Est-ce que c’était vraiment le moment de partir ? Le Pantin ressassait les bribes d’informations qui lui étaient parvenues depuis plusieurs jours. Tout d’abord, l’évènement le plus grave, le plus révoltant, celui concernant Helya. Une traîtrise immonde, dont personne ne semblait affecté. Tout le monde semblait trouver ça normal, de se laisser diriger par une meurtrière. Faire tomber Helya avait été la première idée de Palladium : quel châtiment plus mérité que celui de l’exil pour une traîtresse de son espèce ? Mais seul, il ne parviendrait jamais à rien. Peu de gens connaissaient ce lourd secret, et ceux qui étaient au courant semblaient peu enclins à tenter quoi que ce soit au nom de la bonne cause. Qui d’eux ou de lui était réellement le plus lâche ? Il commençait à se poser sérieusement la question.
Ensuite, il avait eu vent de ce qui se tramait dans les parages. Une terre avait été découverte, et il fallait se battre pour la conquérir. Si Palladium s’était senti prêt à combattre pour sa meute, un élément crucial l’avait quelque peu refroidi. Sageeth semblait prévoir une alliance avec la meute d’Atom – rien de bien surprenant, en soi. A vrai dire, cette alliance ne faisait ni chaud ni froid au Pantin, si cela leur permettait d’écraser les Esobeks ce n’était qu’un atout supplémentaire. Mais seulement voilà, Torka et Hige manifestaient des signes de réticence à cette alliance. Leur point de vue était tout à fait honorable et loyal : pourquoi s’allier à une meute composée en grande majorité d’ennemis ? Presque tous les composants de la Horde qui les avaient asservis y avaient trouvé refuge. En tant que membre dévoué à sa meute, Palladium avait éprouvé quelques réticences à s’opposer à Sageeth, qu’il respectait au plus haut point. Mais Torka était une autre figure éminente envers qui il éprouvait une grande admiration ; il se trouvait donc déchiré entre deux opinions. Ce qui avait fait pencher la balance, c’était le parti pris de son meilleur allié, Hige. Quel genre de vie aurait le chasseur brun sans son ami de toujours ? Bien misérable, sans doute. De plus, voir Helya postée à un grade encore plus supérieur – car c’est ce qui pendait au nez des Sekmets – était une perspective rendue insoutenable au Pantin. Il ne pouvait pas supporter de se laisser guider à la bataille par quelqu’un qui n’hésiterait pas à le laisser crever.

Il fallait donc bien prendre une décision, mais laquelle ? Le Pantin était en proie à un cruel dilemme. Il voulait parler à Torka. Il voulait exactement savoir de quoi la situation en retournait et quel était son avis sur la question. Que valait-il mieux faire ? Et puis, qui était mieux placé pour décider du sort du Pantin que le fils propre de leur alpha, assassin héroïque du Bourreau d’Agonie, leur pire fléau ?
Cette nuit-là donc, face aux nuages qui recouvraient le croissant de lune qui luisait faiblement dans la pénombre, le chasseur brun réfléchissait, attendant que le loup noir fasse son apparition. Viendrait-il ? Palladium se le demandait encore et, plus les minutes passaient, plus il pensait que Torka n’aurait pas vu l’utilité de s’adresser à lui, si inutile et si petit. C’est vrai, que pouvait-il bien apporter de plus ? Il était encore indécis, hésitant, il mettrait sûrement des lunes et des lunes avant de prendre une décision. Il espérait même que Torka l’influence dans un sens, l’encourage à le suivre pour ne plus avoir à décider. Il voulait simplement suivre le mouvement qui lui paraîtrait le plus juste, sans trop se poser de questions. Il voulait qu’on décide à sa place, une bonne fois pour toutes, et qu’il n’ait plus à poser ce dilemme dans sa tête une nouvelle fois. Il attendait donc le Prince avec impatience.

UUne voix se fait entendre juste à côté de lui. Le loup noir, aussi sombre que la nuit, se glisse en silence à ses côtés. Palladium sursaute à peine : la présence de Torka était attendue, donc pas si effrayante que ça.
« Bonjour Palladium, je suis donc tout ouïe, qu’as-tu à me dire ? »
A ces mots, le Pantin perd un peu contenance. Cette question est franche, directe : le loup noir n’a visiblement pas envie de perdre son temps. D’un autre côté, il est présent et cette marque d’attention touche le loup brun. Au final, il n’est peut-être pas si à chier que ça… Reportant son attention sur le Prince, le chasseur hésite encore en croisant ses prunelles qu’il sait vertes, mais rendues sombres par la pénombre. Après tout c’est vrai, qu’a-t-il de si intéressant à lui dire ? Rien de bien trépidant, il veut simplement satisfaire sa curiosité et se forger une opinion, mais il ne peut pas dire à son supérieur qu’il l’a fait venir jusqu’ici afin d’étancher sa soif d’information. L’autre risquerait de mal le prendre, et Palladium le savait quelque peu impulsif.

« Eh bien.. Par où commencer ? En fait, j'aimerai obtenir des renseignements plus précis sur ce qui se trame. J'ai peur de comprendre qu'une alliance avec les Navniks est en train d'être lancée par Sageeth ..? », interroge-t-il d'un air anxieux. Il marque une pause, laissant le temps à Torka d'assimiler l'information, avant de reprendre. « Et, si c'est bien le cas, devons-nous réellement nous associer à ces.. ces... ? » Le loup brun bute sur ce dernier mot.
Comment pourrait-il bien qualifier les membres de la meute d'Atom ? Des déserteurs ? Des traîtres ? Des assassins ? Aucune expression ne semble convenir.

Face à Torka, il n'ose pas se laisser aller à des sentiments de colère, ni même donner son avis. Prendre parti face à son Prince, ç'aurait été comme décider à sa place. Or, Palladium voulait que le loup noir décide de son sort - de leur sort. Il n'osait pas prendre la responsabilité de s'aventurer seul dans un chemin trop ardu.

Palladium lit dans le regard de Torka la désapprobation dont il fait preuve au sujet de cette alliance. Le Pantin prend quelques secondes pour réfléchir à tout ce que cette alliance implique. Cela implique collaborer avec la pluparts des anciens membres de la Horde. Cela implique se soumettre à Atom dont le caractère fort et incendiaire ne tarderait pas à les réduire en cendres. Sageeth n’aurait peut-être jamais la force de s’opposer à sa sœur si les choses allaient trop loin. Et si Atom tentait d’annexer la meute Sekmet toute entière pour la faire devenir Navnik ? Ce serait une alliance très puissante, certes, et cet assemblage n’aurait plus rien à craindre… hormis elle-même. Cette alliance risquait de semer le chaos au sein des troupes et de provoquer plusieurs combats internes. Et quand bien même l’idée de se sentir puissant lui plaisait, Palladium ne pensait pas une seconde à s’associer à des assassins capables de le crever dans son sommeil.

« Si Sageeth ose faire cette alliance sans prendre part de mon avis, de votre avis, il le payera. Il ne peut se permettre de faire perdre tout honneur aux Sekmets pour son unique intérêt. »
Le loup brun secoue timidement la tête en signe d’acquiescement. Renier Sageeth est un acte qui le répugne : le Colosse était un des rares – avec Torka – à avoir gagné son respect et son admiration. L’idée de s’opposer au grand loup noir était déjà révoltante pour la conscience du chasseur, mais le fait qu’il puisse prendre une décision stupide et injuste le révoltait encore plus. Comment étais-ce possible ? Sa situation était délicate, il fallait l’avouer. Mais il avait l’avenir de toute une meute qui comptait sur lui et sur sa dévotion entre ses pattes. Pourquoi tout gâcher ?

Cependant, si les paroles de Torka étaient pleines de sens, elles semblaient fausses. En effet, Sageeth ne « peut pas se permettre » de perdre la confiance des Sekmets, mais c’est pourtant ce qu’il s’apprête à faire, de façon plus ou moins secrète. Un petit sourire contrit et crispé relève mollement les babines de Palladium avant qu’il ne prenne la parole.

« Certes, mais ce sera probablement déjà trop tard lorsqu'il s'en rendra compte.. Que pouvons-nous faire pour empêcher ça ? »

Les yeux jaunes du loup brun se fixent dans ceux de son Prince. Dans la prunelle brillante, on peut y lire cette lueur pathétique d'espoir, cette sorte de supplique silencieuse adressée au loup noir comme s'il s'était agit du sauveur de la meute. Palladium se reposait entièrement sur lui : son sort, sa cause, son existence, tout lui était dévoué désormais que ses repères s'étaient effondrés.

Tout ceci n’avait donc servi à rien. On les avait affublés d’idéaux, de belles paroles et de grandes idées, on les avait envoyés au-devant des Hordiens enragés, on les avait balancés vers une mort imminente, tout ça pourquoi ? Palladium s’était battu, comme tous les autres, et le courage dont il avait du faire preuve avait été un acte dont il se serait cru autrefois incapable. Il avait dépassé ses limites, surmonté ses pires craintes, et tout ça pour se rendre compte au final que ça n’avait servi à rien. On avait repoussé les Hordiens, pour finalement s’associer à eux. Quelle était la logique de cette entreprise trop stupide pour être vraie ? Sageeth avait-il égaré sa raison ? Croyait-il que les Sekmets allaient faire le dos rond, et subir le coup fatal qu’il leur infligeait en les emprisonnant à nouveau avec cette alliance ? Oh, beaucoup courberaient l’échine sans rien dire, Palladium le savait. Et puis de toute façon, du sang Hordien coulait déjà dans les veines de la meute : il suffisait d’admirer les rejetons d’Helya pour le comprendre.

« Nous ne pouvons rien faire Palladium, tu le sais autant que moi. Sageeth est "libre" de ses choix et ceux qui seront contre devront partir. Nous allons devoir partir, ravaler temporairement notre fierté pour mieux se préparer. »

Partir. L’idée s’était peu à peu imposée à lui, c’est vrai. Il l’avait retournée en tous sens, avait cherché à l’éviter, il avait cherché une autre solution mais il semblait que la seule échappatoire se trouvait dans la fuite. Cette pensée fit frémir le loup brun. Quitter la meute et sa sécurité, pour aller où ? Vagabonder ça et là, en priant pour trouver de quoi subsister… Cette perspective l’effrayait plus qu’autre chose. Il admirait le sang-froid de Torka qui ne semblait pas éprouver la moindre peur quant à son avenir. Quitter la meute semblait être si facile, pour lui. Mais, si le Pantin était profondément lâche, il se demanda un instant si partir comme un voleur la queue entre les jambes ne posait pas un petit problème d’ego à son Prince. Consentirait-il à tout abandonner, sa place, son titre, ses amis et son confort, tout ceci sans tenter un coup d’éclat ? Cela semblait peu probable au loup brun. Mais il ne dit rien à ce sujet ; Torka ferait comme bon lui semblait le moment venu et il saurait faire les bons choix, le Pantin en était persuadé.

« Donc on va se barrer, leur abandonnant tout ce qu'on possède.. Pour aller où ? »

Sageeth, en concluant cette pseudo-alliance avec les Navniks, avait perdu toute la confiance de Palladium, qui ne lui en témoignait pas moins encore un profond respect. Tout n’étais pas tout noir, et la position du Colosse n’était pas enviable : combattre sa sœur, ou se mettre sa meute à dos. Cependant, les liens de sang n’avaient jamais primé dans l’esprit du loup brun, il avait donc beaucoup de mal à concevoir que l’on puisse sacrifier sa meute pour ses liens de sang. Ce n’était pas équitable. Mais il était capable de comprendre que beaucoup de gens pouvaient concevoir la vie autrement, et différemment par rapport à son point de vue à lui. Il n’en pensait pas moins : tout ceci était du suicide. Sageeth risquait la révolte de ses semblables envers son autorité. En tout cas, il aurait suffit d’un seul mot de Torka pour que Palladium se résolve à se rebeller. Et en cela, Torka surpassait Sageeth puisque le premier possédait quelque chose que le second n’avait pas : la légitimité. Oh bien sûr, le Colosse avait fait ses preuves en tant que Bras-Droit mais Torka avait le sang d’Empress qui coulait dans ses veines en plus d’avoir éradiqué leur pire fléau : Skull. C’était amplement suffisant au Pantin pour qu’il lui jure allégeance.

« Si nous n'avons pas le choix ceci est une solution, cependant nous n'y sommes pas encore, tout peut changer. Il faut garder espoir et voir comment Empress s'occupe de ces "problèmes" avant d'agir d'une quelconque façon par impulsivité, ou par peur. »

En cela, le Prince semblait avoir raison. Il était plus sage, et plus raisonné d'attendre tranquillement, comme le serpent prêt à mordre. Prêt, prudent, méfiant, mais pas stupide. Il fallait se reposer sur Empress, bien que le loup brun douta qu'elle se soit remise correctement de ses blessures passées. Il ne l'avait vue que très peu, voire même pas du tout, ces derniers temps. Mais Torka semblait sûr de lui, et le Pantin se devait à présent de lui faire confiance, même s'il doutait encore beaucoup de la tournure que les choses allaient prendre.

« Sur ce je te souhaite une agréable fin de journée, Pantin je dois retourner vaquer à mes occupations. »

Palladium incline légèrement la tête, ses oreilles frémissent. Le Prince ne semble manifester aucune émotion mais le Pantin, lui, sent une vague de reconnaissance l'inonder, en même temps que ses yeux emplis d'espoir et de confiance se posent dans les prunelles émeraudes de son Prince. Il hoche la tête avec une certaine nonchalance : même si son oeil le trahit, il tient à conserver une attitude digne. Il n'avait pas envie que son dirigeant le voit comme un être émotionnellement fragile.

« Merci de m'avoir écouté et conseillé, j'attendrais tes ordres et recommandations. Bonne journée, et fais attention à toi. », achève-t-il d'un ton qui sonne comme un avertissement ; Dieu seul savait ce que pouvait bien tenter Sageeth pour prendre le pouvoir...