Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Les oreilles dressées et le museau frémissant, je m'aventurait à la recherche de denrées pleines de chlorophylles. Piliers naturels de l'existence de la vie sur cette planète récalcitrante. Le petit bout de chair rose qui pointait au milieu de mon visage s'activa, inspirant et expirant une vitesse accrue à la recherche d’arômes satisfaisantes. Déjà je commençais à m'éloigner de mon terrier, les arbres formaient des ombres menaçantes à travers la brume matinale, comme si il s'agissait d'un sombre présage. Il était impossible d'établir l'heure qu'il était avec précision. Passant d'un tas d'herbes à un autre j'errait à la recherche de pousse bien fraîches. Mais tout à coup mes grandes oreilles frémirent, une présence, un fantôme, une ombre, un rêve. L'instinct de proie qui sévissait en moi me disait de fuir, mais d'un autre côté je n'avais pu me sustenter et peut être qu'il ne s'agissait que de mon imagination. Comme aurais-je pu être repéré, moi un petit lièvre famélique, à travers sa épaisse couche de brume qui stagnait ? C'était comme si les nuages avaient voulu raser le sol pour le voir de plus près, lassé d'observer la cime des arbres depuis leur trône céleste. C'est donc empreint d'une légère méfiance qui n'avait de rôle que de rassurer ma conscience que je continuais mon bonhomme de chemin à travers l'immense forêt. Quand tout à coup, le bruit, plus proche, plus distinct. Cette fois il n'y avait plus à en douter, je n'étais plus seul dans cette forêt et quelque chose qui ne voulait pas se montrer me tenait compagnie. Et ce n'était certainement pas pour lui faire une joli surprise. Pétrifié par la terreur, il m'était impossible de bouger. Comment savoir de quel côté il viendrait et qu'est ce qui le pourchasserait ? Je sentais la panique m'envahir, une force incontrôlable. Sans attendre je détalais comme un lapin -bien que je sois un lièvre- fuyant entre les racines, frôlant les arbustes, glissant entre les fougères. Je sentais son haleine chaude et fétide, il haletait. Je ressentais son excitation à la vue de sa domination sur moi ainsi que la proximité d'une victoire. Malgré les changements de directions incessant, chaque ligne droite lui permettait de regagner le terrain qu'il avait perdu. Enfin l'entrée de mon terrier se dessinait, d'un bond je plongeait à l'intérieur. C'est non sans surprise que j’observais le loup me suivre, et ses mâchoires d'une taille démentielle se refermèrent sur ma patte arrière gauche, m'arrachant à mon refuge. Il n'eut aucun mal à me briser et ainsi à m’immobiliser. J'eu pour dernière vision du monde, l'intérieur de la gueule sanglante d'un loup blanc et noir qui se refermait sur mon crâne pour mieux le briser.