Habituellement dans ma tête tout me semble toujours si clair, si ordonné. Je sais toujours d'où je viens, où je vais. Je connais mes ruses par cœur, aussi complexes soient-elles, j'ai toujours mis un point d'honneur à garder un certain contrôle sur moi même, sur ma situation, ma vie. A toujours avoir des plans de secours, des issues possibles. Je suis un maniaque du contrôle, il m'est donc naturel d'avoir les idées bien placées là où personne ne peut s'en emparer. Mais aujourd'hui, ce n'est plus cette source claire qui coule dans les sinuosités de mon esprit, c'est une tempête qui gronde, menaçant de tout déchirer sur son passage. Je ne sais plus où j'en suis, j'ai perdu le compte. Je m'efforce de rester grand et digne, comme je l'ai toujours fait. Mais au fond de moi j'ai simplement envie de tout abandonner, de tout lâcher et d'aller me terrer dans un trou, comme les louveteaux. Ma plus grande crainte a toujours été de me retrouver seul et plus les jours s'enchaînent plus j'ai l'impression de me diriger vers cette destinée. Tous ceux à qui je tiens, toutes les valeurs qui me sont si chères, tout s'efface petit à petit, ne laissant place plus qu'au néant. Ais-je fait les bons choix ? Je n'en doute pas. Mais maintenant que je les ai faits, aurais-je les épaules assez larges pour supporter tout ce qui en découlera ? Là l'avenir est bien moins certain. Ceux que j'ai aimés s'en sont allés, j'ai du trahir les autres. Tout ça pour quoi ? Pour me retrouver à la tête d'une meute qui ne demande plus qu'à me voir tomber, à me voir échouer. Dois-je continuer à me battre pour quelque chose qui n'en vaudra peut-être pas le coup ? Il le faudra bien. J'ai fait la promesse à Atom de veiller sur ce qu'elle a fondé, et de lui faire honneur chaque jour que je passerai à la tête des Navnik. Pourtant, dire que l'assemblée avait été une catastrophe aurait été un euphémisme. A vrai dire, tout le monde avait fini par partir tous plus mécontents les uns que les autres. D'un côté je ne pouvais pas leur en vouloir, mais d'un autre cela me faisait terriblement mal. Je savais en signant le contrat que ce ne serait pas chose aisée de se faire une place, mais le défi relevait maintenant pratiquement de l'impossible. Qu'avais-je donc fait, pour mériter tant de haine de leur part ? Je n'avais certes pas une réputation de généreux, loin de ça. Mais je n'avais jamais rien tenté contre les Navnik, je leur avais toujours laissé la chance de s'agrandir, j'avais bien souvent pris leur parti mettant ainsi ma place de bras droit Sekmet en jeu au même titre que ma vie. Oui j'avais été un Sekmet. Mais aucun Navnik pouvait me reprocher personnellement de leur avoir causé le moindre tort.

Je n'avais jamais quitté la dune de sable après la fin de cette fameuse assemblée. J'avais fait mes derniers adieux à la louve qui avait le plus compté pour moi, regardant finalement partir une partie de moi même dans l'horizon plein de brume. Ou alors était-ce mon esprit qui était tant embrumé ? Honnêtement je ne savais même plus. Mais le temps s'était comme figé. J'avais besoin d'être seul, besoin de panser mes blessures dans mon esprit encore si torturé, si bien que je m'étais laissé une fois de plus envahir par mes sombres pensées. La vie m'avait rendu mauvais. Autrefois si loyal, déterminé et généreux, j'étais devenu une bête cruelle se refusant tout sentiment de compassion ou de bonheur. C'était parti d'une protection, mais je m'étais finalement retrouvé coincé dans cette carapace que je m'étais formé. J'avais été jeune, naïf, aveuglé par la soif de pouvoir. J'avais instauré la peur et le dégoût, et je m'en réjouissais. Mais ensuite, la vie m'avait finalement offert une seconde chance en m'envoyant Nott. J'avais grandi et muri, et cette petite boule de poils qui aurait pu me paraître insignifiante avait réveillé en moi d'anciens instincts, me rappelant qui j'étais vraiment. Et alors, en quelques années j'avais changé. Je m'étais assagi, j'étais devenu raisonnable et moins agressif. J'avais emprunté le chemin de la rédemption, entrant à nouveau dans les rangs même si je conservais tout de même mon instinct à la fois solitaire et dominant. Pourtant, personne ne s'en rendait compte. J'étais arrivé à un point où je ne pouvais plus revenir en arrière, où tout ce que j'avais pu faire ne pouvait plus être effacé. Si bien que je me demandais encore si ça valait réellement le coup d'ouvrir quelque peu mon cœur à mes sentiments.

- C'est une belle nuit ne trouves tu pas ?

Finalement c'est une voix douce et posée qui me sortit de ma rêverie. Ebène était là, s'approchant de moi jusqu'à s'installer à mes côtés. S'il ne m'adressait aucun signe de respect, il ne semblait pas insolent pour autant. Lui aussi se méfiait de moi, lui aussi me voyait encore comme un intrus. Mais que pourrais-je lui reprocher ? Après tout il se préoccupait des siens, il prenait ses précautions. C'était un geste que je ne pouvais qu'honorer : la fidélité envers les siens et la loyauté pour sa famille. C'était un genre de loup que je trouvais d'une extrême noblesse. Et puis j'appréciais tout ce qu'il avait fait pour Atom, celle qui avait été ma sœur... il fut un temps. Avant qu'il ne continue son phrasé, je lui avais tout de même adressé un signe de tête courtois en guise de salutations.

- Mais compliquée il convient de l'admettre. Ne t'en fais pas, je suis sur que ce fut aussi dur pour toi que pour eux.

Peut-être m'étais-je finalement trompé à son sujet. Peut-être pouvait-il me comprendre quelque part. Mais avais-je seulement le droit d'être si naïf ? Je ne demandais pourtant qu'à croire en lui..

- C'est une nuit calme en effet. Malheureusement, ce n'est pas cela qui apaisera mon esprit je le crains. Bien trop de vieilles blessures ont été rouvertes ce soir. Mais c'est sans doute tout ce que je méritais.

Lentement, mon regard glissa de l'horizon pour venir se poser sur le second loup de charbon.

- Et toi Ebène, as-tu des fantômes à venir combattre toi aussi ?

Et bien autre que le fait qu'un Sekmet vienne de prendre la place qui te revenait de droit, ajoutais-je dans mon esprit.

- Non, j'ai vaincu les fantômes de mon passé il y a quelques temps maintenant. Seul l'avenir me préoccupe.

Je hochai silencieusement la tête aux paroles d'Ebène, replongeant mon regard de sang sur l'horizon aussi dévasté que mon cœur. Finalement il représentait assez bien notre avenir à cet instant précis. Une guerre menaçait entre les meutes, mais aussi au sein des Navnik déjà désavantagés. Si jamais nous n'arrivions pas à nous entendre nous serions tous morts, car la mort elle ne fait pas de différence, elle ne prend pas les conflits personnels en compte. Elle vient tout simplement nous dévorer de son étroite mâchoire sans que l'on puisse lui résister. Notre survie ne dépendait maintenant plus qu'à notre capacité à mettre notre orgueil de côté. Mais j'avais foi en les Navnik. Cette meute était le fruit du travail d'Atom, elle ne pouvait pas se laisser pulvériser de la sorte après quelques mois d'existence. Je devais garder la tête haute quoi qu'il en coute, parce que nous parviendrions à nos fins. C'st ce que j'ai toujours fait, non ?

- Je ne t'en veux pas de devenir alpha à ma place. Tu étais très proche d'Atom c'est normal qu'elle te connaisse mieux que je ne l'ai connu. Et tu étais bras droit bien avant que je n'intègre les Sekmets. De plus, nous devons parfois servir afin de mieux diriger.

Je levai les oreilles intéressé parles mots du loup d'ébène. Châtiment de l'Empereur était un loup noble, je ne pouvais le nier. Ou alors il cachait très bien son jeu, auquel cas il serait redoutable. Mais là encore je ne pouvais m'empêcher de voir l'allégorie de son nom de Lune. Empereur, Empress. Le Destin devait sans doute me faire une blague, me taquiner, tout comme il s'était plu à le faire pendant des années. Ou peut-être était-ce un signe, quelque chose qui me dirait de fuir tant que j'en avais encore l'occasion ? Non, le Destin n'avait jamais été que mauvais envers moi, il n'y avait aucun risque qu'il se plaise à me lancer des avertissements. Il frappait directement, et toujours en plein cœur.

- Personne ne connaît Atom mieux que moi et inversement. J'ai l'impression qu'elle a toujours été là, elle a été le seul élément constant dans ma vie. Et aujourd'hui, la voilà partie. Nous étions des frères, nous aurions donné notre vie l'un pour l'autre. J'aurais dû protéger sa famille, j'aurais dû les sauver, je le lui avais promis... Et j'ai failli.

Là, un instant, juste un tout petit instant, le temps de cligner les yeux seulement, ma posture avait changé. Mes oreilles s'étaient un peu relâchées et mon regard s'était dirigé vers le bas. Un cœur meurtri ne ment jamais. Il se confie facilement, aussi. Je ne savais même pas vraiment pourquoi je racontais tout ça au bras droit Navnik. Et pourtant j'avais très vite repris ma posture grande et noble, celle que je m'efforçais de garder au fil des jours.

- J'ai passé ma vie à servir, et me voilà maintenant à devoir me battre contre celle pour qui j'aurais donné corps et âme. Je comprends que vous puissiez douter de moi, ou de ma capacité à traiter avec mon admiration face à Empress. Mais ne t'en fais pas, je saurai faire ce qui est nécessaire pour le bien être des miens, de manière radicale s'il le faut. J'en fais le serment. Après tout ma fille elle même a rejoint les rangs des Navnik, je ne peux pas mentir sur sa sécurité.