Une dizaine de lunes s’étaient écoulées depuis que Nott avait rencontré Sageeth ; ou plutôt, depuis que Sageeth avait sauvé Nott d’une mort qui semblait inéluctable.
Dans l’esprit de la jeune louve qui avait maintenant un an et une lune, la Forêt aux Pendus resterait le lieu où sa vie a véritablement débuté. En effet, depuis que son père adoptif l’avait trouvé, elle avait pu manger à sa faim, et connaître un abri et une protection rassurante. Mais Nott s’était révélée, au fil du temps, être une louve au caractère fort et à l’esprit quelque peu aventureux. Très rapidement, elle acquis les bases de la chasse pour pouvoir subvenir à ses besoins immédiats et, sans le moins du monde se soucier de la collectivité qui l’avait pourtant accueilli, elle partait vagabonder des heures durant. Elle ne rentrait que tard dans la nuit, dormir au camp des Sekmets, ramenant parfois une proie afin qu’on ne lui reproche rien. C’est dans ces conditions que Nott grandit finalement, plutôt heureuse de mener sa vie semi-solitaire.
Et personne ne l’incrimina pour sa conduite. Pour la simple et bonne raison que les Sekmets étaient en piteux état, l’Alpha fut enlevée, puis un retournement politique mena au détachement de certains éminents membres de la meute. Bien que peu concernée par la gestion de la meute, Nott eu vent de quelques sujets houleux. Elle ne se mêlait de rien… Jusqu’à ce que son père adoptif fasse partie des loups qui laissaient tomber les Sekmets.
Nott, qui ne s’était jamais intéressée à la construction interne de la meute et aux déboires que la hiérarchie pouvait créer, fut soudain touchée directement par l’affaire.
Son père l’emmenait.
Pour Sageeth, il semblait impensable que sa « fille » ne reste parmi les Sekmets puisqu’il s’en allait.
C’est ainsi que, sans comprendre réellement, Nott avait suivi son père dans cette fabuleuse aventure qu’était celle de diriger une meute naissante. Son père était devenu, par la force des choses, l’Alpha des Navniks. Pour Nott, il n’y avait rien de plus naturel à ce que le Colosse soit en cette position, mais pour les Sekmets, trahis, et pour les jeunes Navniks, cela coulait beaucoup moins de source. Son père venait de se créer énormément d’ennemis en quelques grands actes bien choisis. Il aurait besoin de protection. Et Nott voulait être là pour lui. Pas pour la meute, dont elle ne connaissait rien et n’avait que faire. Non, juste pour son sauveur, celui qui représentait aujourd’hui sa raison d’être sur Terre.
Elle voulait débuter son apprentissage réel pour améliorer ses compétences qui, malgré son indépendance plutôt facile, étaient au plus bas. Il lui fallait un mentor…
Mais avant tout, Nott voulait comprendre. Durant tout ce temps d’errance –incomplète, certes-, elle s’était tenue éloignée de toutes les histoires des meutes. Mais aujourd’hui, quelque chose en elle changea et elle voulut comprendre. Elle voulait savoir si elle se battait juste pour son père ou si, au final, elle ne se battait pas pour une cause plus grande par le même coup, quelque chose qui en valait peut-être la peine. Elle voulait sortir de ce terrible flou dans lequel elle était plongée. Comprendre pour mieux réagir. Passer à l’action pour de bonnes raisons.
***
Les oiseaux étaient encore endormis et un silence doux régnait sur la Forêt aux Pendus. Aujourd’hui, tout était calme et rien n’oppressait la jeune Nott, qui laissait ses pattes la guider jusqu’au lieu de sa toute première journée dans le monde terrible de la lucidité.
Depuis ce jour, sa conscience aiguë des choses ne l’avait plus quitté et c’est une des raisons qui poussa Nott à ne pas s’intéresser à ses congénères et à la vie collective ; il y avait tout simplement trop d’informations qui arrivaient à son cerveau, cruelles, et crues, tant de choses qui auraient fini par la détruire.
Nott était une louve dans une forme d’hyper-lucidité, ce qui n’améliorait vraiment pas sa vie. Elle aimait prendre du recul, s’effacer, disparaître, et aller oublier le monde en s’échappant. Vivre de manière externe pour faire faiblir ses peurs ; se cacher pour ne pas affronter le réel terrifiant.
Il fallait d’abord qu’elle affronte son propre esprit torturé. Son esprit qui la malmenait tous les jours, lui jouant quelques vicieux tours, la plongeant dans un gouffre de pensées noires, la vidant complètement de toutes émotions ou tout au contraire la rendant sensible de manière exacerbée. Nott souffrait parfois de ce cerveau en constante ébullition, mais souvent, elle appréciait sa différence. Cependant, beaucoup d’autres loups lui paraissaient par conséquent ennuyeux, voire inintéressants. C’était pour elle uniquement des êtres monotones qui ne servaient à rien d’autres qu’à vivre sans savoir pour quelle raison ils se trouvaient ici. Nott n’avait donc aucun ami. Le seul qui avait une place dans son estime était son père et elle semblait s’en satisfaire.
Seulement, aujourd’hui était un jour différent. Elle avait juste besoin d’informations sur tout ce qu’elle avait manqué. Une présence, n’importe laquelle, mais quelqu’un qui sait.
La forêt s’éveillait doucement en même temps que les quelques rares rayons qui passaient au travers des épaisseurs de toiles d’araignées qui faisaient la spécificité de cet endroit. Quelques chants s’élevèrent dans le lointain. Nott y vit le signe d’une journée qui lui rendrait enfin l’esprit clair. Ses yeux couleur noisette se posèrent sur une sitelle qui, la tête en bas, insouciante, avait oublié qu’elle avait des prédateurs et que la vie n’est pas aussi facile qu’elle semble l’être. Nott, d’une vive et puissante poussée sur ses pattes arrières se lança en avant et attrapa dans sa gueule l’oiseau qu’elle ne tarda pas à achever d’un coup sec.
Le fumet du cadavres frais lui emplit les narines et elle ne sentit donc pas la seconde odeur des lieux. Celle d’un loup…
- Spoiler:
HRP: ne faites pas attention à mon kit, il faut que je le mette à jour.