fructueuses jusqu'à maintenant, la Lune sait pourquoi. La Blanche est dans la place. Ces Marais sont à moi, ils m'offrent leur trésor. Mon sourire narquois est caché par les herbes hautes, et je sais intérieurement que mes efforts de patience vont être récompensés. Je m'élance discrètement, le corps tendu et ramassé, les pattes de velours foulant le sol spongieux. Dans une petite course cadencée, je m'approche d'une des plus grandes étendues d'eau, m'arrête et hume le sol. Les traces d'un petit herbivores sont dans le sol, et très fraiches. Un animal blessé, d'après les traces. Je relève à demi la tête. Il me faut parcourir quelques kilomètres. Avant, cela m'aurait paru presque impossible. Mais je suis apprentie guerrière désormais, je peux me dépasser. Alors je cours, rapidement, pleinement réveillée et savourant chaque sensation. Mes pattes contre la terre, le mouvement de mes muscles fins, l'air s'infiltrant dans mon pelage. J'aperçois au loin, près d'une seconde mare, des longs oiseaux en train de boire, et dans un éclat de rire je passe entre eux, effleure leurs plumes et leurs corps affolés. Ils s'envolent précipitamment dans une cacophonie, et moi je continue mon chemin loin de ce chaos. Une fois arrivée, essoufflée mais totalement prête à attaquer, les odeurs de l'herbivore deviennent bien plus présentes. Je repère une touffe de poil blanche, arrosée de gouttes de sang. Mes pupilles se dilatent, mon ventre se creuse. Je m'accroupis dans une lenteur infinie et attend. Cachée par les broussailles, j'aperçois un petit animal blanc comme neige, au pelage frisé. Bien amoché, son flanc est ouvert et ruisselant d'hémoglobine. Je ne sais pas ce qui a pu lui arriver. Mais je m'en moque. Cette chose blanche m'appartient. Elle émet des sons pathétiques, le regard vague et perdu. L'animal semble totalement inapproprié dans cet univers. Je bondis, atterris sur son dos et l'égorge brutalement. Mon pelage devient rouge à mon tour, me donnant un aspect lugubre. J'aperçois, échoué contre la berge d'une bande d'eau assez profonde, les vestiges d'un engin humain. Quelque chose qui devait flotter, et dont la surface est composé d'une sorte d'entrelacement gris et solide. Ca semble ouvert, et c'est plein de poil frisé blanc. Une oeuvre des humains. Y aurait-il d'autres herbivores, dans les parages… ?

Je recouvre brièvement ma proie de terre, pour en masquer l'odeur. D'un pas lent et prudent, je viens renifler l'engin humain et l'entrelacement du dessus. Je plisse le nez en sentant l'odeur âcre, et me recule vivement. C'est certainement un objet maudit, duquel on ne peut s'échapper. Plutôt mourir que de vivre l'expérience d'être enfermé dedans.
Une brise se lève lentement et m'apporte, sans grande surprise, une odeur quasi-similaire à celle de l'herbivore blanc que je viens d'abattre. Elle n'est pas loin, pas loin du tout. Je lance un regard en arrière, puis cours dans la direction de ma prochaine prise. Les muscles déjà déliés par ma précédente course, je pique un sprint, le coeur exalté. Un énorme tronc, tombé sur le sol, me barre la route, et sans vraiment réfléchir, j'entreprends un grand bond pour le survoler. Ce que je fais. Plutôt contente de moi, je continue ma course, mais je ralentis. Quand je tombe enfin sur ma proie, je la trouve dans une très bonne forme. Pas de blessures comme l'autre. Ils sont deux ! L'un a des cornes, l'autre non. Je décide, par instinct, de m'attaquer à celui le moins armés contre mes crocs. Je saute, mes pattes à quelques mètres des deux bêtes blanches. La première, sans corne, s'enfuit en bêlant. La seconde, la plus dangereuse, me toise d'un air furieux. J'abaisse les oreilles, sors mes crocs et grogne sourdement. La bête charge, je l'esquive de justesse et dessine un large cercle autour d'elle. Encore une fois elle charge, je fais la même chose. Cette fois, j'arrive à lui mordre l'épaule, lui arrachant un lambeau de chair. Encore plus furieux, l'herbivore charge une troisième fois et heurte violemment mon épaule. Je couine de douleur, me retire prestement et, d'un geste rapide, me jette sur la proie et lui déchiquette le dos. Enfin, j'atteins sa jugulaire et, revenant sur le sol, les pattes campées, je tiens son cou dans ma gueule jusqu'à lui tordre. La bête cesse de se débattre et meurt entre mes crocs. Je souffle lentement et, d'un pas rapide, vais chercher ma seconde proie.

FIN