Deux grands yeux cyans apparurent comme deux lumières bleutées dans la pénombre de l'aube lorsque Djall ouvrit brusquement ses paupières. Un hurlement lupin venait de retentir et l'on entendait encore son écho se répercuter entre les murs délabrés de la construction humaine. La louve reconnut la voix qui l'appelait à chasser. C'était celle d'Ebène, Châtiment de l'Empereur. Un chasseur de la meute Navnik. La fourrure argentée de la guerrière scintilla sous les premiers rayons du soleil lorsque celle-ci se leva. Certes, il n'était pas son Alpha. Mais elle allait tout de même répondre et le rejoindre, car chasser était vitale et dernièrement la meute avait frôlé la famine. Les oreilles poilues de Djall se plaquèrent sur son crâne velu lorsqu'elle renversa la tête pour hurler à son tour. Son geste était empli de grâce et le son qui sortit d'entre les mâchoires entrouvertes de la femelle parut arrêter le temps l'espace d'une seconde. C'était une réponse positive à son congénère. La grande louve s'élança alors que son chant résonnait encore au-dessus d'elle. Elle galopa en direction de son camarde, guidée par son ouïe qui avait localisé la provenance des intonations du chasseur. Ses longues pattes musclées la portèrent à travers les ruines et il ne lui fallut pas plus d'une dizaine de minutes pour rejoindre Ebène. Celui-ci était debout, immobile au centre d'une clairière étonnamment verdoyante en périphérie du territoire des Navniks. Djall se dit à elle-même à quel point elle trouvait que la verdure revenait à une vitesse incroyable. Puis elle se concentra sur le loup noir qui se trouvait en face d'elle.

« - Salutations Ebène, Châtiment de l'Empereur, il est agréable de rencontrer l'un de ses camarades de meute, salua-t-elle en agitant ses oreilles touffues pour signifier son contentement, j'ai répondu à ton appel à la chasse. »

Puis queue basse pour montrer à son interlocuteur qu'elle ne cherchait pas à le dominer, Djall ajouta en se rapprochant de celui-là même :

« - J'ai appris pour ta progéniture à peine née, j'espère de tout mon cœur qu'ils survivront. »

Les oreilles grises de Djall se tournèrent instinctivement vers Ebène lorsque celui-ci adressa une réponse courtoise à la louve. Elle entendit, et apprécia, mais préféra ne pas relever car un troisième loup arrivait déjà. Il s'agissait de Fjorgur. La Navnik en eut le cœur net lorsqu'un plutôt grand loup élancé à la fourrure composée de nuances de gris et de roux apparut après avoir contourné un bosquet. Oui, elle le reconnut bien.

« - Salut les gas, prêts à chasser de grosses bébêtes ? s'exclama-t-il avec un engouement prouvé par les battements puissants de sa queue.
- Bonjour Fjorgur, contente de te rencontrer, lâcha la seule femelle du groupe avec un air franchement heureux. »

Ebène, le chasseur le plus expérimenté de la dépêche de loupiots, ouvrit la gueule pour prendre la parole, mais Bellamy venait d'apparaître et s'en aller déjà, à l'affut, visiblement déjà en chasse. « Ok, je vois qu'on va s'amuser aujourd'hui », pensa Djall en observant le dos crème du fameux Bellamy d'un regard plein d'amertume. Il est vrai que la louve a un sacré caractère, et qu'elle apprécie difficilement ses congénères peu importe de quelle meute ils viennent. Ebène lui a montré du respect, alors elle se tourna vers lui. Il se tenait à une longueur d'aile d'aigle de là, son regard jaune fixé sur Bellamy. Alors qu'il se mit en marche à son tour, Djall discerna une toute petite pointe d'agacement fleurir dans son regard et son attitude, mais il le cachait bien. La louve se mit en route à son tour, avançant auprès du loup noir. Alors qu'elle passa devant Fjorgur, elle lui fouetta délibérément le bout noir de sa truffe d'un coup de queue touffue et, tout en le dépassant, lui adressa un clin d'oeil malicieux. Elle aimait bien se loup qu'elle venait de découvrir, elle le trouvait drôle. Ils étaient en marche depuis peu, lorsque soudainement Ebène sortit des rangs et accéléra la cadence en prenant une autre direction que celle imposait par Bellamy. Sans aucune hésitation, Djall le suivit de si près que l'épaisse queue noire de son congénère lui chatouillait les narines. Quelques secondes plus tard, elle comprit. Un parfum qu'elle connaissait se mit à taquiner son flair. Un puma. C'était dangereux, de s'attaquer à un autre prédateur, mais en groupe c'était faisable. Et Djall aimait les imprudences et les défis. Elle jeta un coup d'oeil étincelant d'excitation à Fjorgur qui avançait derrière eux, puis se concentra sur la chasse. Ils approchaient, la proie visée n'était plus très loin car son odeur devenait presque étouffante. La femelle grise se mit à hauteur d'épaule de son camarade Ebène et se tapit près de lui. Elle le voyait. Le félin couleur sable se reposait à plusieurs longueurs d'aile d'aigle d'ici. Heureusement, le vent tournait en leur faveur et la proie ne pouvait les repérer. Djall savait ce qu'elle devait faire. Sans une once de questionnements, elle se mit à contourner la clairière où se reposait leur gibier en prenant garde à ne faire aucuns bruits. Certes, la brise d'été aller finir par transporter son odeur jusqu'au puma, mais il serait déjà trop tard. Elle se posta à l'opposé du reste du groupe, de l'autre côté de la clairière. Il fallait se dépêcher à présent, le puma allait rapidement comprendre. Mais ils seraient bientôt encercler. Et il en serait fini de lui.

Les poils mis-longs de Djall ondulèrent alors que le vent tiède d'été vint s'inviter dans son pelage. Celui-ci ne la caresser pas dans le sens du poil, la louve devina donc que le puma pouvait les sentir à présent. Tout allait se passer très vite maintenant. La femelle malgré l'éclat argenté de sa fourrure avait réussi à se cacher dans la broussaille naissante des bois. Un voile de concentration drapa le regard cyan de la guerrière rivé sur sa proie. Faisant entièrement confiance à Ebène, le chasseur le plus expérimenté, la Navnik attendait son signal. Ce-dernier ne la déçu pas car quelques secondes après que les deux autres participants à la chasse aient pris place, un éclair noir percuta de plein fouet le puma au milieu de la clairière. De sa cachette entre les buissons, Djall n'arrivait pas à apercevoir Bellamy, mais distinguait très bien Fjorgur qui se trouvait planqué à quelques longueurs d'aile d'aigle sur la droite de la louve. Elle avait bien vu comme il avait réagi à ses taquineries et pour pousser la blague un peu plus loin, elle lui lança un clin d'oeil espiègle avant de s'élancer à son tour. La chasse était lancée. Elle s'extirpa des branches étroitement nouées dans lesquelles elle s'était camouflée d'un bond puissant et se jeta sur leur futur repas. S'ils réussissaient, ce serait un repas de rois pour la meute Navnik. Djall pensait aux louveteaux d'Ebène. Et aussi un peu à son estomac qui criait famine. Ses longues pattes musclées avalèrent la distance qui la séparait de son but en l'espace de deux secondes. Elle sauta avec souplesse pour atterrir sur le dos noueux du puma et mordit de toutes ses forces la nuque dorée de sa proie. Les os épais de l'animal ne craquèrent pas entre les mâchoires acharnées de la guerrière alors elle le secoua entre ses crocs avec fermeté. Il vacilla sous le poids de la grande louve et roula sur le côté pour prendre le dessus. La Navnik devait absolument ne pas être prise sous le puma, sinon s'en était fini d'elle. Alors dans un élan de désespoir, elle roula à son tour loin du prédateur. Heureusement qu'elle n'était pas seule car le puma était trop occupé par ses camarades de meute qu'il ne prêtait plus attention à elle. Malgré l'échec de son attaque, les épaules et le cou du puma ruisselaient d'un liquide pourpre. Elle avait manqué de peu. La prochaine fois ce serait sa gorge qu'elle trancherait. Pour déstabiliser le puma, Djall renversa sa belle tête grise et poussa un hurlement bref mais fort qui attira l'attention du gros chat au pelage d'or l'espace d'un instant. Ca dégageait une marge de manœuvre pour ses compagnons.